… dans les régions françaises et européennes ?
un sujet grave au sud… comme au nord !
D’ordinaire, dès que l’on parle de reconquête de la souveraineté alimentaire, notre esprit pense immédiatement à une problématique frappant seulement les pays du sud. Un mauvais réflexe qu’il va falloir oublier, car les pays du Nord sont tout autant concernés par le sujet. En effet la souveraineté n’est pas une histoire de volume de production pris dans sa globalité : c’est avant tout un problème d’adéquation à l’échelle d’un territoire, entre une production agricole et alimentaire, et les besoins de sa population, besoin pris dans leurs diversité qualitative.
Une dépendance alimentaire organisée à l’échelle mondiale
Il faut déjà s’arrêter sur la production agricole locale, et ne plus regarder en volume mais en répartition par famille de produits. On voit alors tout de suite la nature de l’agriculture : celle d’une production hyperspécialisée basée sur peu de produits. Dés sa création en 1994, l’OMC a fait du dossier agricole l’une de ses priorités de libéralisation des marchés à l’échelle mondiale. Il faut dire aussi que les pays du Nord ne sont pas très beaux joueurs dans ce domaine : ils font de la résistance sur leurs marchés intérieurs par des barrières douanières et toute une batterie de subventions, tout en arrosant les marchés du sud de leurs excédents agricoles et en contrôlant à la baisse les prix des denrées « exotiques ». L’OMC finira sans doute par les faire céder et déréguler complètement le marché mondial des produits alimentaires.
Les pays du Nord ne s’y trompent pas et se préparent depuis longtemps à cette perspective douloureuse pour leurs agriculteurs. Pour ne prendre que le cas de l’Europe, la PAC (politique agricole commune) s’est orientée dès le milieu des années 80 dans la voie de la productivité, c’est à dire de l’agrandissement permanent des exploitations agricoles et de la concentration hyperspécialisée des produits à l’échelle de régions entières.
Quant aux produits, on comptera sur les autres régions, qu’elles soient voisines… ou à l’autre bout de l’Europe, voire du monde.
Transformation et distribution
Produire n’est pas tout : pour un grand nombre de produits, même les plus simples, il faut aussi transformer, préparer, mettre en conserve, abattre ou découper. On se retrouve dans le secteur de la transformation et des industries agro-alimentaires. Et c’est ici que le grand bal commence, car il n’y a rien de systématique entre la présence d’une production et la proximité des transformateurs associés (…) c’est à l’étape suivante qu’est apporté le coup de grâce à la souveraineté alimentaire réelle, par le biais des circuits de distribution et de vente. Ce n’est pas parce qu’un produit alimentaire est récolté ou fabriqué dans une région qu’il va réussir à y être commercialisé et consommé. Car les circuits courts de distribution, même s’ils existent (marchés, ventes directes…), sont marginaux en volume face à la grande distribution qui contrôle désormais prés de 90% du commerce de détail en France avec 5 centrales d’achat seulement.
Même les épiceries de quartier ont du mal à leur échapper (…) L’Achalandage d’un magasin dépendant du bon vouloir de sa direction et des produits imposés par le catalogue de sa centrale, la présence de produits locaux dans les rayons peu relever de la pure coïncidence. La grande distribution apparaît ainsi comme le tout premier
« vecteur » de l’intrusion de la mondialisation libérale (et de ses ravages) dans notre vie quotidienne.
Conséquences énergétiques de cette dépendance organisée…
Dans le domaine de l’énergie, on en arrive même aux confins du royaume du Père Ubu. Voir les milliers de kilomètres parcourus en tout sens par la moindre marchandise alimentaire a quelque chose d’irréel et un tel gaspillage heurte le bon sens (…) La déplétion pétrolière est désormais devenue une évidence, et le seul débat qu’elle suscite encore est de savoir si elle va se faire sentir dans 5,10 ou15 ans. C’est à dire demain de toute façon à l’échelle historique. Mais pas à l’échelle de la logique économique, incapable d’anticiper des évolutions aussi évidentes, d’imaginer que notre planète dispose de ressources limitées ou d’intégrer les externalités ravageuses de son gaspillage énergétique.
Un regard un tant soit peu lucide le voit sans peine : un tel système n’est pas soutenable à moyen terme, et la raréfaction du pétrole aidant (pour lequel il n’existe aucune alternative possible à notre niveau de consommation actuel), il va s’arrêter de lui même, d’abord par non rentabilité financière, puis par assèchement des ressources.
