Qui a mis le feu ?
La société thermo-industrielle, en 1784, avec la combustion des énergies fossiles, le perfectionnement des machines à vapeur et autres « pompes à feu ».
On pourrait certes remonter au paléolithique et à la domestication du feu, la politique de la terre brûlée ne date pas du Technocène ; mais la responsabilité de la technocratie dirigeante (ingénieurs, entrepreneurs, cadres, scientifiques, etc.) dans l’incendie planétaire est écrasante, démontrée et publiée.
Si les mots ont un sens, chacun de ses membres est aujourd’hui co-responsable d’écocide et de crime contre l’humanité – peut-être involontaire dans nombre de cas. Mais voici un demi-siècle au moins que l’ignorance des malfaiteurs ne peut plus être invoquée ; et leur persistance dans le crime est attestée par leurs dénégations et leur ligne de défense.
Amalgamer « transition numérique et écologique », soutenir qu’il faut jeter davantage d’huile sur le feu et accélérer encore cette mutation machinale qui a embrasé le monde pour éteindre l’incendie, c’est insulter de toute sa morgue les victimes de la fournaise.
En attendant la traduction des coupables devant le tribunal de l’histoire, ce sont les innocents que la justice immanente frappe indistinctement : forêts, glaciers, animaux et simples Terriens, vivant par choix ou par naissance à l’écart du Cauchemar climatisé
(Henry Miller, 1945).
Coupables, les fondateurs, les cadres, les ingénieurs, les opérateurs et les financiers de STMicroelectronics, une des plus importantes sociétés de semi-conducteurs européennes, issue en 1972 du Commissariat à l’énergie atomique de Grenoble.
Coupables, les présidents Chirac, Sarkozy, Hollande – et aujourd’hui Macron – qui ont tous visité, célébré, financé, ce monstre techno-industriel qui assèche les eaux de la Cuvette grenobloise pour fabriquer des smartphones et des voitures.
Coupables les élus locaux qui soutiennent des mesures dérogatoires afin que STMicro puisse pomper jusqu’aux dernières gouttes l’eau de la Cuvette.
Complices les masses de consommateurs stupidement avides d’objets connectés, et les pseudo écolos qui ne voient de remède à la peste climatique que dans le choléra nucléaire.
Complices les pseudo radicaux qui refusent de voir dans la technologie le front principal de la guerre entre puissants et subissants. Celui qui commande les autres et où toute percée, toute innovation, dégrade davantage le rapport de forces en faveur des premiers et au détriment des seconds.
En attendant le verdict de l’histoire, voici quelques éléments du réquisitoire à propos de la récente visite de Macron et de la nouvelle pluie de milliards déversée sur la nouvelle fabrique de puces de STMicroelectronics.
Que la canicule soit notre nouvel ordinaire estival fait déjà partie des banalités de base. D’ici quelques années, les « alertes canicule » ne seront plus déclenchées à 34°, mais à 40°. Il faut s’adapter, recommande le Giec. Pour l’heure, le thermomètre administratif étant encore gradué selon l’ancienne norme, le préfet de l’Isère a placé plusieurs secteurs du département en « alerte sécheresse niveau 3 » – l’avant-dernier niveau – le 7 juillet 2022 . Fait notable, cette alerte concerne les territoires de montagne, autrefois bruyants de ruisseaux et de torrents. Même la Chartreuse a soif. Pourtant les indigènes l’appellent – l’appelaient – « le pot de chambre », pour vous dire s’il y pleuvait. Le Merdaret est à sec, le Guiers Mort a fini par mériter son nom. Enfin, c’est pareil chez vous.
En fait, c’est pire chez nous, d’après le président d’une association de pêche : «comme nous sommes en milieu alpin, le territoire est fortement impacté par le réchauffement climatique. C’est partiellement visible, le niveau des courants fond comme neige au soleil. Et cet hiver, nous n’avons pas eu beaucoup de neige. »
Rassurez-vous, les stations de ski ont connu leur meilleure saison depuis trois ans grâce à la neige industrielle.
