Le bimestriel Kairos et les objecteurs de croissance ont leur mot à dire
La fin de leurs illusions
Un document du Mouvement politique des objecteurs de croissance
L’année 2020, totalement atypique, s’achève pour la plupart d’entre nous avec des sentiments d’incertitude et d’amertume. Pourtant, à l’issue d’un printemps confiné, on croyait sentir que beaucoup, à l’occasion de la crise sanitaire, avaient compris que le projet de société qui prévalait jusqu’alors était une impasse et que l’on allait changer de cap. Il y a avait eu comme un rééquilibrage des valeurs et un grand nombre de personnes semblait réaliser que l’essentiel n’était pas d’avoir toujours plus de choses, mais que la solidarité, les liens sociaux, les relations humaines… tout ce qui avait été mis à mal par la « distanciation sociale » (cette stupide expression), était le plus important.
Hélas, le système dominant a prouvé une fois de plus sa capacité à rebondir et, avec l’aide de médias majoritairement complices, le mot d’ordre fut la « nécessité/urgence de la relance » (économique bien sûr), le retour à l’anormal d’avant. Les imprudences qui ont suivi et les fausses promesses, caressant dans le sens du poil l’hédonisme et l’individualisme toujours bien présents, font que nous vivons en cette fin d’année la seconde/deuxième (barrer la mention inutile) vague de la pandémie. En tant qu’objecteurs de croissance, nous avons pourtant senti une grande adhésion envers un de nos slogans préférés, « Moins de biens, plus de liens ».
Le vieux monde ne veut donc pas mourir et il faudra reprendre nos bâtons de pèlerin et inciter encore plus de nos contemporains à tirer les conséquences de la perte irrémédiable de leurs illusions. Car, comme l’écrit superbement Marina Garcés dans Nouvelles Lumières radicales[1], nous vivons dans une « condition posthume », puisque nous sommes conscients que « tout a une fin : on a connu la fin de la modernité, celle de l’histoire, des idéologies et des révolutions. On a vu arriver la fin du progrès : de l’avenir comme temps de promesse, de développement et de croissance. » Se profile donc la fin de nos civilisations (pas la fin du monde, de la vie sur Terre ou de l’espèce humaine, mais des civilisations patiemment construites depuis une dizaine de millénaires).
Le combat de la pensée contre le nouvel obscurantisme
Face à la volonté des puissants d’imposer « le présent éternel de l’hyperconsommation », grandit le désespoir de ceux qui ont compris, rationnellement ou instinctivement, que cet immobilisme pervers mène nos sociétés à la catastrophe. S’impose(nt) donc ces temps-ci le(s) concept(s) de collapsologie(s). Nous mettons le pluriel, car il est diverses formes de collapsologie. Il est clair que si nous n’abandonnons pas rapidement le cap du productivisme, le pire est à craindre, mais il y a ceux qui espèrent encore en un virage rapide et radical et ceux qui n’y croient plus au vu du « verrouillage idéologique autour de la [fausse promesse] du développement durable qui a permis de clore toute discussion au sujet de la durabilité du système économique lui-même » et qui préparent déjà l’après-effondrement.
a crise du Covid a pourtant montré toute l’importance du care, le soin que l’on prodigue aux autres qui est un élément-clé transversal, commun à l’écoféminisme, à l’autodéfense locale, aux initiatives de transition, à un autre rapport aux vivants non-humains. Mais si la décroissance ne s’impose pas, et vite, « ces soins que l’on vante tant commenceront à ressembler un peu trop aux soins palliatifs ».
Marina Garcés nous incite donc à reprendre le combat des Lumières qui, il y a 3 siècles « ont mené le combat de la pensée contre les savoirs établis et leurs autorités ». Le combat radical que nous devons mener aujourd’hui va se heurter non plus aux traditions obscurantistes, mais aux dogmes tout aussi figés de la démesure du capitalisme technologique. Ce que nous vivons en 2020 renforce la pertinence de notre message et la crédibilité de notre cri : « Nous ne vous croyons plus ! ».
