Ceci grâce à l’état d’urgence sanitaire
Cet « état d’urgence sanitaire » a été une aubaine pour accélérer la mise en place d’un monde sans contact, où tout est numérisé, y compris la santé. Avec le traçage croissant des individus, de leurs déplacements, de leurs fréquentations, un prélèvement massif de données personnelles et la fin du secret médical, la techno-dictature à la chinoise est en marche.
« Nous sommes en guerre », avait prévenu le chef d’Etat de la sixième puissance mondiale, le 16 mars 2020, actant ainsi la lutte contre l’ennemi invisible. Quatre jours plus tôt, dans sa précédente adresse an Français, le président Macron déclarait : « la santé n’a pas de prix. Le gouvernement mobilisera tous les moyens financiers nécessaires […] pour sauver des vies quoiqu’il en coûte »
[Retenez bien le « quoiqu’il en coûte »].
« Beaucoup des décisions que nous sommes en train de prendre, beaucoup des changements auxquels nous sommes en train de procéder, nous les garderons parce que nous apprenons aussi de cette crise, parce que nos soignants sont formidables d’innovation et de mobilisation, et ce que nous sommes en train de faire, nous en tirerons toutes les leçons et sortirons avec un système de santé encore plus fort ».
A l’heure où vous lirez cette chronique, j’en saurai déjà plus sur la « vie d’après », puisque j’aurai participé, le 28 mai au grand débat d’acteurs publics, un média global tourné vers le management public où des experts auront répondu à une question vitale : « le bond en avant numérique des administrations survivra-t-il à la crise sanitaire ? ». L’heure est grave !
L’un de ces « éminents et géniaux » experts, Aymeril Hoang, a réalisé une carrière parfaite dans l’administration électronique : diplômé de l’Ecole Normale Supérieurs, il est devenu conseiller de la ministre déléguée aux PME, à l’Innovation et à l’Economie numérique en 2012, directeur de cabinet du secrétaire d’Etat au numérique en 2017, conseiller stratégique des PDG et cadres supérieurs dans le secteur des technologies de l’information et des services … Il est également membre du Conseil scientifique Covid-19 constitué par le président Macron, au même titre que de nombreux épidémiologistes, virologues et médecins dont le président du Comité national consultatif d’éthique. On ne s’étonne plus, alors, de l’émergence de l’application StopCovid pour permettre un déconfinement en toute traçabilité. Le 12 avril, l’éditocrate libéral Christophe Barbier annonce : « Pour faire monter le taux d’adhésion [au « tracking » prévu par StopCovid], il faut une carotte. Il faut dire : tous ceux qui téléchargeront l’application seront prioritaires le jour où on aura des tests de sérologie qui permettront de déconfiner ceux qui sont immunisés ». Pour ceux qui n’ont pas de portable, assignation à résidence d’office ! Ah, ça rigole moins chez les décroissants jusqu’au-boutistes !
Ceux-ci ont échappé à deux autres innovations digitales : CovidIA et CONFINS. CovidIA a fait son apparition le 10 avril grâce à la pichenette médiatique du journaliste Patrick Cohen, dans l’émission « C’est à vous » dur France 5. Surgi de nulle part, un sémillant anesthésiste-réanimateur du nom de Mignon assure la promotion de l’application dont l’existence a été rapidement relayée par le site IATranshumanisme. Objectif de l’application d’intelligence artificielle ; « une réponse éthique, surveillée, innovante », « pour aider à piloter le déconfinement et permettre à tous de retrouver une vie sociale et économique (presque) normale ». Après le « quoiqu’il en coûte », retenez bien le « presque normale ». Ces promoteurs vendent « une réponse à la reprise économique sans retour épidémique ». Et le sous-titre dépeint le monde qu’ils nous confectionnent : « agir rapidement aux côtés des entreprises et des pouvoir publics afin de les accompagner à une reprise économique efficace en faisant le choix de l’intelligence artificielle au service du contrôle de la plus grande catastrophe sanitaire, économique et sociétale du siècle ».
CONFINS, également apparu en période de confinement, a pour but de « mieux comprendre l’impact du confinement sur notre bien-être et santé mentale ». Cette étude, menée par des spécialistes de l’innovation en santé, est gérée notamment pas la start-up Kap Code et une équipe de l’université de Bordeaux. Leur slogan : « from data to health », la santé grâce à vos données. Le prélèvement des données se fera sur la base du volontariat, rassure Big Mother : « si vous acceptez de participer, nous nous intéresserons à la fois à votre état physique, psychique, mais aussi à vos opinions » et « vos craintes sur cette épidémie, ses traitements et les vaccins. Nous chercherons à mesurer l’impact sur notre quotidien et comment notre société s’adapte aux changements émergents ».
Vous n’avez pas confiance ? Et pourtant les entreprises suivantes leur font confiance : Ramsay Générale de santé (côté en bourse), Takeda (une multinationale pharmaceutique), InteractionHealthCare (au slogan appétissant « tous connectés pour la santé), Sanofi, Bristol Myers Squibb France.
Avec Kap Code Detect, « solution de recherche et d’analyse de signaux sanitaires », c’est déjà en marche ! « Les patients échangent et rapportent sur les forums de discussion, sur Youtube ou twitter leur vécu sur leurs pathologies, traitements et parcours de soins, créant ainsi une gigantesque source d’informations qu’il n’est plus possible de négliger ». Leur slogan « explorez, écoutez et analysez les témoignages des internautes », surveiller et analyser les messages électroniques. « Kap Code s’investit dans la nouvelle ère de la prise en charge ».
Le précurseur de la décroissance, Ivan Illich, auteur notamment de « Némésis médicale », une critique radicale des systèmes médicaux occidentaux, considérait que la santé consistait en « la capacité que possède tout homme de s’affirmer face au milieu ou de prendre la responsabilité de sa transformation ». A l’ère de l’open Data, la e-santé est la capacité qui empêche tout homme de s’affirmer face au milieu ou de prendre la responsabilité de sa transformation. Le confinement a été l’aubaine pour les pouvoirs en place de prendre des mesures qui sont allées dans le sens du renforcement de leur vision du monde : rétrécissement de la démocratie, accélération de la virtualisation du monde social, décisions condescendantes au mépris des capacités d’auto-organisation locales, flicage des trajets …
Ils veulent mettre en œuvre un nouveau type de croissance : la « croissance post-traumatique » ! Nous savons que cette accélération « relancée » est source d’aliénation. Il faut stopper cette machine infernale opposée à nos idéaux d’une « vie bonne ».
Journal « la décroissance » juin 2020