La Coupe du monde s’est ouverte ce dimanche 20 novembre
Tous ceux qui, au prix de multiples arrangements, ont accepté de la lui confier, portent une immense responsabilité : des milliers d’ouvriers morts sur la conscience, un désastre écologique, un scandale politique.
Dans l’imaginaire collectif, la corruption évoque des enrichissements personnels, des valises de billets, des privilèges individuels. Personne ne songe jamais aux conséquences qu’elle génère pour la société.
De la même façon, si vous évoquez les dérives du football, vos interlocuteurs vous parleront gros sous, agents véreux, salaires astronomiques. À la rigueur, ils se plaindront du fait que quelques hommes malins ou talentueux s’enrichissent quand les supporters peinent à s’acheter une place au stade, un maillot, un abonnement.
Mais la Coupe du monde au Qatar révèle de façon éclatante que les petits arrangements ont des conséquences bien plus importantes que des profits individuels. Lors du désormais fameux repas de novembre 2010 à l’Élysée lors duquel se sont joués, entre autres, l’attribution de la Coupe du monde au Qatar et le rachat du PSG, les protagonistes ont-ils eu conscience du terrible engrenage dans lequel ils mettaient Doha ?
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Michel Platini, Nicolas Sarkozy et Claude Guéant ont-ils imaginé qu’en poussant la candidature du Qatar, ils causeraient indirectement la mort de milliers de travailleurs sur les chantiers des stades ? Ont-ils réalisé le désastre climatique que la compétition engendrerait ? Le tout accompagné d’un signal politique calamiteux : si un album Panini des dirigeants de régimes autoritaires existait, l’écusson du Qatar y brillerait en bonne place.
Depuis l’attribution de cette Coupe du monde, nous avons donc tenté de documenter au mieux ces éléments. Les découvrir, les relire ou simplement les parcourir dans le récapitulatif qui suit permet de se rendre compte de l’ampleur de ce scandale mondial, dans lequel la France a joué un rôle central. Car oui, contrairement à ce qu’affirme le président Emmanuel Macron, il est aujourd’hui impossible de distinguer le sport du politique.
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D’abord, il faut rappeler que l’attribution de la Coupe du monde au Qatar n’est pas un événement isolé. Nasser al-Khelaïfi, le président du PSG, a été mis en examen pour « corruption active » dans l’enquête judiciaire sur l’attribution des championnats du monde d’athlétisme au Qatar. En 2011, une société qu’il détenait avec son frère a en effet versé 3,5 millions de dollars au fils du président de la Fédération internationale d’athlétisme.
Mais n’allez pas pour autant voir de la corruption là où il n’y en pas ! Des SMS révélés par Mediapart ont montré que l’ex-numéro 2 de la Fifa, Jérôme Valcke, avait reçu en 2015 une montre d’une valeur de quelque 40 000 euros juste après un vote crucial sur le déplacement en hiver du Mondial 2022 : la justice suisse a classé sans suite l’enquête pour corruption.
Aucune sanction judiciaire non plus pour l’affaire de la villa que le président du PSG a généreusement mise à la disposition de Jérôme Valcke.
En France, la liste est longue des coïncidences qui intéressent la justice anticorruption. Au fil des années, nous avons découvert qu’après son départ de l’Élysée en 2012, l’ancien président a personnellement bénéficié dans ses affaires privées du soutien de l’État du Qatar. Redevenu avocat, il a aussi décroché des contrats avec deux grands patrons français, Lagardère (six mois après qu’un fonds qatari est devenu le premier actionnaire du groupe) et Bazin (ancien patron du PSG devenu patron du groupe hôtelier Accor), eux-mêmes soupçonnés d’avoir profité de la mobilisation de la présidence française en faveur du Qatar.
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Plus récemment, nous avons révélé que l’ancien président avait même fait appel au Qatar en 2011, quelques mois après l’attribution de la Coupe du monde, pour régler une dette de sa campagne de 2007 qu’il n’avait pas épongée.
Et nous avons également relaté comment Pierre Sarkozy, fils de et DJ de son état, était en 2010 plus intéressé par Platini que par ses platines : il a été l’un des protagonistes de la vente du PSG au Qatar.
Comment préserver de tels secrets ? Notre dernier article détaille la façon dont Nasser al-Khelaïfi a demandé à son majordome, lorsqu’il était menacé d’une perquisition, d’aller en urgence faire le ménage chez lui et de brûler des documents compromettants.
Le Sunday Times a aussi récemment révélé que notre principal journaliste travaillant sur l’attribution de la Coupe du monde, Yann Philippin, comme certains journalistes anglais et au total une douzaine de personnalités, avait fait l’objet d’une surveillance et d’une tentative de piratage de la part de l’État du Qatar par le biais d’une attaque extrêmement sophistiquée visant à accéder à ses documents et ses messages.
Travailleurs exploités, environnement maltraité
Les conditions d’attribution de la Coupe du monde ne sont cependant pas le seul sujet d’intérêt des journalistes. Car il nous a ensuite bien fallu en documenter les conséquences. Et en premier lieu, les conditions dans lesquelles le pays s’est transformé en vue de la Coupe du monde : travail forcé ou non payé, cadences infernales sous des chaleurs extrêmes… Les travailleurs migrants ont vécu l’enfer.
Des milliers d’entre eux en sont morts, sans qu’il soit possible de déterminer leur nombre exact. (Retrouvez également notre portfolio sur les ouvriers migrants qui ont obtenu le droit de jouer au football une fois par semaine.) Le groupe français de BTP Vinci vient lui-même d’être mis en examen pour avoir généré des milliards d’euros « au détriment de l’humain ».
Outre les forçats des chantiers, notre envoyée spéciale Rachida El Azzouzi a également rencontré au Qatar des travailleuses domestiques invisibilisées et maltraitées dans l’intimité de foyers privés où elles sont recluses.
Mais les conséquences sont aussi à venir. Sept des huit stades construits sont climatisés, une aberration énergétique. Surtout, pendant le Mondial, un avion transportera toutes les dix minutes les supporters entre le Qatar et ses pays voisins. Chaque jour, plus de 160 vols à coût réduit seront proposés aux supporters résidant dans les pays voisins du Qatar pour aller assister aux matchs.
La promesse de neutralité carbone faite par le Qatar n’est pas crédible un instant, comme l’a expliqué le chercheur Vincent Viguié dans notre émission « À L’air libre » dédiée au Qatar, qui revient plus longuement sur l’ensemble des éléments cités dans cet article.