L’« alerte sécheresse niveau 3 » interdit entre autres l’arrosage des potagers entre 9 h et 20 h et le fonctionnement des fontaines publiques à circuit ouvert. A Méaudre sur le plateau du Vercors, à 1000 mètres d’altitude, le robinet pour remplir sa gourde est fermé. L’agriculture, l’artisanat, les retenues collinaires pour la neige industrielle doivent réduire leurs prélèvements – mais de 50 % seulement. Les commerçants pourront donc vendre des forfaits et des « séjours ski » l’hiver prochain, les touristes et clients de la Cuvette pourront leur en acheter, quitte à dessécher la faune et la flore du plateau, cet été.
Mêmes consignes pour l’industrie, sauf pour les « installations classées pour l’environnement (NdA : les usines polluantes) disposant de mesures spécifiques sécheresse » ou « ayant déjà diminué au maximum leur prélèvement économique ».
En clair, les pollueurs peuvent toujours pomper l’eau. Comment savoir s’ils ont vraiment « diminué au maximum leur prélèvement économique » ? Il leur suffit de mettre en œuvre « les techniques les plus économes du secteur d’activité ». Si vous fabriquez des puces électroniques par exemple, garantissez juste au préfet que vous faites au mieux. Il ne demande qu’à vous croire.
Jamais la sécheresse ne freine l’activité des usines à puces. A Crolles, dans le Grésivaudan autrefois luisant de vergers, STMicroelectronics et Soitec tournent à plein régime sous le soleil du Technocène. Elles vont même turbiner davantage encore dans les années à venir, ainsi que l’a promis Emmanuel Macron lors de sa visite, le 12 juillet 2022.
Continuité de l’État technocratique
Le Daubé : « Le président Macron à Crolles pour 5 milliards d’euros et 1000 emplois » ; « Le président Macron a présenté un plan colossal d’investissements – L’Isère fleuron de l’électronique de demain ». Photos. Le président en bras de chemise harangue les salariés de STMicroelectronics, acteurs des « transitions énergétique, climatique et numérique ».
Le président casque sur la tête visite le chantier d’une salle blanche. Tiens, Thierry Breton est encore là. Ça fait juste un an que le commissaire européen au numérique est venu à Crolles, le 21 juillet 2021, pour louer « un écosystème impressionnant ». Il ne parlait pas des fertiles marais de la plaine de l’Isère, aujourd’hui asséchés et bétonnés, mais de la « synergie recherche-industrie-pouvoirs publics » qui produit des puces électroniques sur ces anciennes terres de maraîchage.
Bruno Le Maire, ministre de l’économie, est aussi du voyage pour saluer « l’investissement le plus stratégique en France depuis celui pour le nucléaire : sans semi-conducteurs, il n’y a pas d’industrie au XXI e siècle ».
Le « nouveau monde », c’est toujours plus la même chose. L’industrie est le moteur de la croissance ; la nano-électronique est le moteur de l’industrie numérique ; la souveraineté industrielle et la course à la puissance exigent la fuite en avant des nanotechnologies et des technologies convergentes, etc.
Et pourtant ça change. La répétition du même processus accroît la puissance de la Machine et son emprise sur le monde et les hommes. Mais ce même processus, sans cesse répété, consume simultanément et détruit les moyens matériels de cette croissance – ce que les ingénieurs et les économistes nomment les « feedback négatifs ». La surchauffe du monde et l’assèchement des eaux alpines participent de ces innombrables « externalités négatives », qui n’ont rien d’externe ; et qui suscitent l’« angoisse écologique » de la société industrielle ; cette ambiance de crises et d’urgences incessantes, glissant vers la survie, qui caractérise les Smartiens – même quand ils chaussent leurs skis pour descendre une pente de neige artificielle.
Que faire ?
Toujours plus la même chose. Mais toujours plus vite, plus fort, plus grand.
