Les extraterrestres en costume

Macron est venu dans la Roya.

Il a été bien reçu, des gens sont venus lui parler, et je m’interroge : jusqu’à quand allons-nous tenir des encravatés comme lui comme des interlocuteurs viables ? Alors qu’il est temps qu’ils sachent que tant qu’ils se prendront pour nos chefs, là où nous vivons, ils ne seront jamais les bienvenus, parce qu’ils ne représentent qu’eux-mêmes et leur classe.

Ainsi donc, Macron est venu dans la Roya. Et il parait même qu’il a été parfait, pas arrogant, bienveillant, à l’écoute –comme s’il fallait se réjouir qu’il n’ait pas débarqué avec des pins « 1 millions d’emplois » et en hurlant : « Salut les losers, alors ça fait trempette dans la boue ? Je vous aurais bien proposé de traverser la rue pour trouver un boulot, mais la route a été emportée donc ça va être tendu. Bref je me casse, ici ça pue la chèvre, votez pour moi, et surtout n’oubliez pas : le meilleur moyen de se payer un costard, c’est d’aller vivre ailleurs que chez vous ! Ah ah ! Allez CIAO ».

Or donc, le monarque éborgneur est venu, il a été gentil, et il n’a pas été mal reçu. Le fait que le protocole d’accueil ait été bien préparé et les convives triés a sans doute joué, mais le constat est là : il n’a pas été réceptionné par des jets d’ordures.

Des gens sont allés lui parler, lui exprimer leurs doléances. « Coucou les amis, je rencontre Macron tout à l’heure avec une délégation d’élus, je compte l’interpeller sur plusieurs points concernant nos vallées. J’aimerai discuter un peu avec vous avant, histoire de ne rien oublier… », m’a ainsi écrit une amie (que j’embrasse). Ce à quoi j’ai d’abord répondu : « le seul point crucial est celui portant sur les modalités de sa démission », avant d’ajouter, mon amie m’ayant répondu que cela ne l’aidait pas beaucoup : « Indique-lui simplement que dans le cadre de sa reconstruction, la Roya deviendra une zone de démocratie directe autogestionnaire sur le modèle du Rojava. Qu’il signe les chèques et qu’il se casse ».

A priori ça ne l’a pas beaucoup aidé non plus. Mais cela a suscité en moi cette lancinante question : jusqu’à quand allons-nous tenir des encravatés comme lui comme des interlocuteurs viables ?

Pour être clair, j’envisage bien qu’il soit utile, dans certains contextes, de parler à un.e maire ou à quelque autre élu.e local.e (encore qu’il faille sans doute mieux demander directement à la personne à laquelle l’él.u.e en question compte déléguer le soin de répondre à votre besoin). Mais à mes yeux, parler à Macron ne sert à rien. Parce que lui-même ne sert à rien, que je ne lui reconnais aucune légitimité démocratique, et parce que je me demande bien ce qui peut faire croire à qui que ce soit que ce genre de gugusses en a quelque chose à faire de tout ce que nous pourrons bien lui dire. Si nous lui disons que nous avons faim et qu’un vieux Pepito traîne dans sa poche, sans doute qu’il nous le donnera bien volontiers en lançant un regard plein de commisération à la caméra, mais pour le reste, il continuera à appliquer son programme : à savoir, le pire exemple de gestion verticale, autocratique et ultralibérale que notre pays ait connu dans son histoire récente.

Mais un étrange et insidieux inconscient nous pousse à vouloir y croire, envers et contre tout. Si bien que, même biberonnés à la pensée contestataire la plus radicale, beaucoup, une fois mis en présence du malfaisant présidentiel ou d’un autre, ont toujours ce même réflexe (qui peut-être sera aussi le mien quand je le croiserai) : aller discuter avec le chef, plutôt que de lui signaler ne rien avoir à lui dire et de lui indiquer cordialement la sortie, afin qu’il sache bien que nous contestons en long, en large et en travers son pouvoir et sa fonction. #NotMyPresident, et ni dieu ni maîtres.

Le meilleur moyen de faire prospérer, contre nos propres intérêts et contre l’évidence, des structures politiques injustes, c’est de continuer à y croire. Cette foi, ce consentement général à leur existence, voilà ce qui fait leur force. Comme pour la monnaie : un sou est un sou tant que les gens s’accordent sur le fait que c’est un sou, et Macron un interlocuteur légitime tant que les gens s’accordent sur le fait que c’est un interlocuteur légitime, alors qu’il ne représente plus que lui-même et les gens de sa classe.