1 Il faut lire cet ouvrage de la philosophe espagnole qui en 85 pages d’une densité incroyable dresse un tableau sans concession des défis auxquels est confrontée notre civilisation : Marina Garcés, Nouvelles Lumière radicales, Editions La Lenteur, 2020, 10€.
www.objecteursdecroissance.be – info@objecteursdecroissance.be
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Quand la démocratie est infectée par la covid 19
Selon la Commissaire européenne en charge de la santé Stella Kyriakides, la levée des mesures de confinement les plus drastiques au début de l’été a eu l’effet tant redouté : une remontée des cas. Ce qui a conduit d’aucuns à fustiger les mesures d’assouplissement prises en septembre par le gouvernement Wilmès. Or, depuis mars, la Belgique fait partie des pays stricts, s’alignant largement sur les mesures appliquées en France. Des mesures restrictives dont il est, au minimum, permis de discuter l’efficacité, au vu des résultats catastrophiques de la Belgique, dans la gestion de la crise sanitaire. Un large débat public qu’on souhaiterait voir pris en charge par les médias, les partis politiques, avec l’ensemble de la population. Or, on en est loin.
https://www.kairospresse.be/article/quand-la-democratie-est-infectee-par-le-covid-19/
Extraits
QUAND L’ÉMOTION FAIT PERDRE LA RAISON
En premier lieu, on s’interroge sur le rôle joué par les médias officiels dans la crise sanitaire, jouant davantage la carte de la dramatisation, la culpabilisation et l’accusation, au lieu d’endosser le rôle d’honnête courtier dans les débats. Les exemples sont légion.
Dans son édition du 23 octobre dernier, le journal De Morgen publiait la Tribune « Cher Lieven Annemans. Vous êtes le clown entre les acrobates et les trapézistes ». Au motif qu’il préconisait l’assouplissement des mesures corona, en raison des dommages mentaux occasionnés par la maladie, cet économiste de la santé a été décrit comme l’homme qui minimise le virus. Comprenez : « un rassuriste ». Un scientifique, pour qui les mesures sanitaires liberticides sont disproportionnées et qui refuse d’être gouverné par la peur. Un feu de critiques qui l’a conduit à se retirer du Celeval, l’organe consultatif qui aide le gouvernement à lutter contre la crise corona. Est-il légitime de discréditer violemment un académique ou un scientifique sur la place publique, sous prétexte qu’il nage à contre-courant ? Est-ce que le climat de psychose collective, auto-entretenu par les médias, fait à ce point perdre la raison, que les principes de courtoisie, de respect dans les échanges d’idées soient enterrés au passage ? Au vu de la montée d’une intolérance grandissante à toute opinion qui ne s’inscrit pas dans la doxa dominante, on n’ose imaginer le sort réservé en Belgique au virologue suédois le plus écouté en Suède, Anders Tegnell, qui n’a préconisé ni le confinement ni l’obligation du port du masque par exemple, et dont les conseils ont pourtant été suivis scrupuleusement par son gouvernement, en opposition aux stratégies suivies par la majorité des pays d’Europe. Il ne fait guère de doute que ce virologue, pour qui « On ne pourra pas éradiquer le virus, même avec un vaccin. Il va falloir apprendre à vivre avec », eût été médiatiquement lynché, taxé de darwiniste irresponsable, quand bien même sa stratégie ne se soit pas soldée, dans les faits, par un bilan de morts pire que le nôtre, qui l’aurait obligé à revoir fondamentalement sa copie. C’est que chez nous, les grands-prêtres de l’information anxiogène sont à la barre. Les anathèmes et insultes de tous bords, y compris dans les médias officiels, font florès. Florilège.
« Il faut d’urgence nous protéger des égarements des complotistes et négationnistes : il y a péril en la demeure humaine ». Les termes sont forts. Le délit du « négationnisme » est punissable par la loi. Faut-il entendre par « négationniste sanitaire » une personne qui nie l’existence même du virus, une simple élucubration de l’esprit, ou une personne qui en appelle, par exemple, à une autre interprétation des chiffres bruts, publiés par Sciensano, en pointant que le chiffre de mortalité reste stable ? Ce qui relativise, de facto, la dangerosité de l’épidémie. Qu’entend-on par « complotiste » ? Un citoyen lambda qui estimerait que le virus a été créé par l’homme pour anéantir la population ou un citoyen qui exerce son sens critique ?
À ce stade de la crise sanitaire, où l’émotionnel prime sur la raison, tous les amalgames sont permis. La seule vérité scientifique qui vaille, c’est assurément celle des scientifiques dits « alarmistes » (par opposition aux « rassuristes »). « Complotiste » est devenu un mot fourre-tout, utilisé à tort ou à raison, dont l’effet le plus immédiat est de couper court au débat et de cliver la société. Il sonne comme une excommunication du sérail des « bien-pensants ».
