Menace nucléaire sur l’Europe, le rayonnement de la France, dix ans après Fukushima
Un livre de Jean-Marc Sérékian
Chapitre 3 : De l’aventure à l’imposture, la rhétorique atomique
De la Guerre au rêve de l’énergie nucléaire – Du rêve à la réalité nucléaire – Notion d’oxymore bureaucratique – Oxymores des mensonges atomiques – Les mots pour les maux – Brève revue d’une triste réalité négligée – « A propos du programme nucléaire français »
Extraits
Sans aucun doute, le début de l’ère nucléaire fut une formidable aventure scientifique vécue comme telle par tous les savants de la première moitié du 20e siècle. Des idées nouvelles jaillissaient d’esprits d’exception, s’agrégeaient en théories scientifiques immédiatement vérifiées par les résultats d’expériences. Chaque année apportait une masse critique de connaissances et, de décennie en décennie, se multipliaient les perspectives d’applications exaltantes. Ce bouillonnement culturel scientifique se passait en Europe avant la Seconde Guerre mondiale. La France n’était pas absente de cette exceptionnelle révolution culturelle…
Bien évidemment, avant la phase proprement scientifique et industrielle de l’exploitation militaire de la réaction en chaîne, l’esprit cupide du capitalisme ordinaire jamais à cours d’idée innovante découvrit instantanément de multiples propriétés miraculeuses à la radioactivité naturelle et s’empressa de les commercialiser dans divers domaines immédiatement profitables en exaltant des vertus énergisantes, cosmétiques et vivifiantes des rayonnements ionisants. Le radium s’imposa de manière explosive et épidémique comme la panacée, le remède miracle, l’élixir de jouvence ou élément indispensable à rajouter à toutes les substances de la vie courante… Comment afficher un « sourire rayonnant » sans l’usage d’un « dentifrice radioactif » dopé au radium ?
Mais passée cette première vague d’impostures rayonnantes à l’échelle humaine liée à l’esprit d’entreprise du capitalisme commercial ce fut la radioactivité artificielle qui prit le relais et avec l’autorité suprême de la science dure soutenue par la puissance nouvelle des complexes militaro-industriels. Le nouveau trio -science, armée et industrie- put imposer, en changeant radicalement d’échelle une nouvelle imposture encore plus sûrement mortifère.
De la Guerre au rêve de l’énergie nucléaire
Une énergie nouvelle insoupçonnée avait été découverte et les calculs théoriques des savants démontraient son immensité potentielle : E = mc²… La science ouvrait une perspective de dépassement de la volonté de puissance vers la toute-puissance… Le Nietzche dionysiaque ne connut pas la suite de l’histoire. Au début du 20e siècle, avec un élan foudroyant, la science remplaça la philosophie dans le monde civilisé, se mit à marcher à pas de géant pour révéler un monde insoupçonné et passionnant puis, insidieusement, les choses se gâtèrent… Ce furent les applications militaires qui emportèrent à l’unanimité les velléités de recherches des génies scientifiques et déclenchèrent une réaction en chaîne incontrôlable qui se donna les moyens idéologiques de se perpétuer sans limite avec la Guerre Froide et la course aux armements… Bien sûr, après l’exaltation scientifique, quelques-unes des illustres figures de la physique théorique qui avaient permis la concrétisation de la mécanique quantique en bombe atomique, eurent des scrupules et le manifestèrent, mais il était trop tard. Malgré leur aura de savant d’exception, leur statut d’icône vivante de la science, ils furent sans ménagement écartés des laboratoires de recherche, voire humiliés dans de véritables procédures inquisitoriales pour leurs médiocres opinions politiques… Ce fut le cas de Robert Oppenheimer, livré dans un procès aux foudres du Maccarthysme dans les années 1950. Les découvertes qu’ils avaient faites étaient désormais entre les mains des militaires et une nouvelle génération de savants tout aussi performants, mais sans scrupule, avait pris le relais pour travailler sans relâche et avec conviction au perfectionnement du meurtre de masse. D’emblée, par ses caractéristiques techniques très originales, la bombe atomique n’est pas une arme au sens militaire conventionnel, sa logique intrinsèque est le meurtre à grande échelle ciblant spécifiquement les