Chère société industrielle
C’est en ma qualité d’ennemi public numéro 1 que je m’adresse à toi. Une fois n’est pas coutume, la parole est à l’accusé. Tu conviendras que jusqu’ici, le réquisitoire été à charge, exclusivement dirigée contre moi.
Moi, je vivais loin des sociétés humaines, en harmonie avec mes hôtes qui n’ont jamais eu à se plaindre de ma présence. Et tu es arrivée. Tu as dévasté les habitats sauvages, saccagé des forêts entières, déréglé le climat, exterminé des mondes vivants, édifié des élevages concentrationnaires, étudié, trafiqué, augmenté des virus dans tes laboratoires. Franchement, tu m’as bien cherché. Tu peux être fière de toi. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir été prévenue. Depuis le temps que les alertes et les zoonoses se multiplient, tu t’attendais à quoi ? A un miracle de la pensée magique qui t’épargnerait ? Dis-moi un peu, qui devrait être au banc des accusés ? Quelles leçons tires-tu de cette énième crise ? As-tu mis un coup d’arrêt à tes activités mortifères ? As-tu dressé la liste de tes industries et de tes emplois nuisibles ? Non seulement tu n’as rien changé à tes projets macabres, mais en plus, tu as saisi l’occasion d’accélérer les pires orientations qui sont les tiennes : l’informatisation et la déshumanisation du monde, la surveillance et le totalitarisme technologique, l’empoisonnement chimique, les coups portés aux vivants et à leur immunité, la confiscation d’une vie libre, autonome et désirable.
Tu ne vois que l’arbre qui cache la forêt, le virus qui dissimule tes propres turpitudes que tu maquilles de bienveillance écologique et sanitaire. Déplorer les conséquences de la catastrophe en glorifiant ses causes, c’est ton credo, ton mantra rabâché ad nauséum. Tu ne sais que bâtir des mirages, des leurres, avec le concours de tes idiots utiles de l’environnementalisme médiatique et superficiel. De Grenelle en sommets, de conventions en transitions, de chartes en conférences citoyennes, tu te donnes des airs, tu fais illusion, un pas en avant et dix mille en arrière, un clic pour le climat et dix claques pour la consommation d’énergie, les poisons chimiques et l’aliénation 2.0, une manif pour la bonne conscience le dimanche et, le lundi, retour à sa place de rouage de la Machine, surtout ne rien changer sur l’essentiel, faire semblant pour mieux endormir la pensée critique radicale, pour mieux désamorcer la seule chose dont nous aurions vraiment besoin : un sursaut, une révolte, une grève générale des emplois et des achats toxiques, des ateliers de désobéissance numérique et de déconnexion en lieu et place de tes inclusions numériques, de tes réclusions connectées.
J’inspire la haine et la phobie, alors que je devrais susciter la réflexion. Toute maladie, tout symptôme transmettent un message que l’on peut soit ignorer – ce que tu fais allègrement –, soit questionner. Comment renforcer les systèmes immunitaires, par quels moyens reprendre possession de sa santé et de sa vie ? D’où viennent les zoonoses, comment les éviter ? Y-a-t-il encore un idéal pour lequel engager sa vie, prendre des risques ? N’y-a-t-il plus que la vie biologique, la survie au dessus de tout – le sens, la liberté, le rapport sensible au monde et aux autres, la dignité, l’humanité, ses grandeurs ? Comment croire une seconde qu’il soit possible et souhaitable de se dérober au tragique, à la finitude, aux limites de la condition humaine ?
A t’entendre, je serais la menace majeure pour la santé. Tu ne manques pas d’air, toi qui répands les pires poisons qui soient, toi qui épuises et extermines sans répit. L’ennemi du genre humain, le saboteur de la vie sur Terre, c’est ta démesure techno-industrielle, c’est ton ordre économique du monde. Il est évidemment plus facile de braquer les projecteurs sur un virus émissaire à l’aide des collabos du grand spectacle que de remettre en cause les racines du mal. Il est tellement plus simple d’en appeler aux gourous de la résilience, de la collapsologie et du développement personnel pour mieux faire consentir à la survie atomisée dans un milieu toxique, hideux, bruyant, totalitaire et inhumain… De transformer le cheptel humain en gestionnaire de tes nuisances plutôt qu’en dissidents luttant contre elles et contre toi, appelant à une rupture radicale plutôt qu’à tes lénifiants et dérisoires appels à une transition… D’organiser une parodie démocratique, d’aller voter pour l’un des candidats au grand parti unique industrialiste et technologiste… De prendre le prétexte de la santé et de l’écologie pour mieux faire accepter ton totalitarisme participatif… Il y a de quoi être sidéré à voir comment tu es passée du déni de la catastrophe au catastrophisme d’Etat. S’adapter, se machiner, voilà donc ton horizon.
Tes vaccins ne règleront rien, pas plus que ta médecine industrielle et eugéniste. Ces faux remèdes pourraient même affaiblir les vivants et renforcer le mal qu’ils prétendent combattre ; ils ne feront qu’accélérer la fuite en avant et ses conséquences tragiques. Tu verras qu’un jour, tu me regretteras. A force de prendre le poison pour le remède, on finit par accoucher de monstres. A prétendre affranchir en asservissant, à vouloir tout fabriquer, tout maîtriser et tout soumettre, on crée les conditions d’un emballement échappant à tout contrôle. A ce jeu-là, on finit par perdre sur tous les fronts. Consentir à la servitude pour éviter le pire, et finalement, avoir et la servitude et le pire.
Mais de tout ça, tu n’as cure. Car tu veux tout et son contraire. Un monde propre et des smartphones, internet, la bagnole, les avions ; la croissance et le respect du vivant, la biodiversité et la tuerie du loup, l’écologie et l’abolition des limites, la beauté du monde et la laideur industrielle, la démocratie et la confiscation de la parole par des experts, l’autonomie et l’aliénation électronique… Ton capitalisme durable, tes emplois verts, tes énergies propres ne protégeront en rien les milieux naturels, et encore moins le sens des mots. Ton baratin et tes chimères n’ont qu’un but et un seul : préserver ton existence de parasite. C’est ta nature même qui pose problème, pas tes excès ni tes dérives. On ne peut pas tout avoir. Un monde libre, humain, vivant, durable et une société de croissance. Il faut choisir : en finir avec la civilisation techno-industrielle ou renoncer à une vie digne d’être vécue, voire à une vie tout court.
F Wolff