Annulation de la dette-tsunami

Changement de civilisation obligatoire

Le système dette peut être comparé à un gigantesque tsunami qui écrase aussi bien le vivant – tous les terrestres, humains compris – que la nature : environnement et climat. À l’échelle de notre temps de passage sur la terre, ce tsunami est suffisamment lent pour que chacun, le voyant progresser, mette toute son énergie pour s’en protéger. Aveuglement ou absence de conscience, une minorité de personnes seulement réagit, voire commence à organiser protections et résistances. Insuffisant ! À l’échelle du temps géologique, il a pourtant la même vitesse que les derniers très puissants tsunamis comme celui de Fukushima en 2011 ou celui de l’océan Indien ayant fait plusieurs centaines de milliers de morts en 2004. Les désastres provoqués par ce tsunami de la dette sont déjà si gigantesques qu’aucun espace terrestre n’est aujourd’hui épargné. Et si rien ne l’arrête, demain matin, c’est la terre entière qui sera dévastée, le climat qui nous a permis d’exister et de nous reproduire aura disparu.

La dette mondiale, publique et privée additionnée, était en 2019 de 240.000 milliards de dollars. Avec l’arrêt brutal de l’économie, conséquence de la solution moyenâgeuse de l’enfermement face à la Covid-19 et de son sauvetage à coup de milliers de milliards de dettes, elle s’approchera en 2020 des 300.000 milliards de dollars, entre 3 et 4 fois le PIB mondial. Sauf en temps de guerre, elle n’a jamais été aussi élevée dans les pays industrialisés par rapport à leurs PIB. En temps de paix, dans le système ultralibéral, pour rembourser une dette il faut que l’économie soit en croissance. Sinon il est impossible de payer les intérêts et ensuite de restituer le capital au prêteur.

D’autres solutions existent pour diminuer le poids de la dette. Une très forte inflation, comme celle de l’après seconde guerre mondiale, a permis de dévaluer très fortement la dette qui frôlait alors les 200%. Mais les détenteurs de capitaux ont aujourd’hui le pouvoir d’empêcher cette possibilité qui leur ferait perdre une très grande part de leur richesse. Un pouvoir qu’ils avaient perdu après la guerre, car nombre d’entre eux avait collaboré avec les nazis. Une autre possibilité serait que la banque centrale européenne prête directement aux gouvernements, sans passer par les banques, et ne demande jamais leurs remboursements. Mais l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche s’y opposent au nom de l’ordo-libéralisme, de l’euro-mark fort.

La dernière possibilité, dans le système ultralibéral, est celle de l’austérité qui se profile de nouveau. Au nom du remboursement, les gouvernements diminuent encore plus les dépenses, services publics et autres. Dans le même temps, ils n’augmentent pas les impôts des plus riches et ne mettent pas fin au scandale des paradis fiscaux. Cela on le connaît bien depuis quelques décennies. Alors plutôt que de diminuer, la dette augmente avec un budget en déficit chaque année. Avec la Covid-19 et son confinement absurde , elle passera très probablement de 100% du PIB à 120% en France. Celle de l’Italie atteindra sans doute 150-160%, se rapprochant des 180% de la Grèce. Dans cette logique ce sont les contribuables qui paieront, l’austérité s’approfondira, notre environnement continuera à être détruit et notre avenir avec lui.

D’autres solutions existent en dehors du système ultralibéral. Taxer les plus riches jusqu’à 95% de leurs revenus au-delà d’un certain seuil, comme cela a été fait aux États-Unis après la crise de 1929. Remettre de la justice et de l’égalité, lutter contre le réchauffement climatique par la diminution de l’utilisation des énergies fossiles, recréer une agriculture de plus petite taille capable de nourrir les populations environnantes avec des produits de qualité, relocaliser une partie des productions industrielles et artisanales, etc. Mais ce ne sont pas les gouvernements actuels, totalement au service des grands actionnaires, qui feront cette inversion idéologique qui consisterait à détricoter les traités du toujours-plus-de-libre-échange et à mettre des barrières douanières. Le monde de demain pour eux doit être celui qui leur a tant profité, celui d’hier: compétition mondiale, moins disant social, fiscal et écologique, transports transocéaniques, croissance des PIB. Que cela se fasse au prix de la destruction toujours plus grande de la nature, de l’exacerbation des inégalités, du racisme et du patriarcat, ne compte pas pour eux. Ils sont d’accord pour repeindre notre monde en vert à l’extérieur, s’il est toujours aussi rouge du feu de l’énergie fossile à l’intérieur, celui qui favorise leurs profits.

