Menace nucléaire sur l’Europe, le rayonnement de la France, dix ans après Fukushima
Un livre de Jean-Marc Sérékian
Chapitre 2 : Les faits sont têtus, mais l’avenir est radieux
Humanisme d’Etat d’Urgence – Dernières paroles d’alerte – Science et Infox pour la Science – Derrière l’infox, les faits sont têtus – Dans l’adversité, l’imposture continue – Nouvelle mise en scène – Le mensonge érigé en système – Fenêtre de tir unique pour la Babel nucléaire
Extraits
Humanisme d’Etat d’Urgence
Vers la fin de l’année 2019, dans un contexte de déliquescence du système hospitalier en grande souffrance silencieuse depuis deux décennies, l’Etat-providence du Nucléaire de France, décida de faire l’effort d’une modique dépense de santé publique pour un geste d’humanité envers sa population. Mais, encore une fois, à la guerre comme à la guerre… En ce domaine on sait que, même si la gestion des ressources humaines est de type sacrificiel, l’Etat doit veiller à ce que chaque homme de troupe ait au moins assuré sa ration calorique alimentaire et ses doses de tranquillisants son vin et son tabac… « Comme en Quatorze ! » Ainsi, les autorités nucléaires décidèrent en octobre 2019 d’élargir le périmètre de sécurité autour des centrales atomiques donnant droit à la dose d’iode protectrice de la thyroïde. D’un coup, le rayon des champs d’honneur nationaux fut passé de dix à vingt kilomètres. On ignore comment fut fait le calcul mais, on l’imagine aisément, ce geste symbolique de médecine préventive a dû être l’un des plus difficiles à décider puisqu’il consistait de fait à un changement de paradigme dans la doctrine de la sûreté nucléaire française. De l’instant d’avant du rayonnement médiatique triomphant de l’atome tricolore « bas carbone » on passait à l’instant d’après du rayonnement ionisant de l’atome dans le monde réel. L’Etat révélait pour la première fois en acte qu’il existe bien un danger atomique en France. Et, comble de transparence, il se situe très précisément en périphérie des centrales de l’Hexagone et non d’un vague nuage venu d’ailleurs. Au-delà du cercle de 20 kilomètres de rayon, le risque nucléaire persiste bien sûr, comme nous l’ont appris Tchernobyl et Fukushima, mais sa gestion surpasse les largesses humanitaires de l’Etat. Comment dire à quelques dizaines de millions de Français qu’ils vivent trop près d’un danger atomique ? Mission impossible… même avec la meilleure volonté d’un Etat que l’on imagine soucieux de l’état sanitaire de sa population. C’est déjà trop difficile voire, à ce jour, encore impossible en France de définir des distances minimales de précaution pour l’épandage des pesticides par rapport aux zones d’habitation…
Dernières paroles d’alerte
Quelques temps plus tôt, en 2018, deux respectables journalistes d’investigation faisaient paraître leur enquête sur le parc atomique tricolore : « Nucléaire, danger immédiat (1) ». Malgré la déontologie souvent révérencieuse de leur profession, ils n’y allèrent pas avec le dos de la cuillère. Ainsi, les Français furent informés de la menace ou, du moins, qu’ils lisent ou qu’ils ne lisent pas, ils disposent désormais d’une information en bonne et due forme issue d’une enquête technique et factuelle. Où que soient bâties leurs modestes demeures, ils vivent trop près d’une centrale nucléaire et même bien souvent de deux sites potentiellement dangereux, car en plus des 58 réacteurs le territoire est truffé d’installations ou de décharges de déchets à haut risque radioactif ou toxique. Désormais on sait, centrale par centrale, réacteur par réacteur, les failles et menaces possibles, les divers aspects du délabrement des installations et même, pour chaque réacteur, les fissures et malfaçons sur les cuves… L’état des lieux est fait, et, pour le moins, il n’est pas des plus rassurants. Mais encore une fois il faut constater que si les faits sont têtus, en haut-lieu l’avenir est radieux. Une question se pose cependant : y-a-t-il une relation de cause à effet entre le résultat de cette enquête de 2018 et la décision de l’Etat l’année suivante de faire son geste humanitaire envers sa population ? Peut-être ! Les Français se seraient-ils remis à lire pour découvrir l’état de délabrement dangereux du territoire où ils vivent ?
