Avis à la population
Strasbourg, Lyon, Bordeaux, Toulouse, et bien sûr Lille… Sans compter Grenoble déjà aux mains d’une coalition menée par les verts, plusieurs grandes villes de France sont sur le point de faire leur bascule écolo. À une semaine du second tour des municipales, nous refusons l’invitation du secrétaire national d’EELV Julien Bayou. S’il voulait nous rencontrer sur la friche Saint-Sauveur pour bavasser, il fallait le faire avant. Nous ne sommes pas le marche-pied électoral des Verts. Et encore moins leur bouée de secours après que Martine Aubry les ait jetés par dessus bord.
Le Diversibipalium multilineatum est un ver plat à tête de pioche et sans autre anus que sa bouche, d’où son surnom de « ver intestinal ». Venu du Japon par cargo, il envahit depuis quelques années les potagers d’Europe. Nocturne, il échappe à la vigilance des meilleurs jardiniers malgré sa taille remarquable de 40 cm. Ce ver est agressif et menace les écosystèmes. Il s’enroule autour de sa proie, un lombric par exemple, puis le paralyse en sécrétant de la tétrodotoxine. Si l’on n’y prenait garde, il ravagerait les espèces locales, celles qui enrichissent la terre et aèrent les esprits par leur travail de longue haleine.
Une espèce de la même famille est apparue à Saint-Sauveur. Nous en avions remarqué quelques spécimens à l’occasion – pas trop invasifs du reste. Mais depuis la fin du confinement et l’annonce d’un second tour des municipales prévu pour le 28 juin, le Vert est repéré presque chaque jour, accompagné d’un autre invasif, reconnaissable à ses caméras et appareils photo.
Ce vert n’est pas inconnu de la friche. Distant il fut, invasif il est devenu. Mais c’est surtout son comportement qui a changé. Nous pouvons d’ailleurs dater ce changement au 28 mai au soir, quand la tête de liste des Verts Stéphane Baly vit ses espoirs d’alliance avec Martine Aubry fracassés par cette dernière. Un peu d’histoire pour saisir les manœuvres électorales qui se jouent sur la friche.
Depuis quand les Verts sont opposés à la densification urbaine ?
Les Verts lillois participent à la majorité municipale socialiste depuis 1977, sauf pendant leur parenthèse gauchiste entre 1983 et 1989. Pendant les négociations d’entre deux tours de 1977, Pierre Mauroy déclarait qu’il ne « pourrait comprendre un langage écologique qui puisse se satisfaire du système capitaliste. » La liste verte, intitulée « Autogestion et écologie », assurait quant à elle ne donner aucun « chèque en blanc à des notables pour qu’ils fassent de Lille ce qu’ils veulent pendant six ans.1 » Le ralliement des Verts à Mauroy se fit moyennant la création de l’actuelle Maison Régionale de l’Environnement et des Solidarités (toujours en 1977). Pour les candidats écolos de 1983, cette Maison de l’environnement était devenue un symbole de « récupération et d’étouffement », d’une écologie désormais « municipalisée ». Après le premier tour, ils se déclaraient « irrécupérables »2.
Trente-sept ans plus tard, les Verts et les socialistes font de nouveau liste à part, à la différence qu’aujourd’hui les Verts ont leur chance de rafler le beffroi. Repoussés par Martine Aubry, ils ont besoin des voix que peut rapporter la contestation de la ZAC Saint-Sauveur. D’où leur invasion de la friche depuis le 28 mai.
Les Verts lillois barbotaient pourtant dans la majorité municipale lors de l’élaboration du projet Saint-Sauveur. Leur cheftaine de file Lise Daleux, élue aux espaces verts, se prononçait le 1er mai 2015 contre un « Central Park lillois » et « pour la ville dense et intense ». Au mieux fallait-il livrer un immeuble au logement étudiant plutôt qu’à la promotion. Ce n’est qu’avec l’ajout impromptu, fin 2016, d’une piscine olympique, que les écolos font valoir leur liberté d’expression au sein de la majorité. Ils réclament le 10 février 2017, avec la force de la modération, « une autre localisation [de la piscine] sur le site Saint-Sauveur. » C’est à la même époque que naît un mouvement d’opposition à l’ensemble du projet ; logements, bureaux et piscines inclus. Les Verts quant à eux se contentent de réclamer un « moratoire » sur Saint-Sauveur afin de « réinterroger le projet en profondeur » en le livrant à une « conférence de citoyens. » Quand on veut noyer le poisson, on propose une conférence de citoyens. C’est ce qu’ils proposent le 18 mai 2018.
