Les Verts et « l’électromobilité »

Les voleurs de vélos

L’association Alternatiba et l’ADTC (Association pour le développement des transports en commun) appellent à une « convergence à vélo » de toute la cuvette grenobloise, le 25 septembre 2021, pour « développer les alternatives » et « promouvoir les déplacements à vélo ». Gageons qu’Eric Piolle « le maire à vélo » roulera au milieu du peloton, lui « qui a développé la pratique cyclable dans sa ville mais aussi plus largement sur le territoire ». Pendant ce temps les salariés de Métrovélo, le service de location de vélos – 9000 vélos musculaires – sous-traité à Cycleo, une filiale de Vinci, font grève depuis le 7 septembre. « C’est même pas pour nos salaires », nous dit un jeune gars touffu à boucle d’oreille, croisé au local de Métrovélo, en face de la gare, « c’est pour les gens, pour avoir les moyens de bien faire le boulot. » Et comme on évoque les vélos électriques – électro-nucléaires – le petit gars s’empresse d’ajouter « mais là, je suis complètement d’accord avec vous, msieur, ma mère a manifesté à Creys-Malville, en 1977, contre Superphénix, elle m’a raconté, chuis sensible à ça, c’est un vrai problème ! »
Ce qui est un problème pour le petit gars est une solution pour Éric Piolle, l’ingénieur Vert de Grenoble et pour ses pareils, technocrates.
Le vélo électrique est le symbole d’un double retournement technologiste : celui du vieux biclou, et celui de l’écologie. Cinquante ans après les premières manifs à vélo contre le tout-bagnole, la ministre de l’environnement Barbara Pompili, une Verte de Picardie, nous assure en effet qu’acheter un vélo électro-nucléaire, c’est « choisir l’écologie ». Ainsi Porsche choisit l’écologie en commercialisant un vélo à batterie lithium-uranium à 7 000 €. Ou comment faire de la bicyclette un engin de luxe, high tech, qui bousille la planète. Une tromperie que les industriels des années 70 n’auraient pas rêvé de voir propagée par les écologistes eux-mêmes.

Tout l’été, Le Daubé, le quotidien grenoblois, nous a poussés à « (re) partir à la découverte des territoires de l’Isère grâce au VAE, le vélo à assistance électrique. » Depuis l’arrivée de Néandertal dans les Alpes, un pied devant l’autre, on se baladait le long du Rhône, dans le Grésivaudan, le Vercors, le Trièves, à pied et même à vélo. Une paire de chaussures ou une bicyclette suffisant pour profiter des paysages à son gré. Désormais le vélo électrique (à partir de 900 € seulement), serait bien mieux « adapté aux familles » et « moins fatigant », pour faire le tour de l’Isère, « regarder le panorama ou profiter d’un coin tranquille ». Le e-cycliste peut rouler plus vite, plus loin, plus fort, avec un VTT à assistance électrique équipé d’une batterie au lithium extrait du désert chilien, et aux métaux rares extraits des mines du Congo ; batterie rechargée tous les soirs sur le réseau électro-nucléaire français ; lui-même alimenté par l’uranium des mines du Niger et dont les déchets radioactifs seront bientôt enfouis à Bure, dans les sous-sols de la Meuse, après circulation électrique entre les centrales et les lignes à Très Haute Tension. C’est à ce prix que vous faites une promenade en famille, dimanche, sur le Vercors. Une promenade conviviale sur un vélo écolo. Chic, vous avez d’un coup de pédale la conscience écologique et le confort technologique. Tout roule pour le mieux au pays de la « Houille blanche ». Cette vallée de l’Isère où, dès 1869, l’ingénieur Aristide Bergès avait inauguré l’utilisation industrielle de l’électricité, avant de lancer un réseau de tramways électriques et de réfléchir au tracteur électrique. On y vient. Et déjà le vélo électrique relègue à la cave le vélo-prolo de nos grands-parents, enfourché pour aller à l’usine puis légué à nos parents pour leurs vacances en Ardèche – avec le soutien des écologistes.

