Une nouvelle période s’ouvre-t-elle ?
L’entrée dans une nouvelle ère, le retour du tragique de l’histoire, vont aussi faire advenir une régression sans précédent sur le front des luttes pour la défense de l’environnement.
Depuis plus de 48 heures, l’Ukraine est à feu et à sang sur la simple décision autocratique de Vladimir Poutine dont on connaît quelques motivations plus ou moins profondes si tant est qu’elles aient un horizon défini.
La barbarie est à l’œuvre et certains se sont bien trompés sur son destin funeste. Mon esprit charitable m’empêchera de citer leurs noms.
D’autres barbaries, mieux connues de nous, avancent en parallèle, plus sourdement, voire avec fracas, depuis bien longtemps : changement climatique, érosion massive de la biodiversité, inégalités sociales et précarisation du monde du travail, faim et violences au Sud comme au Nord…
« L’ancien monde » rattrape ainsi le « Nouveau monde » qui « n’est pas encore né » et c’est « dans ce clair obscur que naissent souvent les monstres », en citant approximativement Gramsci à la fin des années 20. Juste avant qu’il ne soit « Minuit dans le -20ème- Siècle » (Victor Serge).
Un tournant géopolitique majeur est donc à l’œuvre, face à des corps (OTAN, ONU, UE, G8-20…) tétanisés par l’idéologie dominante et paralysés par leurs intérêts contradictoires, ce sous nos yeux ébahis qui auraient dus être écarquillés par l’Afghanistan, le Proche et le Moyen Orient avec la Syrie et le Kurdistan (où les mêmes se sont illustrés), le Caucase, le Sahel, l’Afrique Centrale, les échecs de la diplomatie UN dont ceux –notables – sur le Climat, mais aussi par les crises sociales en Europe… et au delà.
Une certaine vision internationaliste s’impose donc pour comprendre le moment et la période. Y compris du point de vue de l’écologie dont les partis détenteurs du label n’offrent pas le meilleur spectacle en se rangeant du côté d’institutions qui ont produit ou négligé ce désastre.
Ce tournant historique dépasse largement les compréhensions, les analyses et, de fait, les projets politiques, associatifs, syndicaux, ou de lutte sur le terrain des uns et des autres, les rendant plus que dérisoires. Que dire de nos sympathiques délires sur les « pains paysans », les « toilettes sèches » ou le « bio bienfaiteur » (je m’excuse auprès de leurs promoteurs) dans un tel paysage si gravement bouleversé qui aura des incidences immédiates et durables pour chacun d’entre nous et qui balaiera aussi les simples revendications catégorielles ?
Il en est aussi ainsi, bien sûr, de la juste bataille contre les méga-bassines pour l’irrigation du maïs-export en Poitou-Charentes et ailleurs, mené par le collectif BNM (« Bassines Non Merci ») comme par d’autres mouvements et syndicats. Mais c’est aussi le cas de toutes les luttes environnementales et écologiques en France comme dans le reste de l’Europe.
La preuve de cette actualité nous est apportée par le furtif passage d’Emmanuel Macron au Salon de l’Agriculture où, hier encore, on ne l’annonçait pas au profit du fade Castex ou de l’ineffable Denormandie. Son apparition médiatisée est un signe de l’importance (géo-)politique accordée à la maîtrise du marché céréalier et des filières agro-alimentaires (on passe du « pétrole vert » au « canon vert » dont les bassines sont une des munitions), et il ne s’en est pas caché, avec une certaine justesse pour quelqu’un qui défend la finance, l’industrie agro-alimentaire concentrée et la sécurité de l’Etat dans ses diverses facettes.
