ou manifester contre la politique libérale-autoritaire de Macron ?
Des manifestations d’une ampleur inédite en période estivale se succèdent contre le passe sanitaire imposé d’une manière autoritaire par Emmanuel Macron.
Il est donc évident « qu’il se passe quelque chose ». Mais quoi ?
Ces manifestations expriment-elles seulement des délires complotistes accompagnés d’une prise de la rue par l’extrême droite ou font-elles émerger un mécontentement plus profond et multiforme ? Faut-il les réduire à ce qu’elles formulent directement ou bien faut-il y trouver des ferments de revendications justes ? La mise en scène constante par les médias de l’indignité des mouvements sociaux doit-elle nous conduire automatiquement à soutenir les manifestations actuelles ? Est-il envisageable que ce mouvement débouche sur des résultats positifs ? Faut-il y participer ou tenter autre chose ?
Le pouvoir n’a cessé de se déconsidérer, non pas tant par ses volte-face dans la gestion de la crise sanitaire (quel gouvernement n’a pas tâtonné ?) mais par sa manière de faire, souvent contradictoire toujours autoritaire, affirmative, définitive, même lorsqu’elle louvoie (sur le caractère obligatoire du passe sanitaire), même lorsqu’elle fait montre d’incompétence (le retard initial sur la vaccination), même lorsqu’elle ment (sur les masques). La contestation de son autoritarisme est à la hauteur de sa déconsidération.
Cette manière de gouverner renvoie à des questions maintes fois soulevées et qui ressurgissent encore. La Ve République, l’hyper concentration du pouvoir par une seule personne et l’effacement des contre-pouvoirs ne sont pas une découverte : mais ce système infantilisant, peu démocratique et qui ne laisse de place autre que formelle à la parole citoyenne est de plus en plus largement critiqué. Qu’un homme seul, dans un processus de délibération opaque, en particulier dans le cadre du Conseil de défense, puisse décider de mesures qui touchent l’ensemble de la population est inacceptable, le débat au Parlement n’ayant abouti qu’à des amendements à la marge.
En tant que révélateurs d’une crise de la démocratie, les mouvements en cours sont la poursuite indirecte de la revendication des Gilets jaunes en faveur RIC ou encore une façon diffuse et peu structurée de réclamer une autre république, plus démocratique.
A cela s’ajoutent les nombreuses et graves incohérences, qui dépassent les simples tâtonnements liés à la nouveauté et aux surprises réservées par la Covid 19 : la pandémie arrive au terme de plusieurs décennies de démantèlement des services publics en général et de la santé en particulier. Pire encore : elle n’a pas stoppé la casse, malgré le discours initial de Macron. Et la France continue de s’opposer à la levée des brevets sur les vaccins, comme s’il pouvait exister une solution uniquement nationale à une pandémie mondiale, et de priver ses écoles d’aérateurs et d’appareils de mesure de CO2.
Enfin, la mise en place du passe sanitaire intervient à la suite d’une longue série de mesures qui portent atteinte aux libertés publiques, qui touchent particulièrement les quartiers populaires. Elle porte, en germe, le renforcement d’un pouvoir local de discrimination qui, ajouté au mépris distribué et à la soumission exigée, aboutit à une exaspération générale qui trouve là matière à s’extérioriser.
Une forte contestation est donc née à l’occasion de la mise en œuvre du passe sanitaire et, à l’évidence, l’état actuel du mouvement ouvrier ne l’a pas désigné comme le recours évident pour donner des débouchés à ces contestations.
Si le pouvoir est devenu doublement illégitime, pour sa manière de faire et pour ce qu’il fait, face à lui, l’apparence d’opposition structurée est essentiellement captée par l’extrême-droite et la droite extrême. Et les deux tentent de saisir l’opportunité politique de cette contestation, quitte à faire feu de tout bois (y compris en se faisant les chantres de la liberté et de l’anti-autoritarisme, ce qui ne manque pas de sel !).
Que doivent donc faire les organisations de gauche et les syndicats ? Tenter d’enfourcher le cheval pour ne pas en laisser le monopole à l’extrême-droite ? Le regarder avec dédain en répétant que « les valeurs de ce mouvement ne sont pas les nôtres » et se retirer sur leur Aventin ?