Le vélo face à l’autocratie

Après-guerre, Paris est un vaste chantier. L’écologiste Bernard Charbonneau doit préciser que si « Paris n’est plus, ce n’est pas Hitler qui l’a détruit, mais Citroën. » Madame « accède » à l’électro-ménager et Monsieur à l’automobilité grâce au prêt de la Compagnie pour le financement des équipements électro-ménagers (CETELEM) qui vient de tomber sur leur tout nouveau compte en banque. Les agglomérations s’embouteillent à toute allure. Amsterdam étouffe et le premier mouvement anti-bagnoles européen s’organise dans la capitale hollandaise en 1965 autour du mouvement « Provo ». Ces provocateurs mi-étudiants mi-loubards proposent leur célèbre « Plan vélos blancs », des vélos publics et gratuits contre les « dommages irréparables [qui] sont ou vont être infligés à une seule ville par les connards « autophiles. »
Jean-Luc Godard en 1967 (Week end), et Jacques Tati en 1971 (Trafic), dissèquent ce modernisme absurde et mortifère, symbolisé par ses automobiles, ses ingénieurs automobiles, ses embouteillages automobiles et ses salons de l’automobile. Lors de la première manif de cyclistes (« vélorution ») organisée à Paris le 10 juin 1972, les chevelus pédalent tout à la fois contre la centrale atomique du Bugey et l’ouverture des voies sur berge à l’automobile. Leurs pancartes ironisent sur des « essais nucléaires en Méditerranée » et leurs slogans réclament « Des moteurs, mais à crottin ! » Les premiers écologistes français combattent l’atome et la bagnole. De manière indissociable. S’ils avaient su que des bagnoles atomiques seraient un jour « écologiques », et que des technologistes Verts voleraient leur héritage pour mieux le trahir, ils auraient hurlé comme nous sommes quelques-uns à le faire, vélorutionnaires d’alors et d’aujourd’hui.

Paris coule en 1973 son boulevard périphérique sur les anciennes « fortif’ » : « Commencé en 1956, il a aujourd’hui la silhouette de l’an 2000 », commente le visionnaire présentateur de l’ORTF. Dès le vendredi suivant, à 17 h, ce boulevard du futur long de 36 km est néanmoins bouché. Face caméra, l’ingénieur en chef imagine déjà une nouvelle rocade deux kilomètres plus loin. Les « Trente Glorieuses » ne cessent d’accoucher d’un futur en gestation dans les bureaux d’études du Commissariat général au Plan. Le sociologue marxiste du Droit à la ville Henri Lefebvre, qui passe alors pour un critique radical de l’urbanisme, n’en attend pas moins l’avènement d’une véritable technocratie enfin débarrassée de l’inertie cupide du Capital. Il écrit dans Vers le cybernanthrope :

« Passons au problème n°1 de l’urbanisme dit moderne. On se dispose à éventrer les villes – ce qui en reste – pour laisser passer le flot des voitures. Or, en ce qui concerne la circulation, on en est à peine au balbutiement de la technique. Quelques recherches sérieusement poursuivies ne fourniraient-elles pas le matériau qui permettrait la construction de trottoirs roulants rapides, matériau qui fait encore défaut, paraît-il ? Dans les rues et les métros, dans les édifices, l’utilisation des tapis et trottoirs roulants, des escalators, des télécabines, ne progresse guère. Les procédés qu’on veut utiliser pour améliorer la circulation sont eux-mêmes désuets. La grande trouvaille, c’est de cacher les voitures, de prévoir des parkings souterrains. Construire à plusieurs niveaux, dont l’un réservé à la circulation, semble encore audacieux, trop coûteux, presque utopique. La paralysie de l’imagination complète les contraintes de la bureaucratie, elles-mêmes motivées et justifiées par des raisons financières. »

