Encore une loi répressive des sénateurs de droite
Une nouvelle proposition de loi votée par les sénateurs veut durcir les sanctions contre les installations des voyageurs et permettre de saisir leur véhicules d’habitation.
« Gestion des flux », « éviter la surcharge d’aires d’accueil », « renforcer l’arsenal contre les installations illégales »… Voici quelques uns des termes utilisés cette semaine par des parlementaires de droite pour qualifier les citoyens voyageurs en France. Le 19 janvier, le Sénat a adopté en première lecture une nouvelle proposition de loi des Républicains visant, selon son titre, « à consolider les outils des collectivités permettant d’assurer un meilleur accueil des gens du voyage ». Dans son contenu, le texte de loi tend plutôt à renforcer les sanctions à l’encontre des voyageurs.
Déjà en 2018, une proposition de loi à l’initiative de sénateurs LR avait abouti à réprimer plus durement les installations de voyageurs considérées comme illicites. La nouvelle proposition déposée ce mois-ci veut « renforcer la procédure administrative d’évacuation d’office en cas de stationnement illicite ». Elle doit aussi durcir les peines pour les dégradations de biens commises au cours d’une installation considérée illicite, créer un nouveau délit d’occupation « habituelle » d’un terrain sans titre si elle est « en réunion », et permettre la confiscation des véhicules d’habitation des voyageurs pour les installer sur une zone décidée par les autorités.
De l’autre côté, les sénateurs ont voté pour alléger les obligations des communes en matière de construction d’aires et de terrains d’accueil, en supprimant le dispositif de consignations financières (des sommes à payer) décidées en 2018 pour les collectivités récalcitrantes.
« L’objectif de cette proposition, c’est de légaliser l’assignation spatiale »
Pour l’Observatoire des droits des citoyens itinérants (ODCI), une organisation des voyageurs eux-mêmes, cette proposition de loi est « déshumanisante » et menace « le mode de vie, l’identité et la culture des voyageurs ». « Cette loi mettra de force les voyageurs dans des terrains désignés ségrégués et généralement insalubres, a réagi l’organisation. La saisie des véhicules à usage d’habitation laisserait les familles « sans aucune solution de logement et donc sans-abri. »
La proposition de loi veut aussi mettre en place un système de réservation des aires d’accueil, obligeant à donner des informations personnelles pour pouvoir y accéder. L’autorisation peut leur être refusée. « Jusqu’ici, le système de réservation n’existait que pour les grands groupes, sur les aires de grand passage, ce qu’on peut comprendre en terme de besoins logistiques. Là, les sénateurs veulent que cela soit obligatoire sans limite de nombre. Donc, même des familles avec deux ou trois caravanes y seront soumises. Cela équivaut à donner carte blanche aux collectivités pour refuser qui elles veulent », commente aussi William Acker, chercheur et voyageur, qui a entrepris un travail d’inventaire des aires et terrains d’accueil en France (voir son travail sur Visions carto).
Il a pu constater que de nombreuses aires d’accueil ne sont pas du tout adaptées à l’accueil : éloignées des villes, loin de tout service, situées dans des zones industrielles à proximité de déchèteries, d’usines chimiques, de stations d’épuration, d’échangeurs d’autoroute. « Il y a des terrains avec des gros problèmes sanitaires, ou des terrains déjà saturés, souligne aussi Nara Ritz, coordinateur à l’Observatoire et lui-même voyageur. Certaines aires et terrains d’accueil sont déplorables, d’autres sont très bien gérés par les villes. Cela veut dire que quand les élus veulent que ça se passe bien, c’est possible. » Pour Nara Ritz, la proposition de loi des sénateurs LR vise au contraire à donner tout pouvoir aux élus pour évacuer les gens du voyage : « Cette proposition est à charge contre nous, elle parle de nous non pas comme des êtres humains mais comme des “flux ». Son objectif, c’est de légaliser l’assignation spatiale. On porte ici vraiment atteinte à nos cultures de nomades », ajoute-t-il.
« Vous stigmatisez les gens du voyage » a dit la ministre du Logement aux sénateurs
Lors des débats sur le texte, les sénateurs ont beaucoup parlé des élus locaux, des maires et de leurs difficultés face aux installations, jamais des expériences des voyageurs eux-mêmes. Le sénateur RN Stéphane Ravier a même qualifié les installations de voyageurs de « véritable fléau ».
Adopté mardi au Sénat, le texte doit ensuite être examiné par l’Assemblée nationale. Or, la ministre du Logement, Emmanuelle Wargon, a clairement exprimé son opposition à la proposition de loi. « Vous stigmatisez les gens du voyage et remettez en cause leur liberté d’aller et venir et leur mode de vie », a-t-elle dit aux sénateurs républicains. Si les députés LREM ont le même respect pour les voyageurs, ils devraient en toute logique refuser le texte.
« Si c’est voté à l’Assemblée nationale, ce serait gravissime. Cela remettrait en cause tout ce qui a été fait depuis trente ans pour tenter de trouver un équilibre dans l’accueil, alors qu’on manque toujours d’aires, commente William Acker. De toute façon, des mesures comme la possibilité de saisir les véhicules d’habitation, ça ne passera pas au Conseil constitutionnel, et si cela passe, ce sera condamné par la Cour européenne des droits humains. Les sénateurs le savent bien. C’est de l’affichage, de l’affichage raciste. »
bastamag