Une catastrophe environnementale, sociale, économique…
Lors de la crise sanitaire, certains se sont réjouis du recours accru aux circuits courts.
Hélas, le commerce qui a surtout profité du confinement est le commerce en ligne : celui-ci a gagné des parts de marché et des milliards de dollars. Le patron d’Amazon est devenu, de loin, l’homme le plus riche du monde[1]. Grand bien lui fasse…, mais c’est malheureusement aux dépens de milliards d’humains…
Si l’e-commerce suppose toujours une transaction entre un vendeur et un acheteur, il existe de multiples variantes de ce type d’échange contractuel entre partenaires via l’internet. Voyons d’abord ces différents cas de figure.
Les variétés de relations vendeur-acheteur
Les variétés de relations commerciales en ligne peuvent concerner divers acteurs. On classe souvent ainsi :
- échange électronique entre entreprises et gouvernement, appelé B2G, acronyme anglais de business to governement(d’entreprise à gouvernement) ;
- commerce électronique entre entreprises, souvent appelé B2B, acronyme de business to business (d’entreprise à entreprise) ;
- échange électronique entre une entreprise et ses employés (appelé aussi Intranet), B2E, acronyme de business to employee (d’entreprise à employé) ;
- commerce électronique entre particuliers, C2C, consumer to consumer : il s’agit de sites web de vente en ligne entre particuliers (par exemple e-Bay ou Le Bon coin).
- commerce électronique à destination des particuliers, ou B2C, business to consumer (d’entreprise à consommateur ou à client »).
C’est ce dernier type de commerce, dont vous et moi sommes la cible, que nous entendons étudier quant à leurs effets positifs ou carrément nuisibles.
De façon un peu subjective, nous pourrions classer les types de produits services vendus selon leur pertinence ou, a contrario, leurs effets désastreux pour l’environnement, le social et l’économique.
- Le tourisme et les voyages : il paraît cohérent et efficient de réserver en ligne des billets de train ou d’avions, des locations d’hôtels, de Bed and Breakfast ou de gîtes (à condition qu’ils ne soient pas AirBnB) en ligne. Cela évite des déplacements inutiles et permet de gagner du temps à l’arrivée. Il faudrait toutefois veiller à ce que les réservations se concrétisent par des billets imprimables sur papier et pas par ces technologies sur smartphone qui obligent à disposer de ces outils technologiques coûteux et à l’impact environnemental désastreux. Pour ce qui est des locations de vacances, on évitera évidemment de passer par les centrales de réservation telles Booking ou Tripadvisor qui prélèvent au passage des commissions léonines au détriment des lieux de séjour : on trouve quasi toujours les coordonnées du lieu où vous souhaitez séjourner, ce qui permet d’entrer en contact direct et de faire des économies. Contacter directement l’hôtel ou le gîte est aussi bien plus convivial.
- La culture : les billets de théâtre, de conférences et autres activités culturelles sont aussi des achats qui présentent peu d’avantages achetés en ligne et d’éviter déplacements inutiles.
- La location de films (Netflix) ou de musique (Spotify, Deezer, YouTube Music, Amazon Music…) en
- Le développement de photos ou la commande de produits d’imprimerie (faire-part, cartes de visite, affiches…) sont aussi possibles et positifs si réalisés en ligne, à condition que vous vous adressiez à des sociétés géographiquement proches de chez vous (problème de l’enlèvement ou de la livraison).
- Réserver en ligne des prestations de services à domicile (ménage, travaux, bricolage, coiffure…) est également une pratique qui peut présenter certains avantages.
Mais là où l’e-commerce devient très problématique, c’est quand il se mêle de proposer la livraison à domicile d’objets plus ou moins lourds (plus les objets sont volumineux, plus l’e-commerce est nuisible). Cela avait débuté avec des objets culturels tels les livres, les CD, les DVD (secteur qui a permis à Amazon de croître et prospérer) où l’amateur avait la possibilité de commander dans un éventail d’offres évidemment bien plus large que n’importe quel magasin physique. Mais peu à peu la gamme s’est élargie : on peut aujourd’hui acquérir en ligne, des appareils technologiques, des jouets, des vêtements, des meubles et, évidemment, la palette apparemment infinie des gadgets fabriqués à bas coût dans le pays-usines où la main d’œuvre est surexploitée. Récemment, on va même jusqu’à proposer de l’alimentation. Pas étonnant que l’on peut qualifier l’e-commerce de supermarché en ligne, market place comme le nomme le globish à la mode.
Voyons en détail les trois types de nuisances générées par l’e-commerce.