Pauvre critique qui ne va pas au-delà d’un imaginaire de science-fiction et d’urbanisme fonctionnel déjà exploré par Isaac Asimov, Le Corbusier et Constant. Le premier décrit précisément cette ville futuriste et ses trottoirs mobiles dans Les cavernes d’acier publié en 1953. Le deuxième est le concepteur, le promoteur et quelquefois, hélas, le constructeur de la « Machine à habiter »]. Le dernier, membre de l’Internationale Situationniste, commet en 1960 la répugnante rêverie intitulée « New Babylon ».
Une fois au pouvoir, cette technocratie véritablement créative remplacerait la « technique élémentaire et dépassée » que sont la bagnole et les autoroutes par des « techniques prodigieusement développées ».
« La technique autorise déjà », précise Lefebvre dans Vers le cybernanthrope, « la construction de véhicules plus parfaits que la voiture à quatre roues, l’autocraft (sur coussin d’air), par exemple, ou les hélicoptères de divers types. »

Vivement le fantacoptère de Fantasio. Vivement les drones et le flyboard de Franky Zapata. Vivement les capsules « hyperloop » du cybernanthrope Elon Musk, propulsées à plus de 300 km/h dans des tubes à suspension électromagnétique. Voilà qui aurait émerveillé Henri Lefebvre. Peut-être.

Trois ans après l’inauguration du périph’, en 1976, les « boomers » du Conseil de Paris dévoilent un nouveau plan de circulation qui transformerait la capitale en « autodrome » – c’est du moins ce que dénoncent les Amis de la Terre, l’une des premières associations écologistes. Radiales, rocades, voies souterraines, voies de bus, voies de taxi, et – mesure incroyablement liberticide pour l’époque – installation de feux tricolores sur 200 carrefours ! Il faut « adapter la ville à la voiture », dit-on dans les ministères. Le groupe Paris-Écologie et la Fédération des usagers de transports dénoncent ce « cauchemar psychomoteur » et publient en 1977 leur contre-projet, Assez roulé comme ça. Il faut ensuite traverser le tunnel des années 1980 – celui de la Super Cinq, de l’informatique et du Lycra –, pour que de jeunes « vélorutionnaires » reprennent le slogan des premières manifs anti-bagnoles : « La voiture ça pue, ça tue et ça pollue ».

Aujourd’hui, grâce à l’électricité et aux technologies numériques, les industriels de l’automobile prétendent répondre aux reproches qu’on leur faisait jadis. Le « progrès » symbolisé par la voiture n’est plus enrobé de « conquête sociale », de « liberté », de vitesse et de moteurs pétaradants. Paul Wilcox, le président de Nissan Europe, fait en 2017 ce rêve éveillé d’un « monde plus propre, plus sûr et plus juste » où :

« Les voitures seraient 100 % électriques et se rechargeraient toutes seules la nuit. Où les batteries de nos véhicules pourraient emmagasiner assez d’énergie d’origine renouvelable pour alimenter nos maisons et nos bureaux et en restituer au réseau électrique local devenu « intelligent ». Où les véhicules à conduite assistée et zéro émission à l’échappement renforceraient notre sécurité et amélioreraient la qualité de l’air que l’on respire. Où chaque kilomètre de chaque livraison respecterait l’environnement. Et où, malgré l’accroissement de la population urbaine, les problèmes de congestion appartiendraient au passé grâce aux véhicules connectés et aux villes intelligentes. Utopique ? C’est pourtant une vision parfaitement réaliste d’un futur pas si lointain. »

Son rêve, ce pollueur le publie dans les pages complaisantes du Monde, alias Le Quotidien de l’automobile, avec ses suppléments « Flottes d’entreprises » et « Villes intelligentes », ses débats organisés dans les salons de l’auto, ses pubs pour la bagnole, et ses double-pages sur les derniers modèles commercialisés. Gageons que Le Temps (1861-1942), le journal « sérieux », « de référence », dont Le Monde a récupéré les locaux et la succession, s’est empressé de relater l’exploit de la première voiture automobile à dépasser les 100km/h, réalisé en France le 29 avril 1899, par la « Jamais Contente » avec son moteur électrique]. De même que Le Monde s’empresse aujourd’hui au salon de l’Auto pour vanter les mille-et-une inventions des « nouvelles mobilités ».

