Liste que l’État dissimule
L’extraction minière a provoqué une pollution durable de la France. L’État en a fait l’inventaire, mais il le cachait jusqu’à présent. Reporterre publie cet inventaire pour toutes les régions, ainsi qu’une carte des territoires empoisonnés par les déchets miniers. [Enquête 1/3]
Vous lisez l’enquête « Mines : l’héritage toxique de la France ».
Le deuxième volet, « Le calvaire des victimes des mines empoisonnées » :
https://reporterre.net/Le-calvaire-des-victimes-des-mines-empoisonnees
Le troisième volet, « Il n’y a pas d’après-mine heureux ! » :
https://reporterre.net/Il-n-y-a-pas-d-apres-mine-heureux
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Si vous êtes une entreprise minière et que vous cherchez des gisements à exploiter en France, vous les trouverez sans difficulté. Le Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) vous a préparé un atlas, complété par des bases de données et un portail sur le site Mineralinfo.
Si vous cherchez à visiter des musées de la mine, pas de problème non plus : le BRGM les a cartographiés sur son site pour vous encourager à aller admirer notre patrimoine industriel. En revanche, on trouve peu de documents publics permettant de comprendre que plusieurs siècles d’exploitation minière en France ont créé une montagne de problèmes insolubles.
En 2006, la Commission européenne a émis une directive pour obliger les pays membres à améliorer la gestion des déchets des industries extractives. « Les déchets miniers représentent les volumes de déchets les plus conséquents de l’Union européenne, a-t-elle constaté. Ils peuvent contenir de grandes quantités de substances dangereuses. »
De fait, la mine est le secteur industriel qui produit le plus de déchets. C’est logique : pour exploiter un gisement, on va d’abord extraire de très importants volumes de roches qui en barrent l’accès, les « stériles ». Une fois arrivé au gisement, il faut broyer la roche en poudre fine, la lessiver, la faire réagir avec des substances chimiques (acides, cyanure, etc.) pour en extraire des minéraux présents en très faible quantité — ces divers traitements produisent d’autres déchets appelés « résidus ». Stériles et résidus contiennent souvent des métaux toxiques — arsenic, plomb, cadmium, mercure… — et autres composés chimiques qui, une fois au contact de l’air et de l’eau, réagissent et peuvent être drainés dans les cours d’eau et les sols.
Des centaines d’années de pollution
Ces déchets dangereux, qui peuvent polluer l’environnement pour des centaines d’années, nécessitent d’être confinés et protégés des aléas, ce qui, étant donné leur volume, est particulièrement difficile. Les catastrophiques ruptures de digues de résidus survenues en Espagne (Aznalcollar, 1998) puis en Roumanie (Bahia Mare, 2000) ont convaincu la Commission européenne de surveiller ces déchets de plus près.
La directive européenne de 2006 a imposé à chaque État membre de réaliser et de mettre à jour régulièrement « un inventaire des installations de gestion de déchets fermées, y compris les installations désaffectées, situées sur leur territoire et ayant des incidences graves sur l’environnement ou risquant, à court ou à moyen terme, de constituer une menace sérieuse pour la santé humaine ». Cet inventaire devait être terminé en 2012 et « mis à la disposition du public ».
« Les anciennes mines sont l’une des plus importantes sources de pollution »
En Grande-Bretagne, l’agence pour la protection de l’environnement a identifié, sur des dizaines de milliers d’anciennes mines, 150 sites instables ou très pollués. Elle a détaillé les enjeux dans deux dossiers d’une quarantaine de pages comprenant des cartes, des photos et des schémas. Leurs auteurs ont tenté de faire comprendre au public la gravité de ces conséquences : « Les anciennes mines sont l’une des plus importantes sources de pollution en Grande-Bretagne, écrivent-ils. La pollution minière est particulièrement difficile à résoudre du fait de sa très longue durée. En Écosse, les mines de charbon de Dalkeith du XIIIᵉ siècle continuent de décharger des eaux acides et chargées de fer dans la rivière. »
Ils alertent sur « l’échelle du problème » : 653 cours d’eau sont menacés, 90 % des plaines alluviales du nord de l’Angleterre sont polluées aux métaux lourds et on estime qu’il en est de même au Pays de Galles et dans certaines régions du sud de l’Angleterre. En Italie, le ministère de la Transition écologique met à jour tous les trois ans un inventaire d’une centaine de pages. Disponible sur le site internet de l’agence pour la protection de l’environnement, il décrit plus de 300 sites présentant un risque élevé ou très élevé pour l’environnement et la santé.