populations civiles, comme le démontra Hiroshima. Contrairement à la bonne conscience dominante dans le « Monde libre » d’après-guerre, les crimes contre l’humanité durant le 20e siècle, qui fut celui des génocides, ne furent pas seulement le fait des fanatismes et idéologies totalitaires. La recherche scientifique de pointe était elle aussi en première ligne. Le célèbre Fritz Haber, prix Nobel de Chimie, qui mit au point les gaz de combat et en préconisa l’usage sur le champ de bataille au cours de la Grande Guerre, ne fut pas une exception. Le sociologue Mike Davis, dans son essai « Dead City (1) », signale l’état d’esprit scientifique exalté des savants américains pour le perfectionnement du meurtre de masse au cours de la seconde Guerre mondiale. A tel point que certains chefs militaires américains éprouvèrent quelques scrupules à se faire les exécutants de ces méthodes de guerre totale fondées sur la science. Si les savants de la physique nucléaire inventèrent leur science en construisant la bombe atomique, d’autres scientifiques moins illustres mais tout aussi brillants dans leur spécialité étaient en première ligne exaltés dans le feu de l’action : les chimistes avec la recherche développement pour perfectionnement des bombes incendiaires, se montrèrent tout aussi innovants. Parrainés par les compagnies pétrolières, ils disposaient eux aussi de leur gigantesque laboratoire d’expérimentation scientifique où les bombes et leur mélange chimique étaient testés pour optimiser leur potentiel destructeur. Ainsi l’ampleur mortifère des bombardements incendiaires « Alliés » sur les villes allemandes trouvèrent leur origine non pas dans une idéologie totalitaire mais dans l’excellence de la science pure et appliquée.
Si, dans l’après-guerre, la chimie n’eut aucune difficulté pour une reconversion immédiate, réussie et prolifique dans le civil avec les pesticides, ce fut une affaire plus délicate pour le nucléaire. Tout était encore à inventer pour dompter l’immensité de l’énergie potentielle révélée par les équations. Il fallut aussi trouver une transition entre la furie du dit « équilibre de la terreur » immédiatement enclenché après la victoire militaire sur les puissances de l’Axe (du Mal) et les « Atoms for peace ». Mais une chose nouvelle était acquise dans les hautes sphères : l’aura de la physique nucléaire. Ainsi de gros contingents de chercheurs et ingénieurs affluèrent dans ce secteur d’excellence scientifique et furent facilement disponibles. Ils se multipliaient aisément et se retrouvèrent mobilisés en masse supra-critique dans le développement des applications civiles dites « pacifiques » de l’énergie atomique. L’optimisme était de rigueur. L’état d’esprit survolté de l’époque était en relation directe avec la notion d’énergie. Tout allait de front. La puissance de feu immense du pétrole avec les forteresses volantes bourrées de bombes incendiaires avait terrassé les forces du mal et donné la victoire à la « Démocratie ». Et au premier poste dans l’effort de guerre, la science avait découvert une énergie nouvelle encore plus grande. Ainsi, dans ce domaine, pour le long terme les perspectives s’annonçaient immédiatement vertigineuses ; restaient à résoudre quelques petits problèmes purement techniques relatifs à la sûreté des installations, à la radioprotection des personnels et à la gestion des déchets radioactifs… Beaucoup de recherche-développement en perspective, mais sur l’expérience exaltante du demi-siècle passé, l’optimisme était de rigueur… L’Histoire de la science et de l’énergie atomique née avec le siècle, s’inscrivait dans l’esprit des élites politiques du temps et même déjà dans la mémoire collective comme une fulgurante success-story au service de l’humanité. La propagande toujours nécessaire pour ces grandes épopées n’avait qu’à instruire le grand public du flux permanent de bonnes nouvelles… Dans ce domaine d’excellence impliquant l’élite savante, il aurait été dommage que des peurs irrationnelles d’un autre âge souvent contagieuses viennent entraver l’élan salvateur de l’aventure atomique. La guerre était finie et des cerveaux d’exception avaient œuvré et triomphé sur les forces du mal. La science avait sauvé la « Démocratie », pourquoi n’apporterait-elle pas la prospérité au Monde ?
