Décroissance = récession ?

« S’il y a un ennemi à la nature, c’est le capitalisme extractiviste et productiviste »

Pointant quelques inexactitudes dans les propos de Christian Jacob qui s’en prend à l’« idéologie écologiste », Stanislas Rigal, biologiste de la conservation, souligne qu’il est erroné de penser que décroissance est synonyme de récession.

Il faut commencer par souligner que la tribune du président Les Républicains Christian Jacob (« Pour respecter les accords de Paris via la décroissance, il faudrait rester confinés pendant trente ans », Le Monde du 23 novembre) fait l’effort d’apporter quelques nuances là où le débat tourne souvent autour d’idées générales. Cependant, les inexactitudes qu’elle contient sont malheureusement encore nombreuses et nécessitent une clarification.

Reprenons dans l’ordre.

La population mondiale en 2050 nécessitera-t-elle une augmentation considérable de production agricole ? On peut légitimement se poser la question, alors qu’actuellement environ 30 % de la nourriture produite est gaspillée, que 820 millions de personnes sont en sous-alimentation sévère, mais que 13,2 % des adultes sont obèses.

Un problème de répartition

C’est un problème de répartition qui est en jeu ici, car il y a suffisamment de capacité de production sans recourir à la déforestation ou à l’expansion du modèle agricole industriel occidental qui fait déjà des ravages dans le monde entier et qui est, par nature, non durable. N’oublions pas que la majorité de la production est assurée par de petites exploitations qui, pourtant, sont loin d’occuper la majorité des surfaces agricoles.

Mais venons-en au point central de la tribune : la récession n’est pas la décroissance.

La seule écologie réaliste, notamment dans les sociétés occidentales, est celle qui fait décroître l’impact humain sur la biosphère et les quantités d’énergie et de matière extraites de l’environnement.

Alors que la récession est un phénomène inattendu, touchant la quasi-totalité des secteurs sans discernement, créant du chômage, diminuant les moyens de subsistance des plus pauvres et accentuant les inégalités, la décroissance est une entreprise prévue, se concentrant sur les secteurs ayant l’impact environnemental le plus négatif, améliorant le quotidien des plus nombreux, réduisant les inégalités par une redistribution des ressources et une démarchandisation du monde.

De surcroît, là où les politiques environnementales sont sacrifiées au nom du retour de la croissance à tout prix, la décroissance s’inscrit dans une transition rapide et ambitieuse, d’un système obèse reposant sur les énergies fossiles vers un système sobre et convivial.

Incantations

En effet, l’humain n’est pas un ennemi de la nature. S’il y a un ennemi, c’est le capitalisme extractiviste et productiviste, en place en Occident et qui se mondialise. Et ce capitalisme n’est pas une abstraction solitaire. Non, il y a des gens derrière chaque activité mortifère ou législation laxiste. Eux sont les vrais ennemis de la nature.

La foi en un découplage absolu entre croissance et impacts environnementaux est toujours vive malgré l’absence criante de preuve de tout découplage absolu. Au mieux, on observe un découplage relatif et trop lent, mais c’est loin d’être le cas général.

Les incantations sont donc le fait de ceux qui refusent la réalité physique, à savoir que la croissance des flux de matière et d’énergie extraits d’un environnement fini admet des limites physiques.

Pour reprendre les mots du philosophe André Gorz (1923-2007) qui n’ont rien perdu de leur actualité : « L’utopie ne consiste pas, aujourd’hui, à préconiser le bien-être par la décroissance et la subversion de l’actuel mode de vie ; l’utopie consiste à croire que la croissance de la production sociale peut encore apporter le mieux-être, et qu’elle est matériellement possible. »

Changer de paradigme

La problématique de production d’énergie souligne justement l’utopie de la croissance. Les énergies renouvelables utilisées pour la production d’électricité sont principalement intermittentes. Donc, dans l’optique d’accroître la consommation et la production d’énergie, effectivement les renouvelables ne sont pas la panacée, d’autant que l’impact environnemental des infrastructures n’est pas neutre.

Mais en fait, dans cette optique, rien ne sera suffisant, car les minerais radioactifs sont des ressources limitées (et non souveraines) tout comme les ressources carbones fossiles. En passant, il convient de corriger un autre point, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ne « préconise » rien, il décrit des trajectoires possibles, certaines avec une part stable ou croissante de nucléaire mais d’autres où la capacité du nucléaire diminue. C’est donc bien de paradigme qu’il faut changer, à savoir baisser la consommation et la production d’énergie.

Les mobilités électriques venant avec leur lot d’inconvénient et d’impacts cachés tout comme les biocarburants ne sont pas la solution miracle dans une optique de développement continu. Idem pour l’hydrogène vert nécessitant une importante quantité d’électricité décarbonée qui entrerait en concurrence avec d’autres usages s’il était promu comme moyen de transport.

Là encore, une modification des mobilités est indispensable, vers des véhicules plus légers, partagés et vers le train, mais tout cela ne remplacera pas une nécessaire réduction des distances parcourues. C’est d’autant plus vrai pour l’aviation pour laquelle il n’existe pas de moyen crédible de réduire les émissions en augmentant les vols.

Des niveaux non soutenables

Il est donc trompeur de faire miroiter des lendemains qui chantent à ce secteur, alors que l’honnêteté consiste à proposer aux travailleurs du secteur aérien et en concertation avec eux, des plans de formations qui assurent leur avenir.

Les attaques contre « l’idéologie écologiste » peuvent se retourner facilement, en partant de chiffres précis concernant la réalité physique. Les flux de matière et d’énergie ont atteint des niveaux non soutenables, même à l’échelle de la France. L’empreinte carbone y est de 11,2 tonnes équivalent CO2 (tCO2eq) par habitant au lieu de 2 tCO2eq. L’empreinte matérielle est à 13,2 t par habitant et devrait être divisée au moins par deux pour redevenir soutenable, etc.

La question n’est pas d’avoir un gâteau toujours plus gros, surtout quand le four n’a plus la taille suffisante pour le cuire, la question est de découper plus équitablement ce gâteau et de lui rendre une taille qui permette de le passer dans le four.

Finalement, le point principal n’est pas tant de savoir si la décroissance est, ou non, une utopie de néo-hippies nécessitant de rester confinés trente ans, mais de savoir si nous allons la prévoir ou la subir.

Stanislas Rigal ; le monde