La question s’était posée pour le mouvement des Gilets jaunes. Après une courte phase de défiance voire de condamnation, la gauche anti-libérale s’y était ralliée, les syndicats beaucoup moins. Indubitablement, ce positionnement et la participation active de nombreux militants ont empêché que ce mouvement ne dérive éventuellement vers l’extrême droite, dans ce qui aurait pu devenir un scénario « à la brésilienne ».
Est-ce à dire qu’il faut reproduire mécaniquement le même raisonnement et appeler à participer aux manifestations contre le passe sanitaire ?
L’analogie avec le mouvement des Gilets jaunes n’est pas dénuée de sens : de même que le soutien à un mouvement contre la hausse du prix du gasoil pouvait apparaître incompréhensible pour une gauche qui veut donner de plus en plus de place à l’écologie, de même un mouvement contre le passe sanitaire peut la faire apparaître aux côtés des complotistes ou de l’extrême-droite.
Cependant, la contestation de la hausse du prix du gasoil, point de départ du mouvement des Gilets jaunes, est rapidement apparue comme une étincelle qui a vite fait émerger d’autres revendications.
A l’inverse, le mouvement anti passe sanitaire apparaît fortement teinté d’un double tropisme complotiste et d’extrême droite, parfois mâtiné d’antisémitisme.
Est-il encore temps, est-il utile d’essayer de le « tirer » vers des revendications politiques et sociales en phase avec celles de la gauche anti-libérale ? Faut-il prendre le risque d’attiser les confusions ?
Ce risque en vaudrait la chandelle si les chances d’infléchir le mouvement vers une contestation porteuse de perspectives émancipatrices étaient réelles.
Mais la réalité et l’évolution des mouvements en cours apparaissent trop éloignées des objectifs et des valeurs de la gauche anti-libérale pour permettre cela.
La confusion qui règne, les dangers qu’elle peut porter et la proximité de l’élection présidentielle devraient pourtant inciter à poser les vraies questions de santé publique, celle du service public de la santé, de la politique de vaccination en France et dans le monde, de la recherche sur les traitements, à revendiquer la fin d’une gestion libérale qui mène droit au désastre, exiger la levée des brevets sur les vaccins et porter, simultanément, les questions politiques sur les dérives anti-démocratiques de la Ve République.
La seule issue raisonnable serait que la gauche anti-libérale et que les organisations de travailleurs prennent leurs propres initiatives de mobilisation, sur ces mots d’ordre.
Si ces initiatives existaient, si elles apparaissaient suffisamment fortes et crédibles, elles pourraient rallier parmi les manifestants de l’été ceux qui ne sont ni antivax, ni complotistes, ni d’extrême droite (les uns ne se confondant, bien sûr, pas forcément avec les autres). Il n’est pas certain que cela fonctionne, ni que de telles initiatives parviennent à drainer la dynamique en cours, mais cela répondrait à une véritable attente, peut-être majoritaire.
Faire cela, ce n’est pas « enfourcher un cheval » qui galope vite et bien mais qui semble bien mal embarqué : c’est tenter d’en lancer un autre, qui irait dans une autre direction, qui ne se contenterait pas de cristalliser un mécontentement confus aux objectifs douteux, mais qui tracerait une perspective politique et sociale à un moment où le besoin s’en fait cruellement ressentir.
Pour que cela ait une chance de fonctionner, toutes les forces qui croient qu’il faut renforcer l’hôpital public, augmenter les salaires des personnels, améliorer leurs conditions de travail, rétablir les lits supprimés, généraliser la vaccination sur l’ensemble de la planète et s’insurger contre l’autoritarisme du pouvoir doivent converger.
L’hypothèse d’une victoire contre la politique libérale-autoritaire de Macron à quelques mois de la présidentielle est une perspective qui devrait permettre de surmonter de nombreux obstacles : il faut non seulement l’espérer, mais tout mettre en œuvre pour que cela puisse se réaliser.
La Fondation Copernic