Le gouvernement profite du projet de loi « pouvoir d’achat » pour accélérer la construction d’un port méthanier au Havre.
Le but : importer du gaz naturel liquéfié. Un scandale, selon les associations environnementales.
Sous couvert d’augmenter le pouvoir d’achat des Français, le gouvernement cherche à accélérer la construction d’un port méthanier au Havre qui pourrait importer du gaz de schiste étasunien, très polluant. C’est une disposition annexe pour le moins étonnante qui a été glissée dans le projet de loi « pouvoir d’achat », présenté jeudi 7 juillet en conseil des ministres.
Dans l’article 12 du projet de loi, l’exécutif propose de détricoter le Code de l’environnement pour ne pas soumettre aux études d’impact environnemental les futurs projets de terminaux méthaniers. Ces chantiers pourront déroger à des mesures de compensation en matière de biodiversité et aux études de dangers que pourrait provoquer la canalisation du gaz naturel liquéfié ou l’aménagement du port. Cette simplification administrative permettra ainsi de gagner du temps, en passant outre la consultation du public, et en ignorant les conséquences écologiques que pourraient causer ces chantiers.
« Les travaux préparatoires à la pose des ouvrages peuvent être démarrés avant l’obtention de l’autorisation de construire et exploiter la canalisation et avant la déclaration préalable de travaux », précise le projet de loi. Face au risque de pénurie d’énergie, le gouvernement appuie sur l’accélérateur et se prépare à une « économie de guerre », selon les mots de M. Macron, au mépris des règles environnementales. L’exécutif s’octroie des pouvoirs sans précédent pour faire tourner les infrastructures gazières françaises et « sécuriser l’approvisionnement en gaz et en électricité ».
« Le gouvernement instrumentalise la crise »
Lors d’une visite au centre de commande national de gaz en Île-de-France, fin juin, Élisabeth Borne avait déclaré publiquement vouloir « construire rapidement dès l’année prochaine un nouveau terminal méthanier » et importer davantage de gaz naturel liquéfié, « pour ne plus être dépendant de la Russie ».
Ce projet porté par TotalÉnergies était en suspens depuis le mois de mars, au Havre. Le terminal flottant devrait normalement venir de Chine et être raccordé dans le port normand pour une mise en service en septembre 2023. Les travaux pourront débuter dès cet automne. Il devrait débarquer à terme 3,9 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL) par an en provenance notamment des États-Unis, mais aussi du Qatar.
Pour les associations environnementales, c’est un scandale. « Le gouvernement instrumentalise la crise et l’enjeu du pouvoir d’achat pour promouvoir les énergies fossiles, s’insurge Lorette Philippot, chargée de campagne aux Amis de la Terre. Cet article de loi n’est pas un cadeau fait aux Français, mais aux opérateurs du projet à savoir TotalÉnergies et Engie qui sera chargé du raccordement. On leur donne les clés pour développer un nouveau projet gazier sans contrainte et sans application des normes environnementales légales. »
Ces réglementations ne sont pourtant pas inutiles. Ces infrastructures industrielles sont ultrasensibles et dangereuses. Le GNL est un gaz hautement inflammable et de nombreux accidents ont déjà eu lieu par le passé. En 2014 aux États-Unis, un incendie dans une usine de stockage de GNL avait ainsi blessé plusieurs employés. En 2004, un autre accident en Algérie sur un terminal avait provoqué la mort de 27 personnes et blessé 74 autres. Encore récemment, en juin, un incendie dans un terminal américain au Texas, a menacé l’approvisionnement européen et fermé l’usine pendant plusieurs semaines.
« Une bombe écologique à retardement »
En France, les incidents sont également nombreux. À Saint-Nazaire, en 2021, l’alimentation du réseau avait été stoppée à la suite de fuites de gaz sur un terminal méthanier. Les fuites de méthane sont courantes et préjudiciables pour l’environnement. Des déperditions ont lieu tout au long du processus d’extraction et d’acheminement du GNL, avant qu’il n’arrive à destination : jusqu’à 6 % du méthane qu’il contient peut s’évaporer dans l’atmosphère. Dans un article sur la construction du terminal méthanier de Dunkerque, en 2011, Reporterre évoquait déjà « une bombe à retardement écologique ».
« Ces infrastructures comportent en effet de nombreux risques tant sur le plan sanitaire qu’en matière de pollution, souligne Lorette Philippot. Il est important de pouvoir évaluer ces dangers. Les normes environnementales ne sont pas là pour rien. Elles permettent de lancer des recours et d’introduire un minimum de démocratie pour ne pas imposer ces projets aux citoyens sans aucun débat. »
Des éléments sur lesquels le gouvernement ne semble pas s’appesantir. Il continue à promouvoir ses politiques de simplification administrative. Au cours du quinquennat précédent, déjà, Agnès Pannier-Runacher — aujourd’hui ministre de la Transition énergétique — vantait le développement de sites industriels clé en main, bénéficiant de nombreuses dérogations en matière de droit environnemental.
« L’exécutif prolonge notre ébriété énergétique »
Pour l’économiste Maxime Combes, la situation actuelle traduit « le sentiment de panique qui gagne l’appareil d’État » et « son incapacité à anticiper la réalité des conséquences de la crise énergétique mondiale, européenne et française. Pour le gouvernement, l’économie de guerre justifie la levée, la suspension et la minimisation des réglementations environnementales pour faire perdurer notre dépendance aux énergies fossiles. Ils tentent de prolonger de manière artificielle notre ébriété énergétique ».
Avec ce projet de terminal méthanier, le gouvernement scelle notre enfermement dans l’addiction au gaz naturel liquéfié. Il légitime les deux nouveaux contrats pris entre Engie et les producteurs américains de GNL, Cheniere et NextDecade. Le GNL est pourtant loin d’être écologique et vertueux sur le plan climatique. Il est souvent produit à partir de gaz de schiste. Si l’on prend en compte l’ensemble de sa chaîne de valeur, sa pollution est colossale. Selon une analyse comparative publiée par le cabinet Carbone 4 en octobre 2021, il émettrait 2,5 fois plus d’équivalents CO2 que le gaz transporté par gazoduc.
Les associations écologistes regrettent également qu’il n’y ait rien dans le projet de loi « pouvoir d’achat » sur la sobriété énergétique ni sur le développement des énergies renouvelables ou la rénovation thermique.
« C’est quand même fou, s’emporte François Chartier de Greenpeace. Le même jour, Élisabeth Borne affirme dans son discours de politique générale que la France va sortir des énergies fossiles alors qu’en même temps ses députés européens votent le projet de taxonomie pour inclure le gaz dans les énergies vertes, puis le lendemain le gouvernement propose cet article en faveur du GNL dans le projet de loi “pouvoir d’achat”. Si on était naïf, on pourrait dire qu’il nage en pleine contradiction, mais si on est lucide, on voit bien qu’il se moque de nous. »
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