Cessons de croire au prétendu pouvoir sur nos vies de ces guignols grand-bourgeois, et ils s’évanouiront comme rosée au matin. Enfin, c’est hélas plus compliqué, mais ce sera au moins un début.

Je ne critique évidemment pas les potes (et les autres) de la Roya qui, après s’être sentis si longtemps abandonnés, se sont réjouis, et c’est bien normal, de voir le Prez’ accorder enfin un peu d’attention à leurs douleurs et leurs combats. Le problème, pour moi, est ailleurs : il est dans notre accoutumance, à tous et toutes, aux lumières mensongères du pouvoir, qui, nous pauvres petits papillons de nuit, nous poussent à croire encore et encore qu’une sorte de salut viendra de ceux qui nous écrasent. L’espoir n’appartient qu’aux désespérés, a écrit Kafka…

La crise consécutive à la tempête Alex, il est nécessaire de le dire, a été, pour le moment, bien gérée. Mais qui doit-on en remercier ? Macron ? Darmanin ? Estrosi ? Ciotti ? Le gouvernement ? Ou les centaines, les milliers de travailleurs, et de bénévoles, et d’habitant.e.s des vallées qui ont prêté et prêtent encore main-forte à la reconstruction ? Et la cohorte de fonctionnaires qui furent et demeurent les réels organisateurs de cette fourmilière salvatrice ?

La voilà, la République réelle. Et elle n’a pas besoin d’eux, en-haut, pour exister. Les donneurs d’ordre signeurs de chèque n’ont aucun mérite quand ils font ce pour quoi ils sont, normalement, désignés : nous laisser nous organiser en tant que peuple libre, dans le bonheur comme dans l’épreuve.

Mais libres, justement, nous ne le serons pas vraiment tant que nous tiendrons pas ces gens-là pour nos employés, et que nous ne manifesterons pas aux plus incompétents de ces employés, Macron en tête, qu’ils ne sont plus désirables et qu’il est temps de prendre congé. Qu’ils restent dans leur bureau à faire des virements sur nos cagnottes autogérées, ce sera bien suffisant, on s’occupe du reste.

Et qu’ils sachent que tant qu’ils se prendront pour nos chefs, là où nous vivons, ils ne seront jamais les bienvenus.

Parce que ce que nous voulons, finalement, c’est quoi ?

« Ce que nous voulons », c’est le titre du « Communiqué des habitants de la Roya et de Saorge libre (ou presque!) », écrit par les copaines à Saorge donc, autre village de la Roya, peu après la tempête. Je crois que je ne trouverais pas ailleurs une réponse plus juste à cette interrogation :

« En ces temps difficiles, En réponse aux multiples sollicitations sur nos besoins, nous vous disons, nous exigeons : Foie gras, I.G.P. du sud-ouest, certifié par Cyrille Lignac, pour se réchauffer ; Vin nature uniquement, d’ici et d’ailleurs pour la convivialité ; De l’argent liquide car nous sommes tous dans la même réalité !; Tome de brebis des alpages, pour rester connectés ; Des piles pour les transistors, pour être informés ; Des ponts, des voies entre nous pour l’égalité ; Bières bio et locales d’une manière générale, pour la pression, la faire baisser ; Des bougies pour la lumière dans nos yeux, pour la beauté ; Des drapeaux de prière bouddhistes, pour continuer d’y croire, et pour la paix ; Des instruments de musique pour la fraternité ; De l’eau pour un apéritif anisé !; Vos pensées, vos messages, votre soutien, pour qu’à l’avenir, rester ici rime avec liberté ! »

Mais pas d’homme politique venu faire croire qu’il sert à quelque chose, pour mieux continuer à nous voir enchaînés.

Comme l’a écrit notre copaine Anaïs, de Mouais et d’ailleurs, qui vit à Tende, que j’embrasse bien fort, et qui a commenté ainsi sa photo, ci-dessus, de Manu et Cricri en train de se demander wesh wesh bien ou bien : « Entre extraterrestres ; pas sûre qu’on se comprenne »…

Sur ce je vous laisse. N’en déplaise à Darmanin et Macron, il y a encore et toujours des demandeurs et demandeuses d’asile, à la frontière, qui ont besoin de nourriture.

Vivà la Roya,

Salutations libertaires,

M.D.

Parlant autogestion, le petit journal dont j’ai la joie de faire partie, Mouais, mensuel dubitatif, a besoin de vous pour vivre, pour 22 euros par an, un numéro par mois, vous ne serez pas déçus :

https://www.helloasso.com/associations/association-pour-la-reconnaissa

Blog : Ni égards ni patience. Le blog de Mačko Dràgàn