La France loin de la transparence
Qu’en est-il en France ? Le site du ministère de la Transition écologique mentionne bien l’existence de cette directive européenne de 2006 et renvoie à un « Inventaire des sites ». Mais on n’y trouve, sur une simple page A4, qu’un tableau listant 28 anciens secteurs miniers de France métropolitaine. Sans explication, ni description. Voilà ce qui a été « mis à la disposition du public ».
En menant l’enquête sur ce qu’on appelle, en jargon administratif, l’« après-mine », c’est-à-dire l’ensemble des problèmes que posent les mines une fois l’extraction terminée, Reporterre a eu la surprise de découvrir l’existence d’un inventaire de plus d’un millier de pages consacré aux anciens sites miniers de la métropole.
Il a été réalisé par Géodéris, bureau d’expertise financé par le ministère de la Transition écologique [1], à la suite de la directive européenne. Entre 2006 et 2013, ses ingénieurs ont consulté les archives disponibles sur les anciennes mines et sélectionné 2 109 dépôts de déchets potentiellement polluants ou instables qu’ils ont regroupés par secteurs. Ils ont ensuite arpenté ces collines de stériles et de résidus parfois bourrés de métaux toxiques que les riverains, faute d’information, considèrent comme des reliefs naturels, et qui servent de terrain de motocross ou de football, d’aires de pique-nique ou de potagers collectifs.
Enfants et arsenic
À cette occasion, des familles ont appris que leur habitation était située à même des dépôts miniers, et que les enfants, dans le jardin, jouaient avec de la terre assaisonnée de plomb et d’arsenic. Une trentaine d’études complémentaires ont été lancées sur des sites particulièrement préoccupants. D’âpres négociations ont démarré entre les préfectures, les collectivités et les victimes de pollution. Certains propriétaires ont poursuivi l’État en justice pour obtenir réparation. Mais le public n’en a rien su, ou presque.
Des particuliers ont sollicité plusieurs fois l’administration pour accéder à l’inventaire complet de Géodéris, sans succès. L’un deux a dû saisir la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) pour enfin l’obtenir. Reporterre l’a demandé au ministère de la Transition écologique, qui lui a donné accès à ces centaines de pages détaillant les sites pollués de chaque région et les risques associés.
Cet inventaire montre que, comme les pays voisins, la France est empoisonnée par les problèmes miniers. Et encore, l’État n’a pas jugé bon de l’étendre à l’Outre-mer, où se situent pourtant les principaux sites d’extraction en France (nickel en Nouvelle-Calédonie, or en Guyane), au motif que « sa méthodologie n’était pas adaptée à ces territoires, du fait d’incomplétudes cartographiques et de la situation de certains territoires où les exploitations ne sont pas toutes régulières », a justifié le ministère de la Transition écologique auprès de Reporterre.
Mais en métropole, on constate que les mines exploitées sur le territoire jusqu’au début des années 2000 ont créé des problèmes environnementaux apparemment insolubles : digues de résidus toxiques à stabiliser ou à confiner, pollutions aux métaux lourds, eaux minières à traiter pour l’éternité, remontée des nappes phréatiques…
Si ces problèmes mobilisent à plein temps plusieurs centaines de personnes et nécessitent des chantiers d’envergure, ils sont traités en interne, très discrètement, au sein de sphères technico-administratives dont on connaît à peine l’existence. C’est pourquoi Reporterre a décidé de rendre disponible l’inventaire de Géodéris. C’est sur cette base qu’a été réalisée notre carte. Elle s’appuie également sur le travail mené par SystExt, une association d’expertes et d’experts des problèmes miniers qui réalise une étude au long cours sur une vingtaine d’anciens sites et est partie à la rencontre des personnes affectées par les pollutions. Cette carte et cette enquête visent à rendre le problème public.
Environ 10 % des communes métropolitaines sont concernées par une activité minière passée [2]. Et les sites « susceptibles de présenter un risque significatif pour l’environnement et la santé » sont malheureusement plus nombreux que la courte liste publiée par le ministère de la Transition écologique.
Dans l’inventaire réalisé par Géodéris, les secteurs sont classés par dangerosité avec des lettres allant de « A » à « E ». Les sites classés « D » et « E », qui peuvent couvrir plusieurs dizaines de montagnes de déchets et des centaines d’hectares, sont les plus gravement atteints : pollution des eaux, de la faune et de la flore, dangerosité pour les riverains.
Sont également identifiés les digues de résidus et les dépôts « potentiellement instables susceptibles de présenter un risque pour l’environnement immédiat », c’est-à-dire susceptibles de rompre ou de s’effondrer, provoquant des coulées de boues toxiques. Or on constate que 15 secteurs répondant à ces critères, donc particulièrement pollués, ne figurent pas dans le document qui tient lieu d’inventaire sur le site du ministère de la Transition écologique. Pourquoi ? Le ministère nous a répondu évasivement que « des études complémentaires [étaient] en cours ».