Fini le grand bal des camions ou des avions transportant les produits alimentaires aux quatre coins du monde : pour pouvoir se nourrir, il va falloir trouver autre chose, et cette fois en LOCAL.
Mais il n’y a pas que le transport qui sera impacté par ce phénomène de déplétion du pétrole (…) C’est le modèle agricole intensif lui- même qui va être amené à disparaître à terme pour laisser la place à des formes agrobiologique autrement plus soutenables et respectueuses des écosystèmes et des milieux naturels. Mais cette mutation ne sera pas aussi simple, elle nécessite des emprises foncières supérieures, et la présence de plus de paysans pour exploiter ces terres. Tout cela doit donc se préparer pour ne pas faire face à une précipitation dangereuse.
… Avec aussi des conséquences environnementales désastreuses…
Cette question de l’énergie est en lien direct avec celle, plus grave encore, du réchauffement climatique. Là ou la déplétion du pétrole nous indique que la réduction des dépenses énergétiques sera bientôt une réalité, le réchauffement nous crie haut et fort que cette réduction est déjà une nécessité. Tous les experts mondiaux sont
formels sur ce phénomène que plus personne ne conteste sur le plan scientifique (sur le plan politique et économique c’est autre chose…) : Ce sont les (sur) activités humaines qui sont responsables de ce dérèglement climatique, surconsommation d’énergies fossiles en tête.
Les émissions mondiales annuelles de gaz à effet de serre (GES) sont aujourd’hui 4 fois supérieures aux capacités d’absorption annuelles de l’ensemble des écosystèmes terrestres et marins (…) agriculture et alimentation ne sont évidement pas étrangères à ce phénomène du réchauffement (…)
Face au renoncement politique, une seule solution : un réengagement politique
Nous sommes face aux lois de l’offre et de la demande. Après tout c’est la règle du jeu : que le meilleur gagne ! Le seul problème, c’est que cette règle accepte les tricheurs à la table de jeu, ceux qui utilisent à tour de bras les cartes truquées du dumping social pour baisser leurs prix et remporter la partie (…) Mais attention : pour connaître les joueurs aux cartes truquées, il ne faut pas raisonner en termes géographiques ou nationalistes, mais en termes socio-économiques et politiques (…) C’est ici qu’on mesure la passivité, c’est à dire la complicité, des décideurs politiques, qu’ils soient européens, nationaux ou régionaux.: Ce sont ces décideurs politiques qui ont ouvert la porte au libéralisme, qui ont d’eux-mêmes renoncé peu a peu à leur moyens d’intervention et de régulation des activités économiques, d’abord sous la poussée des partis conservateurs, puis suivis par les partis socialistes et sociaux-démocrates. Relayant le discours de la pensée unique, ils déplorent ne pouvoir rien faire contre ce mouvement de globalisation : ils ont globalement raison et ils le savent d’autant mieux qu’ils ont soigneusement organisé leur propre démission…
Mais ce que l’activité politique a défait, l’activité politique peut le refaire, le rétablir (…) Dans le cas de l’agriculture et de l’alimentation, cette réappropriation des leviers d’action est tout à la fois possible et urgente. Et elle ne se fera pas à l’échelle mondiale, un périmètre d’action beaucoup trop vaste et éloigné pour répondre efficacement à la nécessité quotidienne de nourrir les populations au plus près de leurs besoins.
principes et fondement de cette démarche
Le principe de base, c’est la restauration de la souveraineté alimentaire : elle doit être considérée comme un droit citoyen fondamental.
C’est bien à une échelle collective raisonnable qu’il faut considérer cette souveraineté (…) Il faut alors établir une réelle stratégie de gestion des risques pour savoir le moment venu y faire face.
Cela passe par une relocalisation des moyens de production, de transformation, de distribution et de consommation des ressources alimentaires (…)
Mais il faut être très clair : ce n’est en rien une tentative populiste voire xénophobe de repli sur soi.
Il n’y a aucune volonté d’aboutir à l’autarcie, mais à l’autonomie, ce qui est foncièrement différent : il s’agit de savoir maîtriser les échanges, les flux entrants et sortants, pas de les supprimer (…) Cette démarche s’appuie avant tout sur du bon sens.
C’est le cas sur le plan environnemental, par sa prise en compte rationnelle des conséquences du réchauffement climatique, de la pollution et de la dégradation des milieux naturels et des ressources hydriques. C’est aussi le cas sur le plan énergétique, par la diminution drastique des gaspillages liés aux transports et de la dépendance aux énergies fossiles, pétrole en tête.