Macron profite de son déplacement à Crolles pour annoncer son plan « Électronique 2030 », inscrit dans le plan « France 2030 ». Lequel, nous dit-il, est destiné à « atteindre l’objectif européen de doublement de la production de semi-conducteurs d’ici 2030 pour atteindre 20 % de la production mondiale. Ça veut dire en réalité faire quatre fois plus puisque la production mondiale va doubler en une décennie. »
Au temps pour la conversion présidentielle à la « sobriété » lors de l’interview du 14 juillet 2022. La sobriété, c’est faire quatre fois moins, et non pas « quatre fois plus ».
Lecteurs qui avez de la mémoire, vous avez déjà entendu ce discours. Macron, Breton, Le Maire peuvent poser aux innovateurs de la « start up nation », ils ne font que répéter au mot près des scènes vieilles de 20 ans.
Macron était encore étudiant quand Chirac inaugurait « Crolles 2 », la précédente usine de STMicroelectronics – allié à Philips et Motorola – en 2003. A l’époque déjà, le site crollois s’agrandit, moyennant 2,8 milliards d’euros dont 543 millions d’aides publiques. « Le plus gros investissement industriel français depuis les dernières centrales nucléaires », dit le gouvernement de l’époque, plagiant Le Maire par anticipation. Réécoutons le président Chirac, le 27 février 2003 : cet équipement exceptionnel est, en France, l’investissement industriel le plus important depuis dix ans, depuis « Crolles 1 », avec 3,5 milliards d’euros programmés, 1500 emplois directs, 3500 emplois indirects. Dans la conjoncture mondiale que nous connaissons, cette réussite est aussi une vraie promesse pour l’avenir. C’est maintenant que se gagnent les emplois de demain. La France entend être prête.
Cinq ans plus tard, en 2008, Sarkozy lance le plan « Nano 2012 » avec le soutien de l’Union européenne et la participation des collectivités locales. Encore des fonds publics qui pleuvent sur STMicroelectronics : 2,3 milliards d’euros pour la recherche & développement, et un milliard en investissement matériel. Encore des promesses d’emplois. Des composants encore plus petits (gravure de 20 nanomètres). Et l’écho, dans la voix de la ministre de l’Économie, Christine Lagarde : La démarche stratégique, c’est que la France ait un coup d’avance pour le coup d’après (…). C’est-à-dire que nous puissions conserver une avance technologique sur les secteurs industriels, en particulier, qui seront nécessaires demain après-demain et pour les générations futures .
Cinq ans plus tard, en 2013, Hollande lance le plan « Nano 2017 », nouveau programme de développement de la nano-électronique d’un montant de 3,5 milliards d’euros, dont 1,3 milliard investi par STMicro, 600 millions de l’État et des fonds européens. L’écho derechef, porté par le premier ministre Ayrault et les ministres Montebourg, Pellerin et Fioraso : le lancement de ce programme permettra aux industriels européens de la nanoélectronique, et à STMicroelectronics, en particulier, de franchir le prochain saut technologique nécessaire pour rester compétitifs, au niveau mondial, face aux États-Unis et à l’Asie, dans un secteur technologique stratégique, générateur de croissance économique et d’emplois.
Depuis 2018, devinez quoi ? Nous sommes en plein « Nano 2022 » et nous visons le 10 nanomètres : des composants toujours plus petits, performants et disséminables partout.
Vous connaissez le scénario : 5 milliards d’investissements publics et privés, dont un milliard de l’État, de l’Europe et des collectivités, les promesses d’emplois, la compétition, l’avenir, les générations futures, etc.
Tous les cinq ans, quel que soit le président élu, la technocratie assure à l’industrie nano-électronique les moyens de son développement, qui est celui de la machination du monde.