Du rêve à la réalité nucléaire
Dans les années 1960, juste avant le lancement du programme d’énergie nucléaire tricolore, un pionnier de la première heure, né avec le 20e siècle, Bernard Goldschmidt (1912-2002), homme savant éminemment rayonnant et polyvalent comme tous les chercheurs de sa génération, bardé de titres scientifiques en physique en chimie et ingénierie, bref ce gros cerveau s’exprimait sur les axes de recherche restés encore en suspens. Avec sa longue expérience personnellement acquise dans les laboratoires qu’il avait fréquentés durant son début de carrière internationale, lui aussi ne pouvait qu’exprimer sa totale confiance en la science. En illustration de son état d’âme et pour rallier ses lecteurs, le savant physicien s’autorisait une comparaison raisonnablement optimiste entre sa spécialité atomique et l’aventure aéronautique ; elle aussi était née avec son siècle. Il faisait le constat objectif qu’entre l’envol des premiers aéronefs et le déploiement international de l’industrie du transport aérien commercial il s’était passé une quarantaine d’années. Il constatait aussi que les nécessités militaires des deux Guerres mondiales avaient œuvré dans le bon sens en donnant un coup d’accélérateur déterminant pour cette conquête industrielle des airs. Sur cette base exemplaire de la puissance nouvelle en Recherche-Développement du temps pour le lancement et la réussite d’un secteur industriel, il estimait raisonnable de penser qu’au bout d’un délai identique la science et l’ingénierie nucléaire auraient résolu tous ces problèmes spécifiques de sûreté technique, de radioprotection pour le travailleur et de gestion des déchets radioactifs (2).
Sa prospective optimiste fut émise au cours des sixties… Trente ans plus tard, dans les années 1990, aucun des impératifs nécessaires à la viabilité à long terme de la filière nucléaire n’avait été atteint, tandis que s’étiolait la promesse de l’abondance énergétique. Entre temps, l’événement de Three Mile Island de 1979 avait arrêté net le programme aux Etats-Unis et la catastrophe de Tchernobyl survenue en 1986 avait tout remis sur le tapis. Toute soviétique qu’elle fut définie et confinée par les autorités de l’atome tricolore, elle venait rappeler d’une part le danger intrinsèque énorme du nucléaire et d’autre part que le pire peut survenir à tout moment. Tout était à repenser pour assurer un semblant de sûreté nucléaire, tandis que la gestion durable des déchets radioactifs restait en plan. L’optimisme du gros cerveau en physique atomique était-il simplement innocent ou relevait-il déjà de la désinformation ? Probablement les deux au cours des sixties, à cette époque le nucléaire n’avait pas encore impacté et défiguré le territoire, il ne s’était pas encore confronté à la population. Les savants pouvaient encore passer pour innocents. Depuis le lancement du plan Messmer dans les années 1970, le temps s’est accéléré et le décor a changé, les chercheurs et ingénieurs ont échoué et le nucléaire est devenu une affaire politique impliquant constamment l’arsenal répressif de l’arbitraire. L’effet de surprise de l’offensive initiale n’a pas pu dissimuler l’enlisement des élites savantes dans les problèmes d’ingénierie industrielle. Par la suite, en renfort des faux débats publics et de la corruption financière, les passages en force devinrent d’autant plus essentiels à son déploiement que le parc révélait son menaçant état de délabrement.
Après Tchernobyl et Fukushima, le danger nucléaire est devenu une réalité sociale immédiate, reléguant les notions de « sûreté nucléaire », de « radioprotection des populations » à des formules vides purement rhétoriques. Il en va de même avec la dite « gestion des déchets radioactifs », après l’échec du (pseudo)-débat public, la révélation des inconséquences du projet Cigéo et la désinformation démasquée ; seul le passage en force par les violences policières peut faire avancer le chantier. Ces formules sonnent désormais comme des oxymores bureaucratiques.
