Celui de la décroissance
Alors que le « spectre de la décroissance » inquiète de plus en plus de monde, à commencer par le président Macron, plusieurs membres du collectif « Un Projet de Décroissance » reviennent sur le concept et son intérêt potentiel.
Sur les chaînes d’information en continu, dans les meetings de campagne des forces d’opposition à la « vague verte« , en une des hebdomadaires, ou dans la bouche de notre cher Président face à la Convention citoyenne, un seul mot revient encore et toujours en boucle, avec peur et détestation : la décroissance. Tout, mais surtout pas ce spectre de la décroissance ! A tous ces gens de reconnaître, que « oui » il faut prendre en compte les enjeux environnementaux, que « oui » il faut revoir nos consommations mais aussi ce l’on produit, comment et où. Peuvent-ils vraiment faire autrement ? Mais pour autant, que « non », nous n’allons surtout pas jusqu’à oser parler de décroissance !
Ce mot-obus a sciemment été créé pour sa dimension provocatrice
Il s’attaque, dans sa sémantique, à la religion de la croissance qui façonne nos croyances et notre vision linéaire et quantitative de la société et qui impose ses lois et ses dogmes sur nos vies et notre environnement. La première force du terme décroissance est la difficulté de le récupérer. D’autres slogans, comme le développement durable, l’économie verte ou circulaire, ont rapidement été dévoyés pour se faire happer par le système et vidés de leur sens.
Le terme de décroissance n’est pas le contraire mathématique à la croissance. Il n’a rien à voir avec le recul du PIB, qui a un nom en économie, la récession. Tous ceux qui attaquent la décroissance le savent bien. Ils savent bien que la décroissance est autre chose, et bien plus que cela. Elle invite à regarder la réalité en face sans négocier avec la réalité à coup d’oxymores (croissance verte, soutenable, smart, inclusive, humaniste, etc …), elle saisit les enjeux réels. C’est pour cela qu’elle crée ce terrible malaise.
Un nouveau point de clivage politique
Le défi est immense : proposer une décolonisation de notre imaginaire croissanciste mais aussi économiciste, techno-scientiste, productiviste et consumériste, couplée à la construction d’une véritable métamorphose de nos modèles de société. « Moins mais mieux » : l’enjeu n’est pas de faire la même chose en moins, mais bien de faire différemment en mieux. Les réactions actuelles semblent confirmer que nous avons face à nous un point de clivage politique, nécessaire, radical et salvateur autour de ce terme.
Il y a d’un côté ceux qui souhaitent maintenir le système en place avec ses inégalités, ses rapports de force, sa mortifère insoutenabilité écologique. D’un autre, ceux qui souhaitent s’en émanciper tout en répondant aux enjeux du XXIe siècle : enjeux écologiques et énergétiques mais avant tout enjeux de justice sociales, de démocratie directe, d‘éco-féminisme et de pluriversalisme, tout simplement de liberté et de joie de vivre
Croître ou partager, telle est la question
La croissance a toujours été cet outil utile et confortable pour repousser à plus tard la question des inégalités et donc du partage. On le retrouve dans le discours du Président Macron : sans croissance, pas de richesse donc pas de redistribution, pas de service public… Pourtant, la question du partage devrait se poser avant celle de la croissance. Le principal enjeu de l’écologie est la justice sociale. Les humains souffriront des inégalités avant que la planète disparaisse. Nous devons donc nous questionner sur nos choix de société ; comment répondre à nos besoins fondamentaux de manière juste, partagée et soutenable avant d’opter pour une impossible croissance illimitée ? Et c’est bien parce que la décroissance s’attaque à l’injustice sociale – au niveau mondial – qu’elle dérange.
Les idées de la décroissance imprègnent toujours plus la société [Voir aussi les deux études de l’automne dernier que nous mettions en avant dans nos vœux prémonitoires pour 2020 : 2020, l’année de la concrétisation d’un projet de décroissance ?] comme le rappelle de manière juste deux articles récents du Figaro et des Echos Start. De nombreux citoyens, de nombreuses associations agissent au quotidien pour construire, ici et maintenant, d’autres sociétés, d’autres pratiques, d’autres rapports humains. Ces actions, ces propositions constituent autant de réponses aux méfaits de la société de croissance que de leviers pour en sortir. Le confinement, vécu de manière très inégale, a également contribué à accélérer ces prises de conscience, à se questionner sur ce qui compte vraiment, aux façons de produire le nécessaire tout en tenant compte des limites et des dangers de notre société.
Un nouveau pacte démocratique
L’aventure de la Convention citoyenne a confirmé ce besoin d’une autre modèle et la prise de conscience que la société de croissance nous mène face à des murs. Elle a également confirmé la volonté de défendre un projet de société basée sur une démocratie plus directe et délibératrice. Ce qui en résulte naturellement, et ce malgré le cadre non idéal proposé, est à la fois une dynamique citoyenne remarquable et 149 propositions initiales qui pourraient s’inscrire dans un projet de décroissance. Naturellement les chiens de garde médiatiques et politiques du système n’ont pas manqué de diaboliser cette expérimentation qui ouvre une voie vers un nouveau modèle démocratique. Il y a fort à parier que le Président Macron, avec ses jokers, puis ses ministres, l’Assemblée nationale, voire certaines collectivités locales en déconstruisent la radicalité, donc la cohérence.
Le choix est plus que jamais entre ce vieux monde et la décroissance. Le premier qui se recroqueville sur lui-même, tente désespérément de sauver ce qui est déjà mort comme le montre les exemples tragiques, aussi bien pour ses employés que la société, d’Air France ou d’Airbus. Le second ouvre vers l’espoir d’une société émancipée culturellement et économiquement de la Croissance. La décroissance propose de nouvelles voies vers de nouveaux modèles de société basées sur d’autres valeurs comme la relocalisation ouverte, la convivialité, les communs, la dotation inconditionnelle d’autonomie couplée à un revenu maximum acceptable.
On a essayé de nous imposer un clivage factice entre libéraux et anti-libéraux, entre patriotes et mondialistes, entre progressistes et conservateurs. Pourtant, le vrai clivage qui fait sens est celui entre « décroissance choisie » et « récession subie », entre une pseudo-écologie qui s’arrange avec la réalité, et un projet radical, ambitieux mais cohérent. Pour nous, afin de faire vivre la démocratie, l’enjeu n’est pas tant d’avoir raison que d’arriver à imposer les bonnes questions. Espérons que l’hystérie ambiante face au « spectre » de la décroissance constitue une opportunité pour se les poser enfin, afin d’inventer et de co-construire de nouveaux mondes soutenables et souhaitables.
http://www.projet-decroissance.net/
contact@projet-decroissance.net
Vincent Liegey, Christophe Ondet, Thomas Avenel et Stéphane Madelaine Co-auteurs d’Un Projet de Décroissance (Utopia, 2013).
Publié sur Marianne |