La question des atteintes aux libertés associative est une problématique européenne même si chaque pays présente une situation spécifique.
Il y a une tendance lourde à la remise en cause de la liberté des citoyen-ne-s à s’organiser et se mobiliser
En 2018 16 fondations européennes lancent le programme « Civitates »et impulsent la création de coalitions associatives pour lutter contre ce qu’ils appellent « le rétrécissement de l’espace démocratique. »
En France la coalition se crée en 2019 et regroupe de multiples associations, collectifs et ONG et prend la forme d’un observatoire des libertés associatives qui est épaulé par un conseil scientifique de 13 chercheurs en sciences sociales spécialistes des questions de participation et d’engagement associatif. Cet observatoire a pour objet de documenter et valider les prises de positions et analyses de l’observatoire des libertés associatives en y apportant sa caution scientifique.
Les entraves aux libertés associatives prennent 4 formes, symboliques, matérielles, juridiques et physiques
- Les entraves symboliques, autrement appelées « disqualification » On y trouve les attaques ad hominem qui portent souvent sur la réputation des militants via les réseaux sociaux notamment et la catégorisation de certains groupes via des termes infamants (communautaristes, séparatistes, éco terroristes…)
- Les entraves matérielles et financières qui peuvent prendre des formes multiples, coupes dans les subventions difficultés d’accéder à des locaux ou à des espaces publics (en région hauts de France on citera le GEDEAM sommé de restituer une subvention, l’université populaire citoyenne de Roubaix contrainte de licencier suite à des coupes dans les subventions…)
- Les entraves juridiques ou réglementaires
Sur le plan des entraves juridiques, on assiste à une multiplication des procédures judiciaires à l’encontre des groupes ou des individus. Ces procédures, si elles n’aboutissent pas toujours ni à un procès ni à une condamnation sont couteuses en temps, énergie et finances et constituent une véritable guérilla destinée à user les volontés.
Dans les entraves réglementaires on trouvera toutes les formes de refus d’agrément, de conventionnement ou de reconnaissance statutaire, on trouvera également la multiplication des documents à fournir qui conduit parfois à une véritable « professionnalisation » des bénévoles afin de faire face à ces obstacles réglementaires.
- Les entraves policières enfin, parmi lesquelles on va trouver les attaques physiques bien sûr mais aussi plus « subtilement »le harcèlement des associations et des leurs membres avec les mêmes objectifs, semer la crainte, saper les moyens financiers et éventuellement discréditer. On citera parmi des dizaines d’exemples possibles l’association Utopia 56 intervenant auprès des migrants à Calais qui s’est vu infliger 18 amendes pour violation du confinement entre le 18 mars et le 08 avril 2020 ou les militant-e-s antis nucléaires de Bure.
La loi « confortant le respect des principes de la république », dite loi séparatisme.
Ce texte a été adopté définitivement par l’assemblée fin juillet 2021 malgré trois saisines du conseil constitutionnel. Ces saisines sont à porter au crédit de l’observatoire des libertés associatives qui s’est livré à un remarquable travail d’analyse de ce texte et à un intense travail d’alerte de l’opinion publique et des parlementaires. Si ces saisines n’ont pas empêché la validation définitive du texte, elles auront néanmoins permis d’y mettre quelques bémols. Analysons quelques-uns des articles les plus dangereusement significatifs de ce texte.
- Article 12 de la loi. Cet article institue l’obligation de souscrire au CER contrat d’engagement républicain afin de pouvoir obtenir des aides financières publiques. L’association demandeuse s’engage à « respecter les principes de liberté, égalité, fraternité et dignité de la personne humaine ainsi que les symboles de la république, le drapeau, l’hymne et la devise à ne pas remettre en cause le caractère laicque de la république et enfin s’abstenir de toute action portant atteinte à l’ordre public. On voit bien là le risque de dérive liberticide compte tenu de l’imprécision de la notion d’ordre public. Il y a là manifestement de quoi nourrir un contentieux conséquent certes mais aussi de quoi mettre en difficultés les structures concernées, contraintes d’attaquer les décisions les frappant tout en se voyant privées, même temporairement de subsides financiers vitaux.
L’association qui se verrait mettre en cause pour non-respect du CER après versement de subventions se verrait contrainte de reverser les sommes perçues mais pourrait également se voir condamnée à reverser l’équivalent des aides en nature, à charge pour l’autorité attributive de les chiffrer. Cette procédure de retraits d’aides est encadrée par la loi qui impose une décision motivée, une procédure contradictoire et un délai de 6 mois en cas de restitution. Le conseil constitutionnel est venu limiter le cout possible en fixant que le retrait de subvention ne peut porter rétroactivement sur des fonds perçus antérieurement aux faits incriminés.
- Article 13 la signature du CER s’applique de la même façon aux associations souhaitant accueillir des services civiques. Dans l’hypothèse d’un litige sur le respect de la mise en œuvre du CER l’association devrait restituer les fonds.