Incapable de gérer les problèmes qu’elle génère, la grande aventure atomique du siècle passé a fini par se transmuter en vaste imposture militaro-industrielle avec ses méthode éprouvées : budget énorme de désinformation publicitaire, corruption financière des élus et violences policières sur les populations qui tentent de maintenir viable leur lieu de résidence…
Notion d’oxymore bureaucratique
On sait que par souci esthétique d’expressivité paradoxale, le langage peut associer des mots contradictoires ; en rhétorique classique cela constitue une figure de style nommée oxymore. Le contraste donne de la force à la formule comme dans « silence assourdissant », « tempête de ciel bleu » « obscure clarté »… De son côté, l’administration, pour sa désinformation ou propagande d’Etat s’est mise à user de ce procédé. En plus des éléments de langage bureaucratique et de la langue de bois, elle construit des assemblages associant des mots contradictoires. Mais dans sa rhétorique bureaucratique avec ces nouveaux oxymores il s’agit de tromper le public comme dans « développement durable », « mine responsable » ou « sûreté nucléaire ». Pour ce dernier, on veut faire croire que par des aménagements ou procédures techniques il est possible d’annihiler le danger nucléaire ou du moins de le rendre tellement négligeable qu’il en devient acceptable.
Dans les dispositifs de désinformation du public, l’administration peut même mettre sur pied des commissions pour assurer des missions impossibles dans la réalité. Cela relève de l’imposture organisée, là encore il s’agit de faire croire par ces organismes richement pourvus qu’un problème insoluble puisse trouver sa solution. La France détient le secret de ce type d’agence. Parmi elles, il faut signaler et dire que l’ASN ne s’en tire pas trop mal dans sa mission officielle dite de « gendarme du nucléaire ».
Dans d’autres domaines industriels ou sanitaires où elles étaient censées prévenir des menaces, elles ont plutôt joué le rôle de fusible en sautant avec le problème. La plupart furent emportées dans un scandale où leurs liens d’intérêt avec l’industrie purent aisément être révélés au cours des enquêtes juridiques. Ce fut le cas des agences de sécurité sanitaire ou alimentaire… Les dernières arrivées sur la scène toxique de la désinformation et de la fausse sûreté sont : L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, (Anses) et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (abrégé ANSM). L’Anses, 8 ans après sa création se retrouve engluée dans l’affaire d’une nouvelle classe de pesticides commercialisés avec son aval comme fongicide : les SDHi pour Inhibiteur de la Succinate Déshydrogénase. Il y a eu tromperie sur la marchandise. Dans cette affaire qui perdure, couverte par l’agence de sécurité, « le crime était presque parfait (3) » jusqu’à ce qu’un groupe de savants respectables découvre le pot-aux-roses. Le spectre d’action des SDHi, loin d’être étroit et spécifique aux champignons, était bien au contraire très large pour frapper sans distinction l’ensemble du Règne animal : du ver de terre à l’homme en passant par les abeilles…
Probablement en vue de tromper le public, les intitulés de ces agences de sécurité sont devenus avec le temps de plus en plus ronflants et alambiqués afin de se montrer très convaincants dans le sérieux sur leur mission de protection des populations. Mais, au final, rien ne change, personne n’est protégé. Entre « Agence du médicament » et « Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (ou Afssaps) » puis « Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (abrégé ANSM) » il y a eu manifestement un souci rhétorique de convaincre le consommateur de médicaments. Puis un beau jour on découvre le pot-aux-roses. L’Afssaps a failli, elle a trempé dans le marché du médicament coupe-faim de Servier et l’a couvert pour finir par sauter avec l’affaire Médiator. Le scandale remonte au siècle passé, l’affaire n’est entrée en procès que dix ans plus tard, en 2010… Une nouvelle agence voit le jour pour prendre sa place… Dans l’arsenal des agences de tromperie du public, l’ASN remporte la palme de développement durable des tartuferies.[
Oxymores des mensonges atomiques
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Menace nucléaire sur l’Europe episode 5_chap3
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