On a ainsi déjà pu entendre les mensonges éhontés et affirmations péremptoires de Sylvie Brunel, invitée de l’émission C l’Hebdo sur la Cinq, le samedi 26 février à 19h00 : « Il n’y a plus de nitrates en Bretagne, l’agriculture française est la meilleure du monde, les agriculteurs sont à l’avant-garde de la protection de l’environnement… », on en passe et des pires :
https://www.france.tv/france-5/c-l-…
Dans la foulée, sur France culture, aujourd’hui à midi, Madame Broué récidive en direct du Salon de l’Agriculture, et ressert à nouveau les plats, comme la semaine dernière, aux troupes de la FNSEA :
https://www.franceculture.fr/emissi…
Aussi toutes les luttes de terrain sur l’eau (Méga-bassines, Sivens, Caussade…) comme celles contre les OGM ou les pesticides, les paysages et la biodiversité, sont interpellées car les argumentaires en faveur de l’indépendance alimentaire et énergétique de la France, du maintien de ses capacités productives et de leur financement, ne vont pas manquer de fleurir dans le cadre d’une alliance organique, resserrée ce matin même au Salon de l’Agriculture, sachant que le facteur temps comme la lenteur judiciaire jouent contre les alternatives de terrain et la Transition écologique que certains appellent de leurs voeux avec des tonalités diverses voire, pour certains, insincères.
Très vite, nous allons entendre : « Les missiles sont à l’Est, et les Anti-bassines sont à l’Ouest » (géographiquement bien sûr, puisque c’est l’Ancien Monde).
Les inversions de priorités vont vite s’opérer dans la tête de bien des Français : il ne faut jamais sous-estimer le moral d’une population entière, toutes classes confondues, ni surestimer les avancées médiatiques ou militantes d’une poignée d’activistes déterminés durant la période récente au bilan de laquelle on met les succès provisoires (?) contre les bassines.
Les luttes environnementales vont retrouver, temporairement ou durablement, le chemin de « l’écologie des catacombes » où certains veulent les enterrer depuis bien longtemps, tant par la répression policière que par la régression judiciaire, le droit de l’environnement, français autant qu’européen, étant devenu peau de chagrin. La situation de l’Union Européenne, de sa diplomatie comme de toutes ses institutions, nous montre que celle-ci n’est et ne sera que d’un maigre recours pour nos écosystèmes naturels en danger voire déjà détruits.
Union(s) Nationale(s) et le « Tout pour la guerre ! » (économique) vont dominer l’espace politique dans une séquence électoral-ist-e déjà plombée par les événements d’Ukraine et par les réactions qui vont en découler, à commencer par celles des Etats, certes affaiblis mais qui, « en dernier ressort, sont toujours des bandes d’hommes armés », nous disait Marx (Karl, pas Groucho) ce qui nous a été amplement démontré lors des récents mouvements sociaux, anti-bassines compris, malgré les revers tactiques de la Maréchaussée.
Ceci doit interpeller la sphère sympathisante du collectif BNM (Bassines Non Merci) et de bien d’autres mouvements en lutte, déjà frappés ou fragilisés par la torpeur de la pandémie du COVID. Une réflexion s’impose rapidement. Quels repères et quelles boussoles sont mobilisables dans une nouvelle période qui s’ouvre brutalement et où les fragiles cadres institutionnels progressistes se déliteront ou disparaîtront ?
Comprendre ce qui se passe, en discuter, élaborer cheminements tactiques ou positions stratégiques s’imposent pour des mouvements comme BNM et ses alliés. Dès aujourd’hui. Il est difficile de se contenter de ralliements ou de positionnements rhétoriques (« Mes potes d’ATTAC, combien de divisions ? »). Certaines initiatives prévues à court terme doivent être ré-envisagées ou reconfigurées à cette aune.
On ne peut pas faire comme si de rien n’était dans ce monde en guerre bruyante et sanglante au cœur de l’Europe même. Mettre à profit les expériences des mouvements anti-guerre (de l’Ancien Monde) comme celles des organisations internationalistes (elles aussi de l’Ancien Monde) semble un minimum bien que ceci impose de rompre avec des consensus, des habitus, des confiances accordées ou avec des alliances tactiques qui n’ont plus de fondements tangibles car la guerre en Ukraine est aussi la guerre en Europe. Et toute guerre militaire ou économique est guerre sociale autant qu’écologique avec ses pollutions et destructions.
Une nouvelle période s’ouvre. « L’avait-on vu venir ? » est une question désormais sans objet. La voir évoluer est la seule question importante pour pouvoir la faire diverger avec la seule force de nos esprits, de nos petits bras et de nos coeurs dans la clarté recherchée.
Les agendas, micro ou macro, des uns et des autres devront se conformer aux exigences et aux contraintes de la nouvelle période. Puisse une réflexion profonde s’amorcer sans bavardages inutiles et sans assertions péremptoires, osé-je professer sans y succomber moi-même, du moins je l’espère. »
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