Piscines, jardins…

Les riches aggravent les sécheresses

Les plus privilégiés du Cap utilisent 51 % de l’eau disponible.

Les inégalités sociales contribuent aux pénuries d’eau, selon une étude scientifique. En cause, les surconsommations pour des usages non essentiels, comme les piscines privées.

Les sécheresses seraient moins sévères si les riches n’accaparaient pas des forages privés dont ils gaspillent l’eau. Tel est le résultat d’une étude menée par des scientifiques suédois de l’université d’Uppsala, publiée le 10 avril dans la revue Nature Sustainability.

Cette équipe a mis au point un modèle informatique qui collecte et simule les consommations d’eau dans la zone urbaine du Cap, en Afrique du Sud. Sous climat de type méditerranéen, cette agglomération de 3,7 millions d’habitants est un bon cas d’étude, car elle a connu plusieurs sécheresses de 2008 à 2019. La plus grave, dite du « Day zero » pour signifier que l’épuisement des réserves d’eau approchait, a duré de janvier 2015 à juillet 2017.

Piscines, jardins… Les plus riches gaspillent l’eau

Malgré la fin de l’apartheid en 1991, les inégalités au Cap restent très fortes. Cinq groupes sociaux coexistent dans des quartiers différents : l’élite (1,4 % de la population) et les revenus moyens supérieurs (12,3 %) qui profitent de maisons dotées de jardins et de piscines, les revenus moyens inférieurs (24,6 %), et les bas revenus (40,5 %) et les groupes « informels » (21 %) — les pauvres et précaires qui survivent dans des baraquements sans eau courante ni toilettes.

Bien qu’ils ne représentent que 13,7 % de la population, les deux groupes privilégiés du Cap utilisent 51 % de l’eau disponible, tous usages confondus, respectivement jusqu’à 2 160 litres et 988 litres par ménage et par jour (en France, une famille de quatre personnes consomme 400 litres d’eau par jour en moyenne, dont 93 % liés à l’hygiène). Les deux groupes les plus pauvres, soit 61,5 % de la population du Cap, consomment 27 % de l’eau, environ 178 et 41 litres par ménage et par jour, 12 à 50 fois moins que les groupes privilégiés.

50 000 à 80 000 litres d’eau sont nécessaires pour remplir une piscine.

Pour les plus riches, l’eau sert surtout aux besoins non essentiels : arrosage des jardins, piscines (50 000 à 80 000 litres d’eau), fontaines, lavage des voitures, etc. En plus de l’approvisionnement public, ces groupes privilégiés ont accès à des sources alternatives : eau en bouteille, collecte d’eau de pluie, forages privés. À l’inverse, la majeure partie de l’eau consommée par les trois autres groupes sociaux satisfait leurs besoins de base : boire, se laver et cuisiner. Ces groupes n’ont pas accès à des sources d’eau privées.

Forages privés

Que se passe-t-il alors en cas de sécheresse ? En 2015-2017, la municipalité du Cap a imposé le rationnement de l’eau à 50 litres par personne et par jour, l’augmentation des tarifs ou encore des amendes pour utilisations illicites de l’eau. Or, le modèle de l’équipe suédoise indique que les ménages à faibles revenus sont plus vulnérables à de telles mesures, notamment parce qu’ils ne peuvent payer le tarif révisé à la hausse. Ils consomment donc encore moins d’eau qu’à l’habitude.

Les groupes privilégiés, bien qu’ils réduisent aussi leur consommation, résistent bien mieux à la pénurie en augmentant l’usage des forages privés. Cela ruine le bilan hydrique de la ville : de cinq scénarios testant des contraintes différentes sur la ressource, il ressort que ces pratiques sont la première cause de la sécheresse la plus accentuée. Le seul scénario qui conserve un bilan hydrique positif implique une répartition équitable de l’eau entre les groupes sociaux, et la non-exploitation des forages privés.

Quels enseignements en tirer ? Selon le groupe d’Uppsala, le modèle conçu pour Le Cap est transposable à toutes les villes et peut les éclairer sur les impacts des surconsommations. En France, les usages domestiques représentent 50 à 60 % de l’eau potable (à 80 % d’origine souterraine) consommée dans les zones urbaines (il y a aussi les services publics, l’industrie, les commerces, les loisirs, la santé, etc.).

Pour Guillaume Attard, ancien du Cerema et fondateur de l’agence Ageoce, à Lyon, « on peut tout à fait imaginer, dans un contexte où les politiques relient le prix de l’eau à ses usages “raisonnables” ou “déraisonnables”, que les gens qui en ont les moyens préfèrent se tourner vers des prélèvements locaux dans les aquifères souterrains ». Dans les zones où il y a de l’eau, les plus riches pourraient donc développer les forages privés comme en Afrique du Sud. Aujourd’hui en France, rien ne l’interdit pour l’instant.

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