ou le rappel à l’ordre des femmes fortes
A propos des réactions aux déclarations de la cinéaste Justine Triet
Sur les différentes réactions aux propos de la cinéaste française lors de la cérémonie du festival de Cannes, beaucoup de choses ont été dites, notamment sur cette conception à la fois fausse et paternaliste des subventions publiques [1].
Si l’on en croit plusieurs ministres, Justine Triet, bénéficiant desdites subventions, aurait mieux fait, au lieu de critiquer le gouvernement sur la réforme des retraites et la marchandisation de la culture, de remercier ses donateurs – et donc de s’en tenir aux platitudes usuelles.
De fait, l’argent qui a financé son film Anatomie d’un meurtre, primé cette année, ne vient ni des poches de la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak, qui l’a accusée d’ingratitude, ni de celles de Roland Lescure, ministre délégué à l’industrie, qui l’a traitée d’enfant gâtée.
Il faudrait aussi rappeler à ces deux ministres, et à tous ceux qui se déchaînent depuis 48 heures, que les financements publics, ou plus largement toute forme de redistribution, ne relèvent pas de la charité. Et on ne peut s’empêcher de faire un parallèle entre les jugements sur la mauvaise élève Justine Triet et les accusations faites aux bénéficiaires de prestations sociales, toujours soupçonnés de penser à leurs droits plutôt qu’à leurs devoirs, de réclamer plutôt que de remercier.
Il y a pourtant autre chose – outre que la dénonciation publique de la répression de la mobilisation contre la réforme des retraites est décidemment insupportable pour les ministres macronistes.
Il y a certes, dans ces réactions, un agacement contre l’« enfant gâtée » d’une profession dont Roland Lescure pense que « nous l’aidons tant ». Il y a aussi une colère à l’encontre de la troisième femme à avoir reçu la Palme d’or depuis 1939, date de création du festival, qui ne dit pas merci en souriant, et finalement gâche la fête.
Alors que, depuis plusieurs années, on presse le monde du cinéma français d’affronter son sexisme, alors que les colleuses féministes sont venues mettre leur touche personnelle au décor paillette de « Patriarcannes », c’était l’occasion rêvée, pour la profession, de dissiper toutes les critiques – et le gros malaise né de l’accueil triomphal fait à Maïwenn et Johnny Depp.
Vous voyez, on n’est pas sexiste, on a donné une Palme d’or à une femme.
Car c’est bien ce qui en jeu, ici comme ailleurs. Les prix et les récompenses n’ont pas pour seule fonction de distinguer les « meilleurs ». C’est aussi l’occasion, quand l’entre-soi, notamment masculin, est un tout petit peu ébranlé, de se réassurer. En comptant sur le fait que les heureux-ses élu-es sauront rester à leur place sans rien réclamer d’autre que ce qu’on leur a généreusement octroyé.
Pas de chance, c’est raté.
Notes
[1] Sans parler du fait que le financement du cinéma français ne repose pas uniquement, notamment pour ce qui est du CNC, sur des subventions publiques
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