Quoique chaque gouvernement fasse mine d’avoir eu l’idée le mois dernier, STMicroelectronics, Soitec et le Commissariat à l’énergie atomique, qui sont les principaux bénéficiaires de ce plan quinquennal reconductible, suivent depuis vingt ans la trajectoire qu’ils ont eux-mêmes fixée : toujours plus d’objets connectés, d’Internet des objets, d’infrastructures de communication (5G et Cie) ; bref le monde-machine, financé en partie avec notre argent –beaucoup d’argent – avec l’approbation de la CGT. Pensez-y quand vous hésiterez entre deux bulletins de vote.
Il faut choisir : boire ou se connecter
Revenons à nos poissons. Il y en avait autrefois dans les chantournes, les canaux du Grésivaudan désormais couverts, bétonnés et pollués par l’industrie électronique. Les rescapés agonisent cet été dans un filet d’eau chaude. A nouveau l’histoire bégaie. Été 2003, quelques mois après l’inauguration de « Crolles 2 » survient la première canicule officielle de l’effondrement écologique. Tandis que les Isérois apprennent à limiter leur consommation d’eau, Le Daubé du 6 août rapporte : loin de réduire ses livraisons, le Sierg (NdA : Syndicat intercommunal des eaux de la région grenobloise) a mis un coup d’accélérateur sur son projet d’installer un surpresseur sur sa canalisation du Grésivaudan (600 000 €) qui dessert notamment Crolles et son pôle micro-électronique grand consommateur d’eau (…) Le surpresseur (…) mis en service aujourd’hui (…) permettra en accélérant la vitesse de circulation de l’eau, d’en faire transiter plus et donc de remplir plus vite les réservoirs.
Pardon pour les redites, mais rappelons les faits. En 2005, nous écrivions : pour nettoyer les plaques de silicium sur lesquelles sont gravés les circuits électroniques, l’Alliance engloutit 700 m3 d’eau par heure (l’équivalent d’une ville de 50 000 habitants), et soumet les collectivités locales à ses exigences : 150 000 euros d’amende par heure à payer à l’entreprise en cas de défaillance dans la fourniture d’eau ; obligation de doubler prochainement les conduites d’adduction sur 18 kilomètres, pour un coût de 25 millions d’euros ; livraison impérative d’une eau d’excellente qualité, exempte de chlore même en période de « menace terroriste » – minime compensation pour les Grenoblois qui échappent sur ce point au délire sécuritaire au nom de l’intérêt économique supérieur. (Cf. Le cycle du silicium) ;
Si l’Alliance a choisi le Grésivaudan, c’est aussi pour piller ses ressources en eau pure, y compris en période de sécheresse et de canicule. Tandis que les habitants surveillent leur consommation, STMicroelectronics et ses voisines, start up de micro-électronique (Soitec, Memscap), éclusent les mètres cubes : « L’année 2006
s’achève sur une baisse de 1 % de la consommation d’eau des communes alimentées par le Sierg (Syndicat intercommunal des eaux de la région grenobloise). 26 des 28 communes alimentées, dont la consommation est principalement « domestique » connaissent une baisse de 3,5 %, tandis que Crolles et Bernin (pour lesquelles la
part industrielle représente plus des 4/5 e ) ont une consommation en hausse de plus de 8 % . »
Pendant ce temps dans les massifs alentours, les glaciers fondent à vue d’œil, et avec eux les réserves d’eau qui ont fait la prospérité du Grésivaudan. Il est vrai que nous y avons gagné des cristaux liquides.
L’eau indispensable à la fabrication des composants des smartphones, des bagnoles et des vélos nucléaires vient des captages de Jouchy et de Pré Grivel, dans le secteur de Vizille au sud de Grenoble.
Elle est puisée dans la nappe alluviale merveilleusement pure de la rivière Romanche, qui prend sa source dans le massif des Écrins. Ces captages, ainsi que ceux de la nappe alluviale du Drac, sont essentiels à l’alimentation en eau potable de la région grenobloise. Ils sont hélas la cause de l’installation des usines à puces dans le Grésivaudan, à Crolles et Bernin, à 35 km au nord-est des captages. Comme le dit la métropole : « Au cours du temps, l’exploitation à faible coût de cette richesse de qualité́ a contribué́ au développement démographique et industriel du territoire. »
Plus précisément : près de 35 % de la ressource produite à partir des nappes du Drac et de la Romanche sortent du bassin versant et sont utilisés, notamment pour les industries de la vallée du Grésivaudan (microélectronique, etc.).