« Une source potentielle de pollution en arsenic, zinc, plomb, cadmium et probablement mercure et cyanures »
Ainsi, on ne trouve aucune mention de l’ancienne mine d’or de Saint-Pierre-Montlimart, dans la commune de Montrevault-sur-Èvre (Maine-et-Loire). Une équipe de SystExt s’y est rendue. Ici, l’or a été extrait par les Romains puis pendant la première moitié du XXᵉ siècle. En trente ans, pour produire dix tonnes d’or, on a accumulé 700 000 tonnes de résidus. Issus d’un traitement au cyanure, ces déchets constituent « une source potentielle de pollution en arsenic, zinc, plomb, cadmium et probablement mercure et cyanures » — soit un cocktail particulièrement toxique.
« Le dépôt était autrefois surnommé « la dune de sable » et pouvait servir d’aire de jeux aux enfants, écrit SystExt. Une maison jouxtant le dépôt est aujourd’hui une salle de sport pour les employés de l’entreprise, et son jardin est utilisé comme jardin potager collaboratif et comme site d’écopâturage. » Des travaux ont été menés par le BRGM, mais les analyses révèlent « un accroissement notable des concentrations en fer et en arsenic dans les eaux en aval direct du dépôt de résidus ». Lesquelles se trouvent malheureusement situées en Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF).
- Autre exemple que le ministère de la Transition écologique n’a pas rendu public : dans le Lot, les anciennes mines de plomb et de zinc exploitées entre Planioles et Figeac ont parsemé la zone de déchets miniers. Géodéris y constate que dans 20 foyers, la pollution est trop importante pour que leurs habitants puissent pratiquer le jardinage, les jeux en extérieur ou la baignade.
En France, le passif minier est aggravé par l’exploitation de l’uranium : 244 mines furent exploitées sur le territoire pour alimenter les centrales nucléaires et les bombes atomiques. Ces sites « cumulent les problèmes miniers classiques de métaux lourds et d’affaissements avec celui de la radioactivité », explique l’ingénieur Bruno Chareyron, directeur du laboratoire de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad).
Selon l’évaluation du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, « il existe plus de soixante-dix sites pollués par la radioactivité à cause de mauvaises gestions historiques, 250 000 à 300 000 m³ de déchets stockés in situ dans le cadre d’une gestion historique et 170 millions de tonnes de stériles miniers et 50 millions de tonnes de résidus de traitement de l’uranium. »
Réhabiliter des montagnes
L’Agence de sûreté nucléaire constate que leurs conditions de gestion « ne permettent a priori pas d’assurer un conditionnement aux normes actuelles des déchets radioactifs ». Pour Bruno Chareyron, « dans les 27 départements concernés par l’extraction de l’uranium, on déplore des pollutions significatives de l’air, de l’eau et du sol. Elles peuvent concerner l’environnement proche des anciens sites miniers placés sous la responsabilité d’Orano mais aussi des centaines d’endroits en France où des stériles miniers radioactifs ont été dispersés pour servir de remblais, parfois chez des particuliers. »
Pour tenter de sécuriser les anciennes mines d’uranium, Orano (anciennement Areva, détenu par l’État à 80 %) dépense chaque année 10 millions d’euros. Quant à la gestion des anciennes extractions de charbon et de métaux, elle revient à l’État, responsable de la réparation des dégâts miniers dès lors que l’exploitant a disparu. Il y consacre chaque année 40 millions d’euros.
Mais pour Laura Verdier, ingénieure et consultante en sols pollués, « c’est évidemment très insuffisant. On devrait parler en milliards d’euros. Pour dépolluer ne serait-ce qu’une tache de fioul, ça coûte déjà des milliers d’euros. Les déchets miniers sont des montagnes. Comment voulez-vous réhabiliter une montagne ? » Un « enjeu financier colossal » qui explique la stratégie de l’État face aux victimes de pollutions minières, ballottées dans les rouages de l’administration et confrontées à un stupéfiant déni de responsabilité.
Notes
[1] Géodéris est un Groupement d’intérêt public d’expertise constitué par le BRGM, l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS) et le ministère de la Transition écologique. Son budget annuel est de 6 millions d’euros
[2] Plus de 5 600 titres miniers ont été accordés en France métropolitaine sur plus de 3 000 communes, a déclaré le directeur de Géodéris auditionné devant la commission d’enquête sénatoriale sur les sols pollués en 2020