Sur la piste du déconfinement

Les peuples confinés ont apprécié le bol d’air offert par l’arrêt des bagnoles, des avions et des paquebots de croisière. L’épidémie de Covid, comme le souligne Pièces et main d’œuvre dans Le règne machinal. La crise sanitaire et au-delà, aura accéléré la « mutation » de l’économie vers le numérique et l’électricité. D’un côté, des fonderies de moteurs thermiques ferment leurs portes, et 40 % des emplois sont menacés par l’électrification des voitures ; de l’autre, deux usines de batteries pour voitures électriques ouvrent dans le Nord-Pas de Calais, et la vente de vélos électriques a explosé de 30 % en un an.
Cette mue électrique n’est évidemment pas un phénomène naturel. Elle exige l’aide financière de l’État-stratège. « Plan Vélo : la reine du déconfinement », titre le communiqué du Ministère de la transition écologique en juin 2020, qui débloque 60 millions d’euros pour l’aide à la réparation de vélo : « Avec le déconfinement, nous sommes en train de franchir une étape dans la culture vélo », déclare Élisabeth Borne. Au mois de septembre suivant, la nouvelle Ministre de la transition écologique Barbara Pompili ajoute 20 millions pour financer les « fameuses coronapistes » et les stationnements qui incitent au « vélotaf ». Puis le plan « Climat & Résilience » offre en avril 2021 une « prime à la conversion » pour les automobilistes qui se débarrassent de leur engin au profit d’un vélo nucléaire. Le président de la Fédération des Usagers de la Bicyclette salue une décision « historique ». L’aide de l’État à l’achat d’un vélo électrique s’élève à 200 €. L’aide de l’État à l’achat d’un vélo « musculaire » (sic) est nulle. Le biclou n’a plus sa place dans la start up nation.

L’idéologie bagnolistique avait des clous dans les pneus avant même l’épidémie de Covid. Les Sport Utility Vehicle (S.U.V.), ou « 4X4 urbains », ont à peine freiné le désintérêt pour la voiture et relancé les rejets de gaz d’échappement. Heureusement, « conduire une hybride rechargeable ou une « zéro émission » ravive l’intérêt pour l’automobile », s’enthousiasme le bagnoliste du Monde, Jean-Michel Normand le 22 janvier 2021, ébloui par les sensations au démarrage que procurent les récents tas de ferraille électriques. Son euphorie est à peine soutenable quand il salue « l’approche ludo-technologique […] autour de la présence d’un écran au format XXL » qui renseigne sur le CO2 épargné à la planète. Et avec tes e.shoes, Jean-Michel, t’as bien fait tes 10 000 pas à toute pompe ? « 2021, année électrique ? », s’impatiente encore Le Monde. En 2020 en Norvège, une voiture achetée sur deux est électrique. « L’année de la pandémie aura été marquée par un évènement industriel mondial : l’envolée des ventes de voitures électriques. »