Depuis trente ans, l’industrie électronique pille notre eau, qu’il neige, qu’il pleuve ou qu’on crève de chaud. En 2019, le site crollois de STMicroelectronics en a englouti 3,5 millions de mètres cubes. Depuis, il a agrandi sa ligne de production et lancé la nouvelle extension qui lui vaut cet été la visite de Macron. En ajoutant les voisins de Soitec et de Memscap, la « Silicon Valley française » exige 6 millions de mètres cubes d’eau par an, contraignant les collectivités à multiplier les infrastructures. Le pillage va s’accroître, puisque Macron annonce qu’on va produire « quatre fois plus » d’ici 2030. Le schéma d’aménagement et de gestion des eaux (Sage) adopté en 2018 annonce à cette échéance une hausse de 30 à 44 % des prélèvements destinés à Bernin et Crolles .
Ça ne suffit toujours pas. La « transition numérique et écologique » réclame son volume d’eau.
Le 25 novembre 2021, la société a donc déposé une demande en préfecture pour créer deux forages dans la nappe de l’Isère cette fois, à l’aplomb de son site de Crolles, pour « sécuriser ses ressources en eau ; (…) maintenir le bon fonctionnement de ses ateliers de fabrication, et (…) poursuivre le développement de son activité́ au sein de son établissement de Crolles».
La demande mentionne des besoins particuliers « lors des épisodes estivaux qui nécessitent la mise en service d’installations de réfrigération des ateliers très consommatrices d’eau ».
Autorisation accordée sans difficulté par la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) le 19 mars 2022. Tandis que les fontaines publiques n’abreuvent plus personne, STMicroelectronics fore à plus de 20 mètres de profondeur pour pomper, « dans les eaux souterraines, y compris dans les nappes d’accompagnement de cours d’eau22 », 2,6 millions de mètres cubes d’eau supplémentaires par an, soit 300 m3 par heure.
Les élus locaux, à leur habitude, sont trop heureux de devancer les exigences des industriels.
On se souvient de l’ancien maire de Crolles, Jean-Claude Paturel, plastronnant en 2002 : « Aujourd’hui Crolles 2 semble être un événement mais moi j’ai les terrains qu’il faut pour Crolles 3 et même 4 !»
Vingt ans et des canicules plus tard, Jean-François Clappaz, le vice-président à l’économie de la communauté de communes du Grésivaudan adresse cette demande inouïe à Macron : frapper le site de micro-électronique d’extra-territorialité pour l’exonérer de la règle du « zéro artificialisation nette » prévue dans la loi sur le climat. Objectif de cet élu incivique : faire en sorte qu’il (NdA : le site) ne soit pas impacté dans son évolution future par les mètres carrés indispensables à l’extension du site (sic) (…)
Un investissement de 5,7 milliards d’euros nécessite que la loi s’adapte aux contraintes que l’on aura. Sinon, il ne pourra pas se réaliser, que ce soit pour ST et le ruisseau du Craponoz à côté, ou Soitec.
Le techno-gratin trahit en toute désinvolture ses habitudes d’arrangements administrativo-politiques. Il nous revient ce rapport de visite de la Drire, (Direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement) en mars 2003, à propos des fumées polluantes de l’usine de Crolles : la société STMicroelectronics (…) souhaite que les normes fixées en NOx par l’arrêté préfectoral du 08.10.01 soient revues compte tenu des difficultés à respecter la norme fixée (100 mg/Nm3). » Et donc, « les valeurs limite d’émission en Nox peuvent être fixées à 120 mg/Nm(gaz naturel) et 200 mg/Nm3 (FOD).