A la même époque en 2019, « La Parisienne libérée » tranchait de sa jeune stature et son autorité morale pour les générations futures la question de l’avenir du nucléaire tricolore. Pour elle, n’en déplaise aux éminents physiciens nucléaires, polytechniciens et autres experts, les choses sont claires : « Le nucléaire, c’est fini (2) ». Bien évidemment il s’agit d’un message : quoi que vous disent les experts en systèmes énergétiques complexes, aussi savants qu’ils soient, ne croyez plus à l’avenir radieux de l’atome !
Loin d’être pléthorique, la littérature antinucléaire ou d’information sur le risque atomique, signalant la réalité grandissante de la menace, est suffisamment abondante et régulièrement mise à jour pour que l’on puisse dire en paraphrasant le style autoritaire de la loi : « nul n’est censé ignorer le danger atomique » en France. Mais, encore une fois, on se retrouve « comme en Quatorze » où l’état-major veillait scrupuleusement à ce que la situation désastreuse sur le front soit totalement ignorée à l’arrière voire systématiquement censurée par des bulletins de batailles héroïques ou des déclarations de victoire ou plus efficacement par l’intense pilonnage de l’industrie culturelle du divertissement (3)… Bref le mensonge est permanent.
Hasard de calendrier, au même moment où « La Parisienne libérée » faisait part de ses analyses pessimistes au public français, le gouvernement décidait au contraire de taper fort en déclarant en bonne et due forme une relance de l’offensive nucléaire en France avec six EPR à mettre en chantier dans la décennie à venir… Manifestement, par sa prise de position osée, « la Parisienne libéré » a fâché l’Etat-providence du Nucléaire de France. Avec leur geste héroïque de contre-attaque, les autorités politiques ont peut-être voulu convaincre les français qu’il n’y a aucune alternative pour l’avenir énergétique du pays… Selon le protocole de la « feuille de route », l’Etat demande à EDF d’étudier le projet de déploiement de six nouveaux réacteurs EPR…
Dix ans après Fukushima et tout ce que l’on sait sur le délabrement du parc nucléaire et le risque atomique en France ou encore vingt ans après la mise en service du dernier réacteur construit en France c’est donc reparti « comme en Quatorze », la fleur au fusil. L’avenir est radieux, tel fut le message d’autorité à nouveau affiché en haut-lieu… Comme dans toute guerre pour figer au beau fixe l’optimisme des troupes ou des victimes potentielles, la désinformation reste l’une des armes essentielles. En ce domaine, la Grande Guerre fut aussi remarquable par un pilonnage dans le registre des « fake news » commanditées et diffusées par l’état-major militaire. Plus la guerre sombrait dans horreur, plus « l’infox » atteignait des sommets pour lui assurer dans la bonne humeur sa ration de chair à canon.
Science et « Infox » pour la Science
De ce point de vue, il nous faut faire un retour en arrière dans bouillonnement culturel des années 1930, car dès les origines, l’industrie nucléaire s’inscrivit dans l’impératif militaire de la communication de guerre. Depuis, sans faillir, des milliers d’éminents savants sur trois générations se sont mobilisés pour associer leur effort de recherche et parfaire le meurtre de masse dans l’exaltation scientifique et la bonne humeur. Comment expliquer cette longue contagion intergénérationnelle en chaîne qui n’a toujours pas cessé après Tchernobyl et Fukushima ? Question d’interprétation et d’historiographie… Vu d’aujourd’hui, il semble que toute l’histoire de la réaction en chaîne mortifère qui suivit la Seconde Guerre mondiale trouve son origine dans une fausse information, une menace sans fondement. Contre toute logique scientifique, technique, industrielle, minière ou militaire, une hypothèse prit de l’ampleur dès le début de la guerre : l’Allemagne nazie pouvait gagner la guerre avec l’arme atomique ; face à cette menace effroyable il devenait de la première urgence de les devancer sur le front stratégique de la recherche. Le colporteur de cette crainte énorme fut un certain Leó Szilárd, brillant physicien européen. Au début des années 1930, avec