- Article 15 de la loi. Il pose que l’obligation de signer et respecter le CER s’applique aux associations agrées. Celles-ci sont au nombre de 300000 et couvrent l’ensemble du champ associatif national. Pour cette catégorie qui regroupe toutes les associations de jeunesse et d’éducation, aux sanctions classiques portant sur les fonds et les aides en nature s’ajoutent la menace du retrait d’agrément et l’interdiction d’en bénéficier pendant 5 ans, ce qui conduirait à la mort de l’association. En outre les agréments sont octroyés pour une durée limitée, à un maximum de 5 ans.
- Article 16 .cet article élargit les motifs de dissolution d’une du fait de son action ou de ses objectifs. peuvent être dissoutes les associations pour provocation à des agissements violents à l’encontre des personnes et des biens. Avec la multiplication des manifestations de type lutte contre les bassines ou les projets inutiles on voit bien le risque encouru .D’autres motifs ont été ajoutés comme l’atteinte à l’intégrité du territoire ou la contribution aux discriminations. Plus grave, la loi permet d’imputer à une association les agissements d’un de ses membres pour demander sa dissolution. Les conditions à réunir : l’association informée des intentions du ou de ses membres s’est abstenue de prendre les mesures nécessaires dans la mesure de ses moyens. On voit bien là le danger, compte tenu de la difficulté pour une association de prouver qu’elle n’était pas informée et ne peut donc être tenue responsable. Il s’agit là d’un changement profond et dangereux sur le plan juridique avec la création d’une responsabilité des associations du fait des actes de leurs membres.
- Les articles 17 à 22 portent eux sur les modifications d’une part sur les modifications des conditions d’octroi d’avantages fiscaux pour les associations et d’autre part sur de nouvelles obligations déclaratives et une extension des pouvoirs de contrôle des autorités fiscales. La cour des comptes dans un référé de décembre 2020 préconisait le renforcement des contrôles du fisc sur les associations et les dons quelles reçoivent. Elle dénonçait également la légèreté des contrôles à priori pour l’octroi d’un accès à la défiscalisation et l’absence de contrôle à postériori. Elle regrettait également que la procédure ne permettait pas de vérifier le respect des principes républicains… La loi séparatisme est venue parfaitement répondre à ces demandes, dangereuses pour les libertés associatives.
La loi séparatisme est donc aujourd’hui en vigueur et le CER est une épée de Damoclès suspendue au-dessus des associations les plus engagées, le tout dans un silence relatif. Il semble qu’à l’exclusion des membres de la coalition peu d’association ait vu le danger de ces évolutions législatives et réglementaires, l’habillage du CER et l’offensive de communication du gouvernement ayant servi de rideau de fumée. Pourtant le danger est bien réel et pourrait encore s’accroitre puisque le 05 octobre 2022 l’assemblée avait adopté un amendement au projet de loi de finances, déposé par les « républicains » qui supprimait les avantages fiscaux accordés aux associations dont des militants se rendraient coupables « d’intrusion sur des sites agricoles ou industriels » on voit bien qui était la cible en l’occurrence et seul le 49.3 à paradoxalement fait gagner du temps en supprimant cet amendement. Nul doute qu’il ne refasse surface sous peu.
La ligue des droits de l’homme, fort active sur cette question avait fait une adresse en juillet 2022 aux nouveaux députés :
« Abrogerez-vous la loi séparatisme et le contrat d’engagement républicain ? » adresse demeurée bien sur sans réponse.
Depuis sa mise en œuvre nombre d’associations engagées ont fait les frais de ce nouvel arsenal juridique : la boite sans projets et la fédération des centres sociaux et socioculturels se sont vues mises en cause par une secrétaire d’état pour un débat houleux….
Alternatiba organisant un stage sur la désobéissance civile est mis en cause par le préfet de la Vienne qui lui reproche d’être en infraction avec le CER.
Le planning familial départemental est interdit de manifestation publique à Chalons sur Saône, le maire ayant été choqué par la présence d’une femme portant un foulard sur une affiche. Certes cette décision sera cassée par le juge, mais que d’énergie et de temps perdu face à une décision arbitraire et subjective.
Ces quelques exemples parmi d’autres montrent à quel point La loi séparatisme et le CER sont des armes d’une guerre qui ne dit pas son nom et qui vise à restreindre la capacité d’organisation des citoyen-n-es et que nulle association n’est plus à l’abri du jugement personnel d’un élu ou d’un préfet et que l’on ne peut fonctionner en permanence avec cette menace en se reposant sur la clairvoyance de la justice en cas conflit. Comme le rappelait la LDH cet été il y a urgence à abroger ces textes et à défaut d’informer pour construire la résistance.
Décembre 2022
Un document réalisé par DG à partir d’une réflexion au LAG de Liévin