Ce que les acteurs du mouvement social pensent du nouveau gouvernement
Avec un nouveau ministre de l’Intérieur accusé de viol, un garde des sceaux qui a affiché des positions résolument antiféministes, une ministre du Travail qui inquiète les syndicats, un ministre de l’Education décrédibilisé ou le retour en grâce des « réformateurs » de l’hôpital public, la composition du nouveau gouvernement ne passe pas.
Les nominations d’Éric Dupont Moretti au ministère de la Justice, et de Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur ont été perçues comme une véritable gifle par les mouvements féministes. Le premier, avocat, « est de tous les procès pour obtenir l’acquittement des violeurs, des pédocriminels et des proxénètes. La culture du viol alimente sa plaidoirie, il accuse les victimes d’être consentantes », protestent plusieurs associations et personnalités dans un texte commun publié le 7 juillet. « Pour lui, des hommes accusés de proxénétisme aggravé dans l’affaire Carlton sont « des copains qui s’offrent du bon temps » », rappellent-elles. Quant au second, devenu « premier flic de France », il est visé par une enquête pour viols, harcèlement sexuel et abus de confiance. « Bon courage au mouvement féministe avec de tels interlocuteurs pour interroger le système policier et judiciaire », a grincé Fatima Bénomar du collectif Les effronté.es.
« C’est sidérant de mépris, estime Caroline De Haas, du collectif Nous toutes. Jusqu’à présent, Macron avait un désintérêt poli et neutre pour les droits des femmes, là on passe à un désintérêt agressif et militant. Ça fait longtemps qu’on n’avait pas été face à un gouvernement très clairement antiféministe. » Des manifestations de protestation contre ces nominations ont d’ores et déjà eu lieu. Plusieurs associations exigent la démission de ces deux ministres.
« Déclaration de guerre à la magistrature »
Au-delà de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles – « Grande cause nationale » avait promis Macron –, Éric Dupont-Moretti est regardé avec méfiance par les magistrats. « Nommer au ministère de la Justice quelqu’un qui méprise profondément les magistrats et qui a pour habitude de nous insulter en nous traitant de caste endogame ou de barbouzes, ça nous pose un vrai problème », a affirmé Céline Parisot, présidente de l’Union syndicale des Magistrats. La juge a même évoqué, avec cette nomination, une « déclaration de guerre à la magistrature ». De son côté, la présidente du Syndicat de la magistrature (SM) a demandé au nouveau garde des sceaux de mettre un terme aux remontées d’informations sur des procédures en cours au ministre de la Justice, mettant en avant son statut d’ex-avocat. « Je ne fais de guerre à personne », leur a répondu le Garde des Sceaux, lors de sa prise de fonction le 7 juillet, promettant également qu’il sera le ministre « de l’antiracisme et des droits de l’homme »… Reste à voir quelle conception il aura des droits humains.
Castex et Bachelot : le retour des « réformateurs » de l’hôpital
Les soignants de l’hôpital public qui tentent depuis des mois de négocier de meilleures conditions de travail et de soin, ainsi qu’un nouveau mode de gestion de l’hôpital, connaissent bien Jean Castex et Roselyne Bachelot. Le nouveau Premier ministre a été directeur de la « Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins » au ministère de la Santé et des Solidarités de 2004 à 2006. À ce titre, il a mené la réforme du financement de l’hôpital via le passage à la « tarification à l’activité », la T2A, tant décriée aujourd’hui. Par la suite, Jean Castex a exercé comme secrétaire général adjoint à la présidence de la République de Nicolas Sarkozy de 2011 à 2012.
La nouvelle ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, a également travaillé pour Nicolas Sarkozy comme ministre de la Santé de 2007 à 2010. Elle avait alors fait adopter la loi dite « Hôpital patients santé territoire », loi qui a démis les médecins de la plus grande partie de leur pouvoir de décision dans les hôpitaux et les a soumis aux directeurs-managers et à leurs objectifs avant tout comptables. La voilà qui arrive donc à la culture, un secteur qui compte nombre de travailleurs précaires appauvris par la crise sanitaire. « Son amour seul de l’opéra lui ouvrirait donc les portes de ce ministère où les mois à venir s’annoncent très sombres pour les intermittent-es du spectacle, a réagi le syndicat Sud Santé-Sociaux. Participera-t-elle là aussi à la mise en place du paiement à l’acte : danseurs.euses payé.e.s au pas de danse ? Musicien.ne.s à la note de musique ? »
Elisabeth Borne : « La casse des services publics, elle connaît »
Si le départ de Muriel Pénicaud – surnommée la « DRH en cheffe » – soulage les syndicats, l’arrivée d’Elisabeth Borne, ancienne PDG de la RATP, ne les rassure pas. « On avait une politique de droite, cela va continuer », résume Gérald le Corre, inspecteur du travail et chargé de la santé à la CGT, en Normandie. « Sur la façon dont elle soutient, ou non, ceux qui défendent la santé des salariés, on va vite être fixés, remarque-t-il. Va-t-elle réhabiliter Anthony Smith, le collègue suspendu pour avoir exigé pendant le confinement que les aides à domicile soient dotées de masques de protection efficaces ? » Cette question de la santé au travail inquiète particulièrement les syndicats et les associations, qui dénoncent le « document d’orientation » transmis mi-juin aux partenaires sociaux.