Au fur et à mesure de la campagne municipale, le langage des écolos se fait aussi tortueux qu’un ver à tête de pioche. La revendication d’une « conférence citoyenne » a la double utilité de faire mine de consulter « les Lillois », et ainsi d’acculer Martine Aubry, de plus en plus acariâtre, à un accord. Cette simple mise en doute du projet Saint-Sauveur est noyée dans le programme des Verts entre les îlots de verdure, les cantines bio et la stérilisation des chats de gouttière.
Soyons clairs : c’est Martine Aubry qui a envoyé paître les Verts au lieu de se rendre à la réunion de négociations. A tel point que le secrétaire national des Verts Julien Bayou, le même qui tente aujourd’hui de squatter la friche, dut appeler son homologue socialiste Olivier Faure pour sauver un accord PS-EELV à Lille. Pour Julien Bayou et Stéphane Baly, les vrais réfractaires au projet de Saint-Sauveur sont un marche-pied de dernière minute et de moindre importance afin de monter au beffroi. En s’incrustant à Saint-Sauveur, Bayou et ses vers en arriveraient presque à se faire passer auprès des électeurs toulousains, strasbourgeois, bordelais et lyonnais, pour ce qu’ils ne sont pas : les défenseurs résolus de la nature en ville. En venant s’encanailler sur une friche que nous occupons illégalement, ce que la mairie de Lille nous rappelle constamment, Baly-Bayou entendent se faire tresser sans frais des lauriers de radicalité par les médias. Ça pourrait faire de la belle image mais nous refusons de partager la photo avec eux.
Pas d’imposteurs dans le compost
Les Verts rabâchent depuis leur création en 1984 qu’ils ne sont plus ce qu’ils n’ont jamais été : des idéalistes à moitié libertaires fumant la moitié du temps, et fumeux le reste. Bref, qu’ils ont la maturité de leurs amis allemands. Quand l’ingénieur Baly renvoie les opposants de Saint-Sauveur à leur « idéalisme », sinon à notre jusqu’au-boutisme3, c’est pour faire valoir ses compétences, son art du compromis, sa capacité à diriger la quatrième ville de France. C’était il y a à peine cinq mois. Qu’il vienne faire de la retape médiatique tous les quatre matins en haut du Belvédère de la friche Saint-Sauveur est révoltant (même si cela vérifie sa compétence politicarde).
Les Verts sont issus du compost des luttes antinucléaires et antimilitaristes des années 1970. Ils ont obtenu des postes à l’ADEME et dans les Commissions locales d’information des centrales atomiques ; ils siègent aux réunions des Plans locaux d’urbanisme ; ils ont grimpé des conseils municipaux jusqu’au gouvernement à la fin des années 1990. Les Verts sont un parti de pouvoir qui a besoin d’une base militante, même factice, à chaque échéance électorale. Notre-Dame-des-Landes, Bure, Lyon-Turin, sont autant de décors sur lesquels faire ressurgir le temps de quelques mises en scène médiatiques une fiction aussi vite répudiée. Aujourd’hui à Lille c’est Saint-Sauveur.
Voilà pourquoi Julien Bayou est le malvenu sur la friche Saint-Sauveur ce dimanche 21 juin, à une semaine des municipales. Il y en a pour qui l’écologie rapporte. Et d’autres à qui ça coûte. Si les vers plats à tête de pioche ressemblent à des lombrics, ils n’en sont pas. Ils ne survivent qu’à condition de les étouffer. Nous ne serons donc pas leurs lombrics.
Tomjo, auteur de L’Enfer vert,
le 18 juin 2020.
1La Voix du Nord, 10 mars 1977.
2Cf. L’enfer vert, Tomjo, L’échappée, 2013.
3Médiacités, 22 janvier 2020.