Vers un joyeux confinement en milieu hostile
L’humanité a toujours été attirée par les grands défis d’exploration, mais cette fois elle ferait bien de se poser les bonnes questions. Que penser d’une espèce vivante qui saccage son environnement en espérant trouver une solution à ses problèmes existentiels en rêvant de s’installer sur autre planète totalement minérale, remplie de poussière, sans atmosphère respirable et constamment exposée à un fort flux de radiations c’est à dire parfaitement inadaptée aux nécessités de notre vie biologique ?
L’argent investi là-bas au détriment des besoins d’ici !
Le problème n’est pas que quelques-uns veuillent y aller, mais que cet objectif mobilise une grande quantité d’énergie tant physique qu’humaine (force de travail et de recherche) et engendre une pollution supplémentaire sur la planète qui n’en a vraiment pas besoin. La compétence scientifique et technique mobilisée par de tels projets pourrait être utilisée de manière plus judicieuse pour résoudre plus efficacement les problèmes vitaux qui se posent de manière de plus en plus urgente. Nous sommes capables de faire des fusées énormes, mais nous restons complètement démunis face au problème de l’approvisionnement en eau douce : les glaciers fondent et déversent dans la mer notre réserve d’eau douce et nous regardons ailleurs vers les étoiles ou captivé par notre TV qui nous explique comment les astronautes vont faire pour se débrouiller sur une planète… sans eau. Nous avons vu de belles émissions nous expliquant le déclin de l’île de Pâques : les habitants de l’île auraient coupé toute leur forêt (ressources) et se seraient retrouvés dans l’impossibilité de construire des bateaux ; le passage des colons aurait achevé le travail. Mais tout notre savoir historique semble bien impuissant pour nous aider à prendre de bonnes décisions globales. Notre société technologique s’emporte à penser qu’elle détient la solution à tous les problèmes sans référence aux expériences du passé. C’est une grave erreur.
Les problèmes chassés d’un revers de la main
Notre planète est parfaitement adaptée à la vie telle que nous la connaissons ; les êtres vivants ont évolué avec elle créant une dynamique d’adaptation réciproque. Quel est donc ce rêve d’aller vivre en confinement complet sur une planète hostile balayée par des tempêtes de poussières et grillée par les radiations. On nous présente des perspectives exploratoires excitantes (surtout des roches, de la poussière et des nappes de CO2…), mais on parle peu des conditions de vie réelles. Les problèmes sont innombrables et à chaque fois qu’on nous explique une solution, on passe discrètement sous silence les problèmes restés en suspens et qui souvent rendent la solution proposée impossible. On nous présente des machines tournantes énormes pour résoudre la question des effets de l’apesanteur sur les organismes, mais comment transporter un matériel aussi gigantesque dans une navette spatiale ? En effet, l’atrophie des os et des muscles déclenchée par un voyage de plus de six mois en apesanteur pose un gros problème, car dès leur arrivée, les astronautes devront être frais et dispos pour construire leur station de vie et il n’y aura pas une équipe médicale pour les accueillir comme lorsqu’ils reviennent de la station orbitale.
On nous présente aussi des dispositifs pour récupérer et purifier l’eau, des armoires pour faire pousser des salades et des systèmes de purification de l’air ; tout cela contrôlé par des ordinateurs. Il faut espérer que les puces électroniques vont tenir le coup sous les effets du bombardement des rayons cosmiques. Certains veulent même embarquer des imprimantes 3D. Et puis il y a le problème de l’énergie (la température moyenne sur Mars est de -63°C). Les panneaux solaires ne suffiront pas alors on mettra discrètement dans la navette une mini centrale nucléaire en espérant n’avoir jamais de problème au décollage !
De la planète verte au désert noir
Le problème de la protection contre les radiations n’est pas encore résolu, car en cas d’éruption solaire imprévisible, le rayonnement serait tellement intense qu’il en devient mortel. On parle de faire des petites chambres blindées où les astronautes pourraient trouver refuge (poids ?), ce qui réduira encore un peu plus la surface de confinement. Les futurs voyageurs devront faire preuve d’une force mentale à toutes épreuves. Car en plus du confinement ils devront faire face à d’autres défis : au cours du voyage il n’y aura pratiquement rien à faire pour s’occuper sauf en cas de problèmes. Le sentiment d’isolement sera porté à son maximum puisque la terre ne sera plus visible que sous la forme d’une petite étoile. Il n’y aura aucune possibilité de retour en cas d’incident grave et les contacts radio avec la terre prendront de plus en plus de temps ce qui empêchera tout dialogue immédiat. N’est-on pas en train de se lancer dans une exploration qui sera un enfer de vie pour aller se confiner (encore !) sur une planète faite de rochers et de poussière violemment exposée au rayonnement cosmique à tel point qu’il faudra peut-être aller monter la station dans des tunnels de lave ! Adieu la lumière. Évidemment on pourra toujours sortir faire un tour en scaphandre hyper lourd et sophistiqué, bien confiné dans une bulle de plexi.
Vive le caprice de quelques-uns et tant pis pour le climat
À l’heure où l’humanité se plaint de devoir se confiner à cause d’un virus, on dépense des sommes énormes pour faire une expérience d’exploration hyper confinée ! Nous savons que nos ressources terrestres sont limitées, mais nous continuons d’agir en l’ignorant… Pour combien de temps encore ? C’est là toute la question. Il est à craindre que la course en avant du « tout technologique » ne va pas nous rendre plus clairvoyants dans nos choix. Quand nous parlons de changement, nous pensons à changer le monde matériel alors que c’est au niveau intérieur de notre perception même de la vie que le changement doit s’opérer si nous voulons continuer à pouvoir choisir.
André Rulmont,Professeur émérite, Université de Liège.