Aberration environnementale
D’évidence, l’e-commerce va à l’exact opposé de ce prônent les écologistes. Ici, pas de circuit court, pas d’économie dans les transports, mais au contraire souvent des milliers de kilomètres parcourus par les objets achetés en ligne. Et non seulement les distances sont augmentées, mais les livraisons au domicile de chaque client multiplient les trajets, souvent avec des moyens de transport disproportionnés. En profitent largement les sociétés de livraison et parfois les services postaux, mais au prix d’émissions de CO2 gigantesques. Certes, les pizzas livrées en vélo par les coursiers sont moins énergivores, mais on assiste là à la dérive de l’ubérisation, cette forme de néo-esclavage hypermoderne qui mérite des articles à soi seul. De plus, comme un argument de vente majeur de l’e-commerce est le « Tout, tout de suite », les livraisons à longue distance ne se font pas par les moyens de transport les plus rationnels, mais on recourt souvent à l’avion ou au camion plutôt que le bateau ou le train.
Les objets livrés devant résister aux inévitables chocs des livraisons, ils sont emballés, protégés, surprotégés. Non, seulement c’est un gaspillage insensé de matières, mais dans les régions où l’on développe la collecte et le recyclage des déchets, on assista à l’explosion des quantités de cartons qui souvent portent le sourire niais de la firme la plus connue du secteur. On ne sait plus qu’en faire et les filières papier/carton sont débordées.
Enfin, comme tout commerçant, l’e-commerçant doit accepter le retour d’une commande abîmée, non conforme ou non appréciée (d’autant plus fréquent que l’on n’a pas vu l’objet acheté en réalité, mais seulement une image virtuelle sur un écran). Retour donc sur une bonne distance jusqu’à l’entrepôt de répartition le plus proche où… l’on ne va pas consentir le coût d’un aller-retour jusque chez le fabricant et où, donc… on détruit souvent le produit retourné. Vous avez dit « gaspillage organisé » ?
Destructions sociales
Les reportages sur les conditions de travail dans les immenses hangars où l’on trie et conditionne les produits avant leur envoi sont édifiants : ce sont les exemples les plus aboutis de l’exploitation capitaliste rationalisée selon les technique du XXIe siècle. Non seulement les salaires sont très bas, mais les conditions de travail sont affreuses. Les processus de travail sont informatisés, ne laissant guère d’initiatives et d’actions constructives aux ouvriers ; parfois, ils sont guidés par des systèmes informatiques qui leur donnent des ordres, seconde après seconde, et les orientent en permanence. Enfoncé Charlot, martyrisé par les machines dans Les Temps modernes.
Le second groupe des victimes de l’e-commerce est évidemment les acteurs du commerce traditionnel. On pense souvent aux petits commerces de proximité, libraires, disquaires, magasin de vente de vêtements…, mais aujourd’hui, ce sont les grandes chaînes de distribution, supermarchés y compris, qui sont victimes de la concurrence impitoyable de l’e-commerce. Dans la logique du néolibéralisme, le plus fort l’emporte toujours et la concentration des moyens dont profitent les multinationales de l’e-commerce les met en position de force pour éliminer leurs concurrents. On ne s’apitoiera pas sur le sort des dirigeants et des actionnaires des grandes chaînes de distribution qui, après avoir mis à mort tant de petits commerce, se voient menacé dû même sort par plus puissants qu’eux, mais on pense aux millions de travailleurs et de travailleuses qui, grâce aux combats syndicaux, ont lentement conquis des conditions de travail en peu plus acceptables et qui se voient aujourd’hui mis au chômage et remplacés par les malheureu·ses·x qui s’épuisent dans les entrepôts-usines d’Amazon ou d’Alibaba.
Certes, les bons apôtres du numérique incitent les commerces traditionnels à affronter leurs e-concurrents sur leur terrain et à créer leur propre service de vente en ligne. Certains s’y essaient, avec plus ou moins de succès. Mais face aux géants de l’e-commerce, les nains locaux sont en position de faiblesse.
On sourira quand même de voir des actions de résistance telle celle initiée par la Région d’Occitanie qui a détourné les logos des géants du net, dont celui d’Amazon, pour inciter ses ressortissants à acheter local (ci-contre).
Le dépeçage économique
On réalise peu l’impact macro-économique désastreux sur les économies généré par l’e-commerce. Prenons l’exemple des films visionnés en ligne. Auparavant, on allait au cinéma ou on louait une K7-vidéo ou un DVD chez un loueur local. Aujourd’hui, quand vous vous abonnez à Netflix, il n’y a aucune activité en Europe. Tout est géré aux États-Unis, de manière centrale et unique pour le monde entier et, surtout, la facturation est hors taxe depuis les Bahamas et vous payez sur un compte bancaire dans la mer des Caraïbes. De même, toutes les commissions empochées via Uber, AirBnB, Hôtel.com, Tripadvisor, Booking.com… vont vers des paradis fiscaux de sociétés états-uniennes (en plus de mettre sur la paille les hôteliers, les restaurateurs et les taximen de chez nous).