l’arrivée au pouvoir des nazis, il se fait l’apôtre de l’utilisation militaire de l’énergie nucléaire… Puis il fut tenaillé par une idée fixe. On ignore pourquoi, mais, dans sa tête tout était clair : l’Allemagne nazie prépare la bombe. Toujours est-il que, guidé par cette certitude, il n’eut de cesse de persuader le gouvernement des Etats-Unis de se lancer au plus vite dans la course à la recherche atomique pour devancer le supposé projet allemand. Sa démarche insistante, avec l’aide morale d’Albert Einstein, fut au final couronnée de succès avant même que les Etats-Unis n’entrent en guerre. La suite de l’histoire est connue et fut fatale comme une réaction en chaîne incontrôlable : le projet Manhattan, la bombe atomique, Hiroshima et Nagasaki, la Guerre Froide, la course aux armements la multiplication des bombes, leur montée en puissance destructrice et, bien sûr, le programme nucléaire français pour la bombe et l’imposture de « l’indépendance énergétique de la France ». On a du mal à accepter que ce cataclysme de science et de techniques mortifères trouve son origine dans une crainte infondée et exagérée. Par la suite, avant et après Hiroshima et Nagasaki, les savants au premier chef impliqués dans la création de la bombe comprirent leur erreur fatale. Quelques-uns eurent des scrupules et se firent les apôtres du désarmement.
Le premier fut Leó Szilárd, celui qui avait mis le feu aux poudres en propageant son angoisse au sommet des Etats-Unis. Il manifesta ses scrupules avant Hiroshima en prenant l’initiative d’une pétition contre l’usage militaire effectif de la bombe atomique qui recueillit 70 signatures parmi les scientifiques du Projet Manhattan. Probablement qu’il comprit très tôt l’énormité de son erreur et l’irresponsabilité impardonnable de sa conduite puisque si les nazis avaient résisté quelques mois de plus, elle aurait pu aboutir au bombardement atomique de l’Allemagne. La possibilité d’un tel acte de guerre (pour la paix), n’aurait rien eu d’extraordinaire, puisqu’il avait été longuement préparé par la montée en puissance des bombardements incendiaires sur les villes allemandes, déjà massivement meurtriers sur la population civile.
Robert Oppenheimer, « l’esthète bien éduqué » selon ses mots et surtout « le père de la Bombe atomique », exprima ses scrupules avec beaucoup de retard ; il le fit seulement au moment de la transition des recherches de la bombe A (atomique) vers la bombe H (thermonucléaire)…
Mais, dans tous les cas, il était trop tard pour tout le monde : pour eux, pour l’humanité et la vie sur Terre. La science nucléaire qu’ils avaient créée avait instantanément cessé de leur appartenir. Ils comprirent assez vite que les moyens humains et matériels gigantesques et complexes qui furent nécessaires au Projet Manhattan, que seul un grand pays comme les Etats-Unis avait rendu possible, étaient tout simplement inaccessibles au petit pays d’Europe soumis à la grossière et brutale dictature nazie. Au lendemain de la guerre, on s’aperçut avec effroi que non seulement c’était bien le cas mais aussi qu’il ne pouvait pas en être autrement. L’enquête historique confirma le constat insoutenable en apportant la preuve formelle que la bombe n’était pas comprise dans les axes de recherche de l’Uranprojeckt. L’Uranverein, le groupe des savants allemands, dirigés par Werner Heisenberg (le Père (prix Nobel) de la mécanique quantique) et impliqués dans les recherches sur l’uranium, n’avait tout simplement pas pensé à fabriquer une bombe. Bertrand Goldschmidt, dans son livre « L’aventure atomique » donne quelques précisions scientifique, technique, politique et militaire : « [dans la recherche atomique], les [savants] allemands étaient de plusieurs années en retard, contrairement aux craintes couramment éprouvées dans les pays anglo-saxons » « … ils ignoraient aussi l’existence du plutonium. » « Dès 1939, des physiciens avaient formé une société de l’uranium [Uranverein]. A la déclaration de guerre beaucoup de scientifiques furent mobilisés, d’autres comme Otto Hahn, l’auteur principal de la découverte de la fission, hostile au régime, évitèrent de poursuivre le travail dans ce domaine de la fission auquel, en tout état de cause, le gouvernement ne donna pas la priorité voulue (3). »