Les salons de l’automobile, ces cérémonies animées par des hôtesses vêtues de leurs plus légers atours, mutent également, « en salons des mobilités ». « Les salons auto post-Covid cherchent leur voie », titre Le Monde les 5-6 septembre 2021. « – T’as vu ma nouvelle mobilité en gyropode ? – Ouais, mais je préfère la trottinette, tu vas plus vite et tu as une meilleure tenue de route. »
L’IAA Mobility par exemple, le salon annuel de Munich, entame sa « réinvention » en faisant « la part belle à toutes sortes de moyens de déplacement « doux ». Le vélo sera presque aussi présent que la voiture », continue le journal. L’industrie automobile est à la peine depuis la crise de 2008, et depuis que le scandale du « Dieselgate » a entraîné Volkswagen et Renault devant les tribunaux. A Munich, Volkswagen ne présente aucune voiture à pétrole et Renault opère sa « Renaulution » grâce à sa Mégane atomique. Le salon munichois met en lumière 75 start-up investies dans « l’écomobilité » : des scooters et des trottinettes électriques, des robots-taxis électriques, des camions-drones à hydrogène, et bien sûr des vélos. L’e-bike de BMW présente une tige de selle réglable électriquement et optimisée « biométriquement » aux données physiques de l’utilisateur. Il est bien sûr géolocalisé et offre une solution électronique d’anti-démarrage, un radar de proximité du plus bel effet, ainsi qu’un système de surveillance de la pression des pneus. Pratique, technologique, écologique.

Le mensonge de la technopole verte

Les industriels du transport n’auraient pas imposé l’image « responsable » du vélo nucléaire sans le soutien des fédérations de cyclistes et des Verts – ces « écolos » qui n’en finissent pas d’écraser les cyclistes « utopistes » des années 1970 pour se présenter comme le personnel le plus « compétent » à la direction de L’Enfer vert. Dans les années 2000/2010 les grandes agglomérations préfèrent s’équiper de coûteux vélos en libre-service (VLS) plutôt que d’offrir une aide à l’achat de vélos personnels. Un vélo en libre-service coûte en moyenne 3000 € par an. Les Verts lillois, responsables des transports à la Métropole et à la Région, cèdent la gestion des « VLS » à Keolis et à Decathlon-Mulliez, la multinationale nordiste, en même temps qu’ils imposent la carte à puce RFID « Pass-Pass », dans les transports. Vélos et voyageurs font leur entrée à Dataland en bipant à chaque voyage. Idem avec le gadget de planification et de gestion de batterie pour vélos électriques que vend la start up grenopolitaine eBikeLabs, qui se finance en vendant les données de ses clients pour de la pub ciblée. Start up cofondée par un ancien conseiller municipal Vert d’Éric Piolle.
En 2012, les Verts de Paris exigent du publicitaire JC Decaux des Vélib’ électriques pour monter les pentes de Montmartre – comme si les Parisiens les avaient attendus pour vivre sur la butte. Ils récidivent en 2017 quand le gouvernement suspend pour un temps l’aide à l’achat de vélos électriques. « Quelle incohérence d’annoncer un bonus pour changer de voiture et supprimer la prime pour les vélos électriques ! Le vélo électrique, c’est bon pour l’environnement, la santé et aussi notre économie. » Parce que le vélo « musculaire », c’était l’inverse ?

Quelques années et un Covid plus tard, les candidats aux élections régionales de 2021, toutes couleurs confondues, jouent des coudes pour être les plus électromobiles. Valérie Pécresse, en Île de France, promet 500 € pour l’achat d’un électro-vélo. En Hauts-de-France, Xavier Bertrand (LR), comme sa concurrente Karima Delli (EELV), promettent leur soutien au Vélo à Assistance Électrique et à la production de batteries de voitures électriques. Au point qu’il faudrait désormais une thèse en marketing politique pour distinguer toutes ces nuances de vert. Le parti unique du vélo électrique, de la voiture électrique, de la trottinette électrique, a remporté une victoire à la chinoise – soit dit au premier degré : en 2009, la Chine est le premier État à financer massivement son industrie électro-mobile et à interdire les deux-roues thermiques de sa capitale – Pékin, 22 millions d’habitants suffoquant dans les gaz d’échappement.

