Le Rassemblement national et les Républicains ont fait de l’opposition aux éoliennes un argument de leurs campagnes.
En promouvant le nucléaire et en évacuant la question des économies d’énergie.
« La grande imposture », « la face noire de la transition énergétique » et même « la peste éolienne » . Depuis quelques semaines, les voix opposées à l’éolien se font bruyamment entendre. Aux documentaires et livres s’ajoutent des tribunes, écrites par des personnalités comme Stéphane Bern, des polémistes d’extrême-droite tel Eric Zemmour, et par des politiques. Période d’élections oblige, Les Républicains et le Rassemblement national ont mis en avant dans leurs programmes pour les régionales leur opposition au développement de l’éolien. Trois candidats Les Républicains réclamaient même fin avril « un moratoire absolu et immédiat sur l’éolien terrestre ».
Face à cette déferlante, les partisans de l’éolien, sur la défensive, répètent inlassablement les mêmes arguments : non, l’éolien n’entraîne pas la réouverture de centrale à charbon ; non, l’éolien ne fonctionne pas un quart du temps… Ils ressortent des sondages : 76 % des riverains de moins de cinq kilomètres d’une éolienne en auraient une vision positive, 68 % des personnes interrogées déclarent que l’installation d’éoliennes près de chez eux serait une bonne chose.
Pourtant, comme pour la sécurité qui a largement occupé les débats, les Régions n’ont pas la compétence en matière d’autorisations d’installations d’énergie renouvelable. Elles ont en revanche une marge de manœuvre en matière d’investissement, et certaines régions financent ainsi des projets d’énergies renouvelables. Ce sont les préfets, et donc l’État, qui décident de l’autorisation ou non des parcs éoliens sur les territoires. En revanche, le logement et la rénovation des bâtiments publics, qui permettrait de substantielle réduction des consommations, ont eux été totalement absents des débats.
Les frontistes mobilisés « dès les premières implantations de parcs éoliens »
Quel clivage se dessine en France entre pro et anti-éolien ? Il serait simpliste de vouloir le réduire à une opposition entre « bobos » urbains écolos et ruraux réactionnaires pronucléaires. Mais dans les territoires ruraux, où l’on ne semble plus avoir prise sur grand-chose, qu’il s’agisse de l’école, de l’hôpital, du travail ou du climat, l’éolien s’avère un objet idéal pour fixer des oppositions, parmi lesquelles se trouvent des personnes militantes ou proches des idées du Rassemblement National.
L’opposition d’extrême droite à l’éolien est loin d’être récente. Elle est apparue « dès les premières implantations de parcs éoliens », selon le politologue Stéphane François, avec « des arguments dans la veine du cœur électoral du parti » soit les artisans et petits commerçants. Suivant un héritage poujadiste et mettant en scène « les petits contre les gros », le Front national s’est trouvé vite à son aise dans la dénonciation de ces « machines qui défigurent le paysage », d’une prétendue gabegie d’argent public ou de la dévaluation des biens immobiliers. Selon le chercheur, on retrouve « une même vision romantique qu’avec la valorisation d’une agriculture traditionnelle fantasmée ». Et tant pis si le parti n’a jamais rien fait pour limiter l’artificialisation des sols, la destruction des commerces de centre-ville au profit des zones commerciales périphériques. L’important est de s’afficher comme ultime défenseur du « patrimoine immatériel français » que seraient les paysages.
S’y greffe la dimension nationaliste, contre ces industries de l’étranger, notamment l’Allemagne, avec en corollaire, une très forte défense du nucléaire hexagonal « lié à l’idée de souveraineté », selon Stéphane François. En oubliant la dépendance totale à l’uranium : la France importe chaque année de l’ordre de 8 000 tonnes d’uranium naturel du au Niger, au Canada ou au Kazakhstan.
L’extrême droite elle aussi enchaînée au productivisme
L’écho donné par le RN — suivi par Les Républicains — à l’opposition à l’éolien est pourtant loin de ravir les opposants eux-mêmes. « C’est purement électoraliste », estime Michèle Solans, cosecrétaire de la fédération d’associations Toutes nos énergies Occitanie (TNE). « Ils ont senti qu’il y avait du ressentiment, ils ont juste repris le discours mais il n’y aucune réflexion derrière. » Pour Jean Pougnet, qui milite dans la même structure, « c’est une bonne chose qu’on parle enfin du sujet [mais] ce n’est certainement pas avec des soutiens pareils que l’on mobilisera plus largement ». Surtout que dans la région, la réduction à l’extrême droite des anti-éoliens a été souvent utilisée par la majorité socialiste pour écarter toute critique du développement des turbines. Pourtant, au-delà de l’éolien, « notre objectif est vraiment de réfléchir à notre modèle énergétique », dit Michèle Solans. « Et ça ne commence pas par produire toujours plus d’électricité. » Or, à l’extrême droite, pas question de remettre en cause une quelconque logique de croissance ou de réfléchir à la réduction de la consommation énergétique.
C’est bien ce qui sépare radicalement le RN de tout un pan des anti-éoliens, notamment les militants libertaires et antinucléaires. Dans la Creuse, si l’opposition aux turbines agrège des gaullistes comme des anarchistes, pas de trace de frontistes, ou alors ils sont bien cachés. Et pour cause : le RN, bien qu’omniprésent dans l’agenda médiatique, demeure un parti au faible ancrage local. Sorti de ses quelques bastions, il a le plus grand mal à exister et même conserver ses élus. Difficile dans ces conditions d’imaginer qu’il aurait la capacité de noyauter des centaines de collectifs sur un sujet aussi spécifique. Il est toutefois clair qu’une fois de plus, le Rassemblement national est parvenu à imposer ses thèmes de campagnes pour ces régionales.
Dans ce glissement à droite et à l’extrême droite des débats sur l’éolien, les écologistes aussi ont une part de responsabilité. Longtemps, ceux-ci se sont concentrés sur la promotion sans faille des énergies renouvelables, qu’il fallait dans tous les cas défendre face au nucléaire et devant l’urgence climatique. « Il fallait défendre les projets pour faire exister les renouvelables. Aujourd’hui, en fonction des promoteurs et des projets, on a des manières très différentes de penser et de financer les projets », confirme Elli Tessier, coresponsable de la commission énergie d’Europe Écologie-Les Verts (EELV). Cet ingénieur de recherche en prospective a travaillé sur l’acceptation sociale des projets énergétiques en France et relève comme point commun dans les oppositions « un certain conservatisme, au sens d’un attachement au lieu et à ses paysages tels qu’ils sont ».
Ce rapport au territoire a mis du temps à être pris en compte. Les choses évoluent, comme en témoignent les déclarations de David Cormand, député européen EELV. Le 18 juin, il déclarait dans Libération comprendre le ressentiment contre des projets qui « apparaissent parfois imposés d’en haut, sans concertation ni réel dialogue avec les habitants » et plaidait pour « mettre de l’ordre dans la politique énergétique » en commençant par « une politique massive d’économies d’énergie ».
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