De même, Paypal encaisse ici des centaines de millions d’€ dont une bonne partie s’en va vers l’étranger. Adwords, le programme de publicité de Google qui pollue vos recherches fait chèrement payer aux annonceurs l’inscription de leur pub. Si vous voyez apparaître des hôtels, des restos ou des commerces sur Google maps, c’est que ceux-ci ont payé leur écot à Google. Tout cela est facturé, hors taxes, depuis l’Irlande et payé par carte bancaire sur le compte de Google Irlande.
Pour les livraisons d’objets, c’est tout aussi problématique du point de vue économique. Prenons Alibaba, le géant chinois de l’e-commerce, qui va envahir l’Europe via son hub liégeois. Auparavant, quand un industriel chinois vendait un produit 1€ à une marque occidentale, il était vendu 20€ en Europe, les 19€ allant aux transporteurs, aux grossistes, aux détaillants dont la majorité étaient européens. Avec Alibaba, tous ces intermédiaires seront contournés et les 19€ iront droit dans la poche d’Alibaba. Quand on dit 19€, ce sera plutôt 14€ car, avec la marge énorme réalisée, les Chinois vont pouvoir vendre leur produit 15€, éliminant ainsi tous leurs concurrents européens qui ne pourront vendre à moins de 20€. Le low cost, si apprécié par les hyperconsommateurs, va ainsi ruiner des milliers d’entreprises locales. Alibaba est un supermarché chinois destiné aux industriels chinois qui va leur permettre de vendre chez nous des vêtements que l’on jettera après les avoir mis 3 ou 4 fois, de fourguer des cadeaux de Noël que l’on cassera en quelques jours, de distribuer des produits électroniques qui sont programmés pour se mettre en panne au bout de quelque temps…
On l’aura compris, l’e-commerce est une machine infernale qui va permettre au géant du net, états-uniens et chinois, de littéralement coloniser le reste du monde et d’en extraire toute la valeur ajoutée, notamment eu Europe. Vous direz peut-être que nous avons colonisé et exploité le sud de la planète depuis 2 siècles et que nous pouvons bien être colonisés à notre tour. Bienvenue dans le tiers-monde local…
Les nouvelles sont mauvaises
Avec la pandémie, nous avons été confinés, empêchés de sortir, d’acheter à la boutique d’à-côté et beaucoup se sont rués sur leurs ordinateurs et smartphones. Depuis leur canapé, ils ont continué à pratiquer leur addiction : la consommation. L’e-commerce a connu un boom sans précédent. Voyez le graphique ci-contre ; non seulement les ventes en ligne ont bondi de 100 à 300% pendant le confinement, mais elles ont maintenu une part de leur progression par après. Le monde en ligne s’impose à nous dans toutes les facettes de la vie de nos contemporains.
Si l’on va sur un site qui promeut l’e-commerce comme BDM (méfiez-vous de leur maquillage publicitaire, à coup de mots creux : responsable, circuit court, recyclage…), on constate qu’en France, en 2019 déjà , c’était un marché de 100 milliards €, en hausse constante (+62% en 4 ans), que 40 millions de Français en usent, qu’Amazon tient 54% du marché, que ce sont les fringues qui ont le plus de succès…
La capitalisation boursière d’Amazon est passée de 1.000 milliards $ à 1.500 milliards $ en 6 mois, faisant de Jeff Bezos l’homme le plus riche du monde. La majorité d’entre nous va devoir se serrer la ceinture, mais, sur le mois de juin 2020, les GAFAM se sont gavés de 400 milliards $ en plus, atteignant 6.000 milliards $ de capitalisation. Plus riches que la plupart des États, ils renforcent leur statut de maîtres du monde.
Grâce à Internet, la concentration capitaliste atteint donc des sommets inimaginables. Si vous en êtes effrayés, à juste titre, n’oubliez pas que chaque clic d’achat en ligne fait de vous un complice de ce basculement dans le monde des e-changes marchands dépersonnalisés mais hyper connectés.
[1] Au 31 août 2020, la fortune personnelle de Bezos, atteignait 200 milliards $, soit 85 milliards de plus qu’un an auparavant… Cet enrichissement de 74% est surtout dû à la montée du cours en bourse de ses actions Amazon. Le « pauvre » Bill Gates, second au classement de Bloomberg, ne possède « que » 124 milliards $.
pour.press