L’expansion du vélo électrique, de Pékin à Paris, n’est pas un choix politique de décideurs convaincus du respect de l’environnement. Le vélo électrique leur est imposé par l’encombrement de l’espace public par la voiture. Leur écologie n’est pas celle des années 1970 qui voulait « réinventer la vie ». Elle est le pilotage technocratique de la machine urbaine, imposée par la contrainte des embouteillages et la raréfaction des ressources en pétrole, en air, en espace. Le vélo n’est plus un moyen d’émancipation – à bicyclette, avec Paulette –, mais le moyen de transport le plus efficient dans une métropole asphyxiée.

Auto-Boulot-Dodo ou Vélo-Boulot-Dodo, peu importe, tant que les composants sociaux fonctionnent, zéro délai, zéro défaut. Le e-vélo, si facile à hisser dans le train, si pratique pour se faufiler entre les voitures, est devenu, selon l’expression des ingénieurs du territoire, un « maillon de la chaîne de mobilités ». Il ne s’oppose plus aux autres moyens de transport, il est un moyen supplémentaire, selon que l’on habite plus ou moins loin de son lieu de travail, selon l’offre de transports publics, selon la météo. Grâce aux distances qu’il permet de parcourir, le vélo électrique peut prendre sa part dans la hausse ininterrompue depuis soixante ans des distances de déplacements quotidiens domicile-travail. Quoique Le Dauphiné libéré survende les e- promenades sur des routes de montagne, le vélo électrique est d’abord et avant tout ce qu’en dit la Pompili de la Transition écologique : un « vélotaf ». Dans les années 1960-1970, la voiture individuelle a imposé son aménagement de l’espace. Si le vélo électrique est à ce point soutenu par les pouvoirs publics, c’est qu’il peut y trouver sa place sans remises en question plus essentielles.

Refuser le vélo électrique c’est crever la baudruche de la « transition énergétique », de la technopole électrique et connectée. Le vélo électrique, anodin en apparence, est le petit mensonge qui en fait accepter de bien pires. Celui de l’électromobilité, d’abord : aussi propre soit-elle en apparence, les électromobilistes exportent les nuisances de leur mode de vie chez les voisins des mines de lithium, de cobalt, de manganèse. Celui de l’atome évidemment, sur le point de passer pour une « énergie propre » si Emmanuel Macron parvient à l’imposer parmi les énergies financées par le « Green New Deal » de l’Union européenne. Celui, plus général enfin, de l’écologie apolitique des technocrates, des scientifiques et des ingénieurs, qui vantent le vélo électrique comme ils vantent la voiture électrique, les énergies renouvelables, la ville intelligente.

« Un beau jour, » – nous répète une fois de plus Bernard Charbonneau – « le pouvoir sera bien contraint de pratiquer l’écologie. Une prospective sans illusion peut mener à penser que, sauf catastrophe, le virage écologique ne sera pas le fait d’une opposition très minoritaire, dépourvue de moyens, mais de la bourgeoisie dirigeante, le jour où elle ne pourra faire autrement. Ce seront les divers responsables de la ruine de la terre qui organiseront le sauvetage du peu qui en restera, et qui après l’abondance gèreront la pénurie et la survie. Car ceux-là n’ont aucun préjugé, ils ne croient pas plus au développement qu’à l’écologie ; ils ne croient qu’au pouvoir, qui est celui de faire ce qui ne peut être fait autrement. »

Ces « responsables » et « dirigeants », tel Éric Piolle, l’ingénieur Vert – et cycliste – de Grenoble, n’ont aujourd’hui que le pouvoir d’imposer « l’électromobilité », après avoir imposé l’éclatement des villes et des campagnes en zones industrielles, commerciales, résidentielles, touristiques, etc. Nous poursuivons quant à nous le seul objectif qui vaille, celui des écologistes et « vélorutionnaires » des années 70 : un mode de vie autonome et unitaire.

 

Tomjo & Pièces et Main d’œuvre
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