Évidemment pour que l’économie mondiale croisse de nouveau et encore, il faudra extraire plus de ressources naturelles et en particulier des ressources fossiles, détruire encore plus de forêts, industrialiser encore plus de terres à coups d’engrais et de pesticides, manger encore plus de viandes, utiliser et polluer encore plus d’eau douce, pêcher encore plus de poissons, transporter encore plus de biens matériels avec d’immenses porte-conteneurs à travers les océans, construire encore plus de routes, de camions, de voitures individuelles, recouvrir encore plus de terres agricoles avec des constructions en béton et acier, déplacer encore plus de personnes dans des avions qui émettent toujours plus de CO2, équiper encore plus de personnes avec des outils numériques, construire encore plus d’immenses serveurs qui consomment déjà 10% de l’électricité mondiale, laquelle est encore à 80% d’origine fossile, etc.

Pourtant les plus riches, les 1%, dont les 0,01%, les grands actionnaires – ceux qui dirigent le monde et sont à l’origine du tsunami de la dette – croient pouvoir se protéger de ses effets en se perchant sur quelques promontoires. Une autre comparaison de la dette avec les mouvements de la nature, ceux qui dépassent la capacité de l’homme à la dominer, est fascinante. Depuis un demi-siècle, les grands prêtres de l’économie nous parlent du ruissellement, du trickle down effect, une formule inventée par les Anglo-Saxons. Selon ce concept, les grandes rivières d’argent permettant à certains d’être si riches, créeraient mécaniquement des milliers de petits ruisseaux irriguant l’ensemble des humains plus pauvres. Grâce à cet apport, pour peu qu’il soit un peu entreprenant, qu’il accepte de traverser la rue, chacun pourrait ainsi s’enrichir. Bien au contraire, dans la vraie nature, ce sont les petites sources, puis les petits ruisseaux qui sont à l’origine des petites rivières qui finissent par se transformer en fleuves et parfois en immenses deltas. Pas sûr que nos grands prêtres, experts en économie, aient compris, en inventant ce concept, qu’ils avaient inversé un principe essentiel de la physique, énoncé par Newton, il y a quelques siècles, la loi de la gravitation. Non, ce ne sont pas les grands fleuves qui font les petites rivières, ni les ruisseaux qui créent les milliers de sources, mais bien l’inverse. Les pommes ne montent pas au ciel, elles tombent de l’arbre quand elles sont mûres.

Le système dette peut être comparé, malheureusement avec beaucoup de vraisemblance, au système de ruissellement de l’eau dans la nature. Si l’immense quantité d’eau charriée par les grands fleuves a souvent pour origine des milliers de petites sources, la richesse des actionnaires des grandes banques et autres multinationales a aussi pour origine les milliers de remboursements de petites dettes. Que ce soient les microcrédits censés, de façon mensongère, apporter un mieux-être à des centaines de millions de femmes dans les pays pauvres du Sud, ou les milliards de crédits revolving et crédits à la consommation destinés à satisfaire les désirs pulsionnels des consommateurs du Nord. Tous concourent à l’accumulation gigantesque de richesses dans les plus grandes banques et autres fonds d’investissement. Car la multitude de ces petits crédits ont des taux d’intérêt de 20% par an, voire beaucoup plus, à un moment où les banques privées, qui les octroient, peuvent se fournir en argent frais auprès des banques centrales publiques à des taux proches de 0%. De façon très étrange, pour ces prêts, on ne parle jamais de taux usuraires !

L’annulation massive des dettes des pays du Sud et plus particulièrement des pays d’Afrique subsaharienne, proclamée par Macron en avril 2020 est une parfaite contre-vérité, comme l’est le fameux effet de ruissellement des riches vers les pauvres. Les véritables annulations générales des dettes illégitimes que nous demandons assécheront les sources d’enrichissement des 1%. Ils n’y consentiront jamais de leur propre gré. L’établissement d’un rapport de forces est indispensable pour que le système des dettes illégitimes disparaisse. La dette offre aujourd’hui à un petit nombre de prêteurs un pouvoir d’asservissement sur la multitude dont l’ampleur est le plus souvent invisible pour la majorité d’entre nous. Un travail de mise en lumière, de prise de conscience, de chacun et de tous, est indispensable. Pour que le monde change, que la destruction tsunamiesque en cours s’arrête, il faudra que dans la tête du plus grand nombre, s’installe un autre imaginaire que celui du bonheur par l’accumulation matérielle, et de l’emprunt pour le satisfaire. Car là est la source de la dette et du véritable ruissellement, celui de l’argent des plus pauvres qui monte vers les plus riches, celui qui crée l’injustice et les inégalités, celui qui détruit l’humanité et son espace de vie.

Nicolas Sersiron ; pour.press