Qui plus est. C’est à une véritable chasse aux sorcières que s’adonnent les tenants de l’orthodoxie du « sanitairement correct », dont l’édito paru dans La Libre Belgique, les 17-18 octobre derniers, en constitue un exemple éclairant. « (…) Ce combat contre le virus n’est pas celui de quelques-uns, il est l’affaire de tous et toutes. Les râleurs, ceux et celles qui savent mieux que tout le monde, vont critiquer, se rebeller. Ces inciviques ont une lourde responsabilité dans la propagation du virus. Car ce n’est pas leur vie qu’ils mettent en danger. Mais celles des autres, surtout des personnes fragiles ».
Les coupables sont clairement désignés. Les citoyens. Ceux qui auraient l’outrecuidance de s’interroger sur la pertinence et la cohérence des choix politiques, la « proportionnalité » des mesures dans l’État de droit, les dégâts socio-économiques d’un second confinement brutal, la détérioration alarmante de la santé psychique de la population, face à la prolongation sine die de mesures antisociales contre-nature. Quand bien même les dirigeants politiques ont copieusement insulté notre intelligence collective, en édictant des règles totalement incohérentes, à l’instar du protocole à suivre dans les restaurants, on en déduit qu’un « bon citoyen » est celui qui se tait, donne son blanc-seing au gouvernement dans la gestion de la crise.
Certes, de tels propos n’engagent que leur auteur. Toutefois, ils ne sont pas fortuits. Ils dénotent une dérive médiatique, où la presse devient « muselante ». L’essentiel n’est pas que les mesures soient toujours plus strictes, mais qu’elles suscitent l’adhésion. Ce qui suppose, en premier lieu, qu’elles démontrent leur efficacité. Ce qui présuppose la tenue d’un débat scientifique ouvert et contradictoire, y compris dans la prise en charge médicale, qui ne s’abaisse pas au niveau des invectives et des insultes. Il est sidérant de voir que des scientifiques, académiques, personnel soignant remettant en cause la stratégie sanitaire en vigueur soient discrédités, relégués au rang de « rassuristes », voire « complotistes », autrement dit, de « scientifiques frappés d’hérésie », de parias.
Stigmatisation. Les médias ont un rôle clé à jouer pour empêcher cette dérive dangereuse. Éviter le piège de la propagande inavouée. Dès lors qu’une personne a peur de s’exprimer, de crainte d’être vouée aux gémonies, car son point de vue ne répond pas à la doxa sanitaire, ce sont autant de lézardes dans l’édifice « démocratie ».
Le journalisme en tant que contre-pouvoir. Révéler la face cachée des choses. L’essence du journalisme d’enquête et d’investigation. Nourrir le débat démocratique et faire avancer les mentalités, dans le respect de chacun. Un principe cardinal qui doit impérativement retrouver ses lettres de noblesse.
QUAND LA SCIENCE SE MUE EN IDÉOLOGIE
Qu’il existe une controverse scientifique à propos de la crise sanitaire n’a pas lieu de surprendre, dans la mesure où le virus est loin d’avoir livré tous ses secrets. Asséner, dans ce contexte, des certitudes scientifiques est d’autant plus hasardeux que la recherche scientifique indépendante est structurellement sous-financée. En l’occurrence, à chaque fois qu’une étude scientifique est brandie pour justifier une mesure politique, il convient de s’interroger tant sur son financement que sur les potentiels conflits d’intérêt. Une précaution que devraient systématiquement prendre les dirigeants politiques. À titre d’exemple, lorsque le Ministre-Président de Bruxelles-Capitale, Rudy Vervoort, justifie le maintien du port du masque généralisé à l’extérieur en s’appuyant sur une étude rapportée par Marc Van Ranst dit « notre expert national », on est en droit de se poser la question : pourquoi faire foi en cette étude en particulier (sans même la citer), préconisée par un expert connu pour ses multiples déclarations tonitruantes en faveur de mesures sanitaires toujours plus répressives ? En quoi cette étude serait-elle plus crédible que d’autres, qui prétendent l’inverse, mais qui sont susceptibles d’être écartées au prétexte que ce serait des agents du complot ? Bref, un tri est opéré, qui relève davantage d’un choix politique assumé, et non d’une preuve scientifique irréfutable. D’ailleurs, tous les pays européens ne se sont pas alignés sur des mesures aussi attentatoires à la liberté individuelle. En Suède, il n’est toujours pas question d’obligation du port du masque. En Hollande, un nombre limité de secteurs est concerné. Doit-on penser que ces pays soient gérés par des dirigeants politiques irresponsables, en prise avec des experts fantaisistes et iconoclastes ? Dans la mesure où la décision politique d’entraver le droit de respirer en plein air serait scientifiquement prouvée, comment explique-t-on que ces pays n’aient pas connu un taux de surmortalité par rapport aux nôtres ? Plus fondamentalement, sachant que les dirigeants politiques ont réussi à dire tout et son contraire sur l’utilité du masque pour freiner la propagation du virus en quelques mois, n’ont-ils pas, eux-mêmes, dévoyé la science, en usant abusivement de cet argument d’autorité ?
