L’opération de la honte
L’île africaine de Mayotte dans l’archipel des Comores fait face à une vaste opération de destruction d’habitat et d’expulsion de résidents venus des autres îles. Cette opération, nommée Wuambushu, illustre la dérive droitière du gouvernement et l’absence de solutions apportées aux problèmes que connaît Mayotte.
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Gérald Darmanin, Ministre de l’Intérieur, n’en finit plus de chasser sur les terres de l’extrême droite. Chacune de ses sorties fait passer le Rassemblement National pour un parti mollasson. A Mayotte, il expérimente ce qu’il rêve de mettre en place dans l’hexagone, une politique ultra-répressive qui nie les droits humains.
Sur l’île, administrée par la France contre l’avis de l’ONU, il lance policiers et gendarmes dans une traque incessante de migrants qui n’est pas sans rappeler les heures les plus sombres de l’Histoire. Et ce alors même que la France est condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour sa gestion des migrants à Mayotte et que la France était fustigée ce lundi 1er mai par le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies. Pourtant, Darmanin s’obstine à déployer militaires et bulldozers. Les renforts de gendarmes ne vont pas résoudre les problèmes de Mayotte, bien au contraire.
Une zone de non-droit
Alors même que Mayotte se targue d’être française, le droit français n’y est pas appliqué. Les acquis sociaux ne sont pas identiques, le RSA est moitié moins élevé qu’en France et l’AME n’existe pas, tout comme la CMU. Pas de prime à la naissance non plus et une caisse d’assurance maladie spécifique. Mais c’est surtout en matière de droits des étrangers que Mayotte déroge. Les conditions pour obtenir la citoyenneté française y sont beaucoup plus contraignantes et Mayotte fait en ce sens office de laboratoire pour des réformes à venir. Les titres de séjour sont eux aussi plus difficiles à obtenir et ne sont pas nationaux de fait qu’un étranger en règle est coincé à Mayotte et ne peut se rendre à la Réunion ou dans l’hexagone avec sa carte de séjour.
Les policiers et les gendarmes se livrent à des contrôles au faciès tous les jours et arrêtent, transfèrent au CRA puis expulsent – le tout en moins de 24 heures – plus de 25000 personnes chaque année, soit 60% des expulsions organisées par la France. Pour tout ce qui concerne les expulsions, « les droits ne sont pas respectés car tout est fait dans la précipitation » comme le signale Marjane Ghaem, avocate en droit des étrangers1. De nombreux migrants, qui ne sont en théorie pas expulsables, sont ainsi déportés tous les jours. Mayotte n’a donc rien d’un El Dorado pour les immigrés. Le préfet y a même le pouvoir de faire raser des habitations sans passer par le juge des référés comme c’est le cas en France.
Tout cela se fait avec le soutien d’une part importante de la population laquelle plébiscite Marine Le Pen à chaque élection. Ce n’est pas un hasard si le gouvernement reprend à son compte les « décasages » qui étaient jusque là l’œuvre de « collectifs ». Ces milices expulsaient de force des familles étrangères de leur logement, souvent en pleine nuit, puis détruisaient celui-ci sous le regard complice des gendarmes. Désormais, les gendarmes décasent sous le regard complice de ces groupes réactionnaires.
C’est là la particularité de Mayotte, se prétendre française mais tout faire pour ne pas l’être complètement. Comme le signale François Héran, professeur au Collège de France : « On ne pourra pas justifier éternellement le paradoxe consistant à placer Mayotte en dehors de la légalité républicaine pour mieux affirmer son appartenance à la République »2
La répression comme seule réponse
Depuis des années, alors que Mayotte est le département le plus pauvre de France avec un PIB par habitant de 9711 euros – contre 22148 à la Réunion3 – et 80% de la population sous le seuil de pauvreté, les investissements sont absents. Réseau routier sous-développé, absence de transport en commun, quasiment pas de traitement des eaux usées, manque de logements sociaux… La distribution de l’eau en est un parfait révélateur.
Alors que Mayotte a connu une importante crise de l’eau entre décembre 2016 et mars 2017, aucun travaux n’a été effectué et l’île se retrouve dans la même situation en ce début 2023. Les habitants de Mayotte, île tropicale humide, sont rationnés en eau. L’éducation et la santé sont aux abois mais les rallonges budgétaires concernent essentiellement la police et la gendarmerie, « l’État se focalise sur une réponse répressive vaine et préjudiciable »4.
La Cimade – qui condamne, tout comme la LDH et l’UNICEF, l’opération Wuambushu – signale que « l’arsenal répressif poursuit son avancée inexorable, écrasant sur son passage les espoirs d’une vie meilleure pour les habitant.es de Mayotte. » L’île, pour sortir de la pauvreté, a besoin d’investissements massifs et non de stigmatisation et de répression. Monter les habitants les uns contre les autres les détournent des vraies revendications qui devraient être les leurs et fait le jeu de l’État qui conserve ainsi l’avantage stratégique qu’offre Mayotte à moindre frais. Qu’ils soient de Mohéli, d’Anjouan ou de Mayotte, les habitants de l’archipel constituent un même peuple. Ils partagent la même culture, la même langue, la même religion, comme le rappelle l’ethnologue Sophie Blanchy dans Le Monde5. Le reste, ce n’est que la politique néo-coloniale de la France.
Le blog de Damien Gautreau sur mediapart
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Notes
1 https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/04/27/mayotte-le-departement-des-exceptions
2 François Héran, Immigration, le grand déni (Seuil, 2023)
3 https://fr.statista.com/statistiques/479490/pib-par-habitant-selon-regions-france/
4 https://www.lacimade.org/operation-wuambushu-a-mayotte-une-ile-laboratoire-de-politiques-migrat
5 https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/04/25/a-mayotte-