Si ce constat dramatique échappa à beaucoup de monde, il ne pouvait pas être ignoré des scientifiques. L’enchaînement fatal après cette découverte qui venait infirmer l’hypothèse fautive, s’énonce ainsi : la Bombe avait été fabriquée en urgence par les Etats-Unis à la suite d’une crainte sans fondement, elle n’avait été d’aucune utilité pour mettre fin au nazisme. Mais les Etats-Unis, futur chef de file dudit « Monde libre » et de « La Démocratie », l’utilisèrent pour deux meurtres de masse à Hiroshima et Nagasaki. La Guerre froide commençait avec deux actes absolument injustifiables et mobilisa toutes les sommités savantes du temps. Les Pères fondateurs de la mécanique quantique et de la physique nucléaire avaient enfanté une génération de savants tout aussi brillants que dépourvu de sens éthique. Mais, par la suite, pour assurer le cœur à l’ouvrage, l’entretien de la réaction en chaîne de la course aux armements ne cessa plus de s’alimenter sur la désinformation de guerre. Dans cette spirale mortifère interminable, si l’argent reste bien le nerf de la guerre on peut constater que l’« infox » (idéologique) s’impose comme le nerf spécifique de la recherche atomique… Sans cesse attisée par les surenchères idéologiques avec, entre autre aux Etats-Unis, le paroxysme du maccarthisme, l’effort de recherche prit des proportions énormes. C’est au cours de ces deux décennies d’après-guerre qu’émergea le concept de complexe militaro-industriel ; la symbiose entre la science et la guerre était fusionnelle et particulièrement prolifique. En moins d’une décennie, sous le seul jeu des joutes rhétoriques de diabolisation du camp adverse, la puissance de feu atomique passa des kilotonnes de TNT aux mégatonnes. Dans la multiplication insensée du nombre de bombes et de leur puissance, « Hiroshima » fut reconverti en une unité de mesure pratique et imagée pour comparer l’efficacité destructrice des nouvelles « têtes nucléaires ».
Avec cette fatale annihilation de tout sens éthique en science, il est assez facile de comprendre que les savants, comme les militaires, préfèrent à l’histoire analytique les décorations et les récits hagiographiques.
En raison des deux crimes de guerre d’Hiroshima et Nagasaki, l’historiographie sur l’origine de la première course aux armements atomiques entre les Etats-Unis et le 3e Reich durant la Seconde Guerre mondiale est restée très controversée. Dans la mêlée s’affrontaient les historiens en fonction de leur nationalité et les physiciens devenus historiens des sciences… En 2005 la polémique était relancée. Dans son livre « La bombe de Hitler (4) », l’historien allemand, Rainer Karlschans, ayant épluché de nombreux documents et réuni suffisamment de données et de témoignages, pouvait affirmer que les nazis avaient testé plusieurs bombes nucléaires tactiques (à faible puissance) entre octobre 1944 et mars 1945. De leur côté, les physiciens n’apparurent pas vraiment convaincus… L’un d’eux, Manfred Popp, allemand et spécialiste en physique nucléaire reconverti à l’histoire des sciences, est catégorique : « les arguments [de l’historien] n’ont convaincu aucun physicien. » En janvier 2017, dans un article de la revue « Pour la Science », il faisait le point sur le sujet « Pourquoi les nazis n’ont pas eu la bombe (5) » : ils n’y avaient tout simplement pas pensé. Ainsi l’honneur des pères fondateurs de la mécanique quantique et de la physique nucléaire était sauvé.
Pour notre analyse de la menace atomique sur l’Europe d’aujourd’hui, qu’il y ait eu un ou deux concurrents réels dans la première course aux armements atomiques, ne change rien, « l’infox » et l’annihilation de tout sens éthique en science apparaissent comme deux vecteurs essentiels de l’ère atomique. La menace vient de l’existence même des complexes militaro-industriels nucléaire et donc de la France pour l’ensemble de Europe.
Derrière l’infox, les faits sont têtus
…
Pour lire le chapitre complet :
Menace nucléaire sur l’Europe episode 4_chap2
La suite … demain !