La lecture des documents officiels de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qu’on ne pourrait raisonnablement suspecter de faire partie de la « complosphère », permet de le penser. En effet, dans sa dernière version Orientations provisoires sur le port du masque, réactualisée le 5 juin dernier, on peut lire ce qui suit : « De nombreux pays ont recommandé au grand public de se couvrir le visage, notamment par un masque en tissu. À l’heure actuelle, on ne dispose pas encore de données factuelles directes de qualité attestant de l’efficacité du port généralisé du masque par les personnes en bonne santé dans la communauté et il faut procéder à un bilan des avantages et des inconvénients à cet égard ». Et l’OMS de détailler la liste des avantages potentiels, dont : « l’impression donnée aux gens de contribuer à stopper la propagation du virus », « l’occasion de rappeler à la population les autres mesures (gestes barrières) à respecter ». Quant à la liste des inconvénients, retenons entre autres : « le risque potentiellement accru d’autocontamination dû au fait de manipuler un masque facial », « mal de tête et/ou difficultés respiratoires », « difficulté de communiquer clairement », « difficultés liées au port du masque par les enfants, asthmatiques ou les personnes souffrant d’affections respiratoires chroniques (…) ».
À la lumière de ces recommandations, on s’étonne que le gouvernement belge, épris de multilatéralisme, ait fait peu de cas des conseils nuancés, formulés par l’OMS. Or, si l’été dernier, l’obligation généralisée du port du masque en extérieur dans certaines villes a suscité de l’opposition, c’est précisément en raison de son caractère arbitraire, disproportionné et non étayé par aucun consensus scientifique. Qu’à cela ne tienne. Revendiquer son droit de respirer à l’air libre en extérieur est désormais (très) mal vu. Un acte d’égoïsme éhonté, une incivilité, voire un crime, la tyrannie de la liberté individuelle ? Du reste, que les enseignants, et plus singulièrement les élèves de secondaire aient le triste privilège de devoir le porter de nombreuses heures durant, sans que la question des risques, notamment pour la scolarité, soit débattue, leurs souffrances entendues, tranche avec la rhétorique de la solidarité collective envers les personnes vulnérables, que les médias et dirigeants politiques nous martèlent au quotidien. Plus généralement, que valent les discours de bienveillance, selon la formule consacrée « Prenez soin de vous et des autres », dès lors que, dans les faits, il n’est même pas permis de débattre sur l’état de nos droits fondamentaux, affectés par la crise sanitaire ? Ce qui suscite pourtant de plus en plus l’inquiétude de nombreux avocats et experts des questions juridiques, pour qui certaines mesures restrictives ont une base juridique trop faible ou qui s’interrogent sur leur « proportionnalité ».
À une époque où les études scientifiques sont de plus en plus instrumentalisées à des fins politiques, les dirigeants sont tenus d’étayer leurs décisions sur base de preuves scientifiques solides, irréfutables, en citant leurs sources. Sans quoi ils alimenteront la défiance citoyenne vis-à-vis du politique. À ce titre, la citation de la philosophe Hannah Arendt est d’une actualité criante : « Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges, mais que plus personne ne croit plus rien. Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d’agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger ».
LA STRATÉGIE DE LA COMMUNICATION
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Ne pas traiter “Mal traités”
Difficile d’accoler au documentaire “Mal traités”, l’épithète complotiste*… Les médias de masse, ceux qui s’érigent en producteurs d’Infos d’Origine Contrôlée (IOC), en parlent donc peu. Quand la catégorisation excluante n’est pas possible, ils en reviennent aux anciennes habitudes qui ont fait leur marque de fabrique : le silence, comme si cela n’avait jamais existé.
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* À l’instar du documentaire Hold-Up, qui bien que critiquable, a donné lieu dans les médias mainstream et alternatifs confondus, à un inventaire obligé des “fausses informations”, permettant ainsi de ne pas discuter de tout ce qui était vrai et intéressant. On a aussi pu assister à des situations assez cocasses, où des organismes comme Les Décodeurs du journal Le Monde osaient se faire donneurs de leçons.