C’est simple, raisonne le vice-président Clappaz, la loi devrait intégrer la fiction de la dématérialisation de la vie numérique, et décider que les usines de puces ne sont pas installées sur Terre. C’est en effet la seule solution pour assurer que la « transition numérique » soit en même temps « écologique ».
Même le Daubé s’émeut, lui qui nie depuis vingt ans les ravages techno-industriels dans la région : « Qui dit nouveaux emplois, dit nouveaux habitants 26 », remarque-t-il. Où va-t-on les loger, dans la Cuvette pleine à ras bord ? Loin, évidemment. C’est pourquoi le président de Grenopolis, Christophe Ferrari, et le président de la Chambre de commerce, n’ont pas manqué de tirer Macron par la manche pour faire avancer leur projet de « RER métropolitain » entre le Grésivaudan, la Métro, le Pays voironnais, le sud de l’agglomération.
** *
Macron, Breton, les technocrates européens et français, imposent l’accélération à marche forcée de la production/destruction. En 2030, l’Europe produira peut-être deux fois plus de semi-conducteurs. STMicroelectronics fournira toujours plus de puces aux Smartiens incapables de survivre sans connexion. En 2030, selon la géographe Magali Reghezza-Zitt, membre du Haut conseil pour le climat, Grenoble subira 37 jours de canicule. A cette échéance, le schéma d’aménagement et de gestion des eaux prévoit la fonte de la moitié des petits et des moyens glaciers qui alimentent la Romanche, le Drac et leurs nappes alluviales : le pic de ressource glaciaire est déjà̀ dépassé́ pour le Drac et les prévisions pour le bassin versant de la Romanche annoncent les mêmes résultats dans la décennie en cours.
Comme dit Martial Saddier, le président haut-savoyard du comité de bassin Rhône-Méditerranée (tout le bassin étant alimenté par les glaciers) : « aujourd’hui, on mange le capital».
Qu’importe. En 2030, STMicroelectronics fera comme son concurrent taïwanais TSMC, qui engloutit 156 000 tonnes d’eau par jour : se faisant livrer par camions citernes lors des périodes de sécheresse.
En mars 2020, au début de l’épidémie de Covid-19, les syndicalistes de STMicroelectronics à Crolles demandaient la fermeture de leur usine : « Est-ce la priorité de produire des puces pour les téléphones ? », s’affolaient-ils. C’est la question que nous, Pièces et main d’œuvre, leur posons depuis vingt ans, et à nouveau aujourd’hui.
De qui dépend la fin du crime industriel contre l’humanité ? D’elle-même et d’elle seule, s’il en reste. Si les humains d’origine animale, les humains diminués, consentent à lever les yeux de leurs écrans, et à sortir de leurs capsules de Métavers où les humains d’avenir machinal, les transhumains augmentés, s’efforcent de les confiner.
Nous les Terriens de naissance, nous n’avons pas d’autre terre pour vivre, que la Terre. Nous n’avons pas – contrairement à la technocratie transhumaniste – d’îles artificielles ou non, d’enclaves sous cloche ou sous sol, de zones gardées, lointaines et tempérées, où fonctionner en synergie avec la Machine ; et d’où piloter à distance le monde-machine et ses machins.
Quitte à éliminer ou à laisser s’éteindre de manière naturelle les superflus et nuisibles de la sous-humanité résiduelle (stérilité, virus, « maladies de civilisation », catastrophes naturelles, etc.), afin de laisser place au règne machinal.
De sorte que soit l’espèce humaine renverse deux siècles de course à la puissance, d’oppression et de ravage industriels ; soit les forcenés du règne machinal, les puissants de la technocratie dirigeante dont Macron et les ingénieurs de STMicroelectronics sont les champions, continuent de détruire nos conditions d’existence.
Du reste, on nous l’avait bien dit et les guetteurs avaient repéré de longue date l’incendie qui calcine cet été 2022. Lisez-donc ci-dessous cet extrait de Sécheresse de James G. Ballard, paru en 1964 sous le titre Le monde qui brûle .