La conséquence immédiate qui en découle sur le plan agricole est la conversion du modèle d’agriculture intensive en un modèle agrobiologique, le seul à pouvoir développer des formes d’agriculture réellement soutenables pour l’écosystème planétaire, (toutes les formes d’agrobiologie ne sont pas nécessairement soutenables) (…) « La reconstruction du système agro-alimentaire passe indubitablement par la régénération d’une multitude d’outils de production (maraîchage, arboriculture, pisciculture, apiculture, aviculture, polyculture, élevage…) couplée à une dynamique d’actions transversales dans des domaines aussi complémentaires que la transformation, la commercialisation, la formation et la recherche ».
On peut même rajouter des secteurs connexes comme l’artisanat et le tourisme, largement impactés par cette dynamique. (…)
On retrouve dans cette démarche , en premier lieu la répartition qualitative et spatiale des surfaces agricoles afin de mettre en place ce qu’on appelle un périmètre de souveraineté alimentaire. Il doit s’établir sur la base minimale de l’adéquation des productions agricoles aux besoins alimentaires de la population (dans la limite des terroirs favorables disponibles, voir ensuite les partenariats voisins à ce périmètre) (…)
Mais là encore la nécessité de rétablir un mode de développement « soutenable » implique un réel pilotage de nature politique : les acteurs du monde agricole devront aussi comprendre que le « droit d’usage » des terres ne doit pas être un « droit d’user » .
Il serait un peu absurde d’établir un périmètre de souveraineté alimentaire sous forme d’un « sanctuaire » si le reste des terres subissait toujours un saccage environnemental sous le coup du productivisme intensif…
Il suffit aussi de prendre l’exemple de la ceinture périurbaine des grandes villes : la pression immobilière actuelle pour le développement extensif « à l’horizontal » des zones d’habitation (et leur éparpillement de pavillons individuels) vient accaparer des terres généralement fertiles au détriment des cultures agricoles de proximité. Sans
oublier la multiplication de (ZI, ZAC…). La logique doit amener à réimplanter des ceintures maraîchères et agricoles autour des villes… pas à 80 km dans des zones délaissées et peu favorables (…)
Cela passera forcément par une reprise en main collective de la gestion du foncier sur l’ensemble du territoire !
En continuant à explorer la filière « de la fourche à la fourchette », d’autres exemples de mises en œuvre concrètes apparaissent. Dans le domaine de la transformation et des industries agro-alimentaires, une démarche doit là aussi
apporter un soin particulier à la présence d’un tissu industriel et artisanal suffisant sur le territoire pour un maximum de produits alimentaires transformés (et à la signature de partenariats voisins) (…).
L’analyse faite sur le rôle central et globalement néfaste des centrales d’achats de la grande distribution laisse peu de place à l’espoir dans l’immédiat. Les leviers d’intervention manquent ici pour les institutions locales, et même nationales, pour favoriser la distribution locale des productions locales. (…). Les solutions comme les systèmes de paniers (de type AMAP ou jardins de collectifs) sont très positives mais restent d’une ampleur marginale à l’échelle des volumes distribués.
Par contre il y a un moyen d’agir plus sûrement et massivement sur les circuits dont les collectivités locales ou les services publics ont la charge, en particulier tout ce qui touche à la restauration collective (écoles et universités, maisons de retraite, administrations et entreprises publiques ou territoriales…).
La souveraineté alimentaire : une démarche de désaccoutumance à la croissance
Malheureusement la mise en action de ce volontarisme politique peut se révéler très décevante si elle se cantonne au seul cadre de la démocratie représentative actuelle.
Nombreux sont les analystes et experts politiques qui mettent en lumière le caractère technocratique et presque « fossilisé » de nos institutions représentatives, dont les domaines de compétences respectifs ne cessent de se piétiner et de se neutraliser et dont les contraintes légales et réglementaires déjà ahurissantes ne cessent de s’alourdir encore.
Certains arrivent même à la conviction du caractère irréformable de ces structures. Cette démarche a quelques atouts en main pour tenter d’injecter le « sang neuf » de la démocratie participative dans cette démocratie représentative a bout de souffle.
Il serait politiquement dangereux de ne pas intégrer ( ou seulement pour la photo..) Les citoyens acteurs dans cette démarche autour de la souveraineté alimentaire. (…)
Retrouver la maîtrise de son autonomie alimentaire est un thème suffisamment global et compréhensible pour mobiliser dans un même élan les citoyens et leurs représentants ( politiques et techniques), et sans clivage partisan.
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