Ce document « reprend les grandes orientations du rapport de la députée Charlotte Lecoq, remis au gouvernement en août 2018, et promet de saboter toute la législation sur la santé au travail, regrette Philippe Saunier, de la CGT chimie. En huit pages, l’inspection du travail n’est pas citée une seule fois. Au lieu d’exiger quoi que ce soit des entreprises, il est proposé de simplement les conseiller. Chaque salarié devient responsable de sa santé. » « Leur message c’est : « si vous souffrez au travail, faites du sport ! » », résume Éric Beynel, de l’union syndicale Solidaires, qui dit n’attendre « aucun miracle » de la part de la nouvelle ministre. |
« Elisabeth Borne est celle qui a mené la réforme – catastrophique – de la SNCF comme ministre des Transports. La casse des services publics, elle connaît. » Les représentants des salarié.es se disent aussi très inquiets de la poursuite des réformes des retraites – qui pourrait être « pliée dans l’été », et de celle du chômage. « Le Premier ministre a été assez clair sur le fait que ces deux réformes allaient se poursuivre, dit Éric Beynel. C’est une catastrophe pour les plus anciens et pour les personnes sans emploi. » « Cela semble incroyable de poursuivre la réforme du chômage, ajoute Gérald Le Corre, alors que l’on sait que le nombre de chômeurs va exploser, surtout parmi les jeunes. »
« Le président de la République a bien peu d’estime pour les personnels de l’Éducation nationale »
Jean-Michel Blanquer reste à son poste de ministre de l’Éducation, et récupère le Sport en plus de la Jeunesse. « C’est peut-être une façon de faire une croix sur le vote enseignant en vue de 2022 » estime Sophie Vénétitay, secrétaire générale adjointe du Snes-FSU, premier syndicat du secondaire. C’est aussi, selon elle, « la confirmation que, vraisemblablement, le président de la République a bien peu d’estime pour les personnels de l’Éducation nationale », alors qu’ « on sort d’une année extrêmement difficile ».
En privilégiant les annonces via les chaines d’info continue plutôt qu’en le faisant directement auprès de ses troupes, Jean-Michel Blanquer s’est coupé du corps enseignant. Pendant le confinement, nombre de directeurs et directrices d’école ont appris les mesures ou le calendrier les concernant via les chaînes d’infos ! Le décalage entre les déclarations sur la reprise de l’école et la mise en place du protocole sanitaire ont aussi placé les équipes de direction dans une situation impossible (notre article). Dans le primaire, la loi Blanquer sur l’école de la confiance en 2019, et en particulier l’article 1 s’attaquant à la liberté d’expression, a crispé. Dans le secondaire, le mécontentement s’est cristallisé sur la mise en place de la réforme du bac. La rentrée 2020 s’annonce compliquée pour le ministre, au regard des inégalités qui ont explosé entre les élèves avec le confinement, et de la réforme des retraites que le nouveau gouvernement semble vouloir mener à son terme. |
Barbara Pompili face à « un Président omniprésent et une majorité qui freine sur le climat »
Barbara Pompili devient la quatrième ministre de la Transition écologique sous Emmanuel Macron, après Nicolas Hulot, François de Rugy et Élisabeth Borne – son ministère perd le qualificatif de « solidaire ». « Nous n’avons aucun doute sur ses convictions et son expérience. Nous en avons beaucoup plus sur son influence réelle face à un Président omniprésent et une majorité parlementaire qui freine sur le climat », a déclaré Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France. La nouvelle ministre a « une feuille de route simple, celle de la [convention citoyenne pour le climat] », estime Julien Bayou, secrétaire national d’EELV, alors que le Haut conseil pour le climat vient d’épingler l’action insuffisante de l’exécutif dans un rapport publié ce 8 juillet.
Le 22 juin, Barbara Pompili signait une tribune demandant au gouvernement l’adoption d’un moratoire sur les projets d’entrepôts et de centres dédiés au commerce en ligne. Saura-t-elle garantir, en tant que ministre, qu’aucun nouvel entrepôt Amazon ne sera construit en France ? Difficile à croire avec un remaniement dans lequel Bercy et Bruno Le Maire se trouvent être les seuls pilotes de la « relance économique ». « Des milliards d’euros d’argent public sont débloqués sans aucune conditionnalité stricte en matière sociale, écologique ou fiscale, comme si l’État avait décidé de subventionner ceux qui polluent, détruisent des emplois et pratiquent l’évasion fiscale », observe Maxime Combes, porte-parole de l’association Attac France. « Avec la confirmation de Bruno Le Maire dans un Bercy étendu, Emmanuel Macron, loin de se réinventer, persiste et signe : la compétitivité avant tout. Contre l’intérêt général. »
Une continuité : la porosité entre gouvernement et grandes entreprises
À noter aussi, la grande porosité, encore une fois, de ce gouvernement aux grandes entreprises. La nouvelle ministre chargé de l’Égalité femmes-hommes, de la diversité et de l’égalité des chances, Élisabeth Moreno, arrive directement de la multinationale de l’électronique Hewlett-Packard, chez qui elle était directrice générale. La nouvelle ministre en charge du Logement, énarque et originaire de Neuilly-sur-Seine, a dirigé la communication du groupe Danone avant de faire sa première entrée au gouvernement en 2018 comme secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique.
bastamag