Pièces et main d’œuvre ; Grenopolis, le 22 juillet 2022
** **
« La sécheresse mondiale, désormais dans son cinquième mois, était l’aboutissement d’une série de crises prolongées ayant accablé tout le globe, à un rythme de plus en plus soutenu durant la décennie précédente. Dix ans plus tôt, une pénurie critique de denrées alimentaires s’était produite quand la saison des pluies attendue en un certain nombre d’importantes régions agricoles n’avait pas eu lieu. L’une après l’autre, des aires géographiques aussi différentes que le Saskatchewan et la vallée de la Loire, le Kazakhstan et la région du thé de Madras s’étaient changées en bassins de poussière arides. Les mois suivants n’avaient apporté que quelques centimètres de pluie ; au bout de deux ans, ces terres s’étaient retrouvées totalement dévastées. Nouveaux déserts, elles avaient été abandonnées pour de bon, une fois leur population relocalisée.
L’apparition incessante de nouvelles zones de ce type sur la carte mondiale, ajoutant aux difficultés de produire assez pour nourrir l’humanité, avait mené aux premières tentatives d’une sorte de contrôle climatique global. Une étude de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture avait prouvé que, partout, le niveau des fleuves et des nappes phréatiques était en chute libre. Tandis que l’Amazone passait de six millions et demi de kilomètres carrés à moins de la moitié de cette valeur, des dizaines de ses affluents s’étaient totalement asséchés. Les reconnaissances aériennes démontraient qu’une grande partie de l’ex-forêt tropicale humide était déjà sèche et pétrifiée. A Khartoum, en Basse-Égypte, le Nil blanc se trouvait à six mètres en dessous de son niveau moyen, si bien que des vannes plus basses avaient été percées dans le béton du barrage d’Assouan.
En dépit des efforts mondiaux pour ensemencer les nuages, la quantité de pluie avait continué de diminuer. Les opérations scientifiques avaient cessé lorsqu’il était devenu évident que ce n’était pas seulement la pluie qui manquait, mais bien les nuages eux-mêmes. A ce point, l’attention s’était portée sur la principale source de pluie : la surface des océans. Les plus élémentaires examens avaient alors montré que là résidait la source de la sécheresse.
Sur les eaux territoriales de tous les océans du monde, jusqu’à environ mille cinq cents kilomètres des côtes, reposait une pellicule monomoléculaire mince mais solide, formée d’un complexe de polymères à chaîne longue saturés, générée par les immenses quantités de déchets industriels déversées dans les océans depuis cinquante ans. Cette membrane dure, perméable à l’oxygène, recouvrait la surface et empêchait presque toute évaporation. Si la structure des polymères avait été rapidement identifiée, nul moyen de les détruire n’avait été mis au point. Les liaisons saturées produites dans le bain organique parfait qu’offrait la mer étaient totalement non réactives et formaient un véritable sceau, seulement brisé quand l’eau se voyait agitée violemment. Des flottes de chalutiers et autres navires équipés de fléaux rotatifs avaient entrepris de sillonner les côtes atlantique et pacifique de l’Amérique du Nord ainsi que de longer les plages d’Europe occidentale, mais sans effet durable. De même, la ponction de l’eau de surface n’avait procuré qu’un répit temporaire : la pellicule se remplaçait rapidement, rechargée par propagation latérale grâce aux précipitations ruisselant des terres polluées vers les océans.
Le mécanisme de formation de ces polymères demeurait obscur. Toutefois, des millions de tonnes de déchets industriels hautement réactifs – composants du pétrole indésirables ou catalyseurs et solvants contaminés – continuaient d’être déversés dans la mer, où ils se mêlaient aux déchets des centrales atomiques et aux résidus des égouts. A partir de ce brouet de sorcière, l’océan s’était fabriqué une peau épaisse de quelques atomes seulement mais assez solide pour dévaster les terres que naguère il irriguait. »
James G. Ballard, Sécheresse (p.49-51)