Les mots ont un sens

« Lourde est la profération coléreuse des citoyens. Il faudra payer le prix de la malédiction populaire. » Eschyle

Un article de M. Dumont sur son blog chez mediapart

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https://blogs.mediapart.fr/marc-dumont-md/blog/140723/les-mots-ont-un-sens

Extraits

Sans jour d’apaisement

Le 14 juillet 1790 avait lieu la Fête de la Nation. Le symbole d’une unité nationale est choisit  en 1880 comme moment fondateur, étroitement lié au précédent 14 juillet déclencheur de la Révolution française, par une 3è République encore chancelante.

Le 14 juillet 2023 échappe totalement avec cette symbolique, à plus d’un titre. En raison de la fracture profonde révélée par les récentes émeutes qui ont touché l’ensemble du territoire, jusque dans de petites villes et en raison du choix de l’invité d’honneur (ou cette fois, du déshonneur). En 2008, Sarkozy avait eu l’excellente idée d’inviter le dictateur Bachar al-Assad, cette année, Macron sera aux côtés de Narendra Modi. Contrats d’armement obligent.

Car inviter en ce jour un dirigeant aussi extrémiste par son ultra-nationalisme  comme son ultra-libéralisme est bien un double camouflet : pour les démocrates – que Modi pourchasse en Inde – et pour les musulmans – que son parti traque partout, dans des violences débridées.

Quel plus mauvais signal, envoyé au plus mauvais moment, que de pervertir ainsi « notre » 14 juillet, celui de la République, celui d’une nation héritière des droits de l’homme et du citoyen, celui d’un pays où les musulmans sont systématiquement stigmatisés ?

Il s’agit, une fois de plus, une fois de trop, de l’inversion des valeurs qui est une caractéristique profonde du macronisme. 

Comme le printemps nous parait lointain… « Cent jours d’apaisement » avait dit le pouvoir après être passé en force dans sa contre-réforme des retraites. Mais prononcer cent peut s’écrire sans
Dès avril, partout en France, il y eut les casserolades, les huées improvisées dans les stades ou les concerts, les déplacements ministériels annulés ou sous très haute surveillance, tenant les manifestants aussi loin que possible du passage des ministres ou du Président.

Puis il y eu ce meurtre à bout portant. Pas le premier de l’année, loin de là, puisqu’il y en a un par mois – alors qu’en Allemagne, il y en eut un en dix ans… 

Et tout a basculé. Dans la violence des nuits d’été, dans les commentaires sécuritaires en boucle, dans le refus de toute analyse politique autre que « c’est la faute à l’immigration »… et à LFI. C’est un peu court, c’est rengaine, mais c’est asséné de toutes parts dans les médias comme chez les politiques des droites et des extrême-droites qui saturent l’espace.

Et ce que dit le Président de la République est tout de même consternant. Après son ineffable assertion « qui aurait pu prédire la crise climatique ? » (4 janvier), voici qu’il fait mine de s’étonner face aux violences « Qui avait pu prévoir ce qui allait se passer ? » (6 juillet, à Pau) La réponse est simple, dans les deux cas : à peu près tout le monde. 

Or plus que jamais, l’adage « prévoir, c’est gouverner » est d’une brûlante actualité… Quel aveu d’impuissance – ou bien quel cynisme politique ! A moins que ce ne soit les deux.

Partout, en tout, le déni

Les habitants de Nanterre comme d’ailleurs ne comprennent pas pourquoi ils se voient partout se déployer le BRI,  le GIGN, le RAID, des milliers de policiers comme seule réponse politique apportée à ce jour à la profonde crise que nous traversons. Car il n’est brandie qu’une seule solution : « l’ordre républicain ». Non : c’est faux, car il y a cette autre solution, depuis longtemps réclamée par l’extrême droite comme par les LR et Macron y la reprend à son compte : 

On ne saurait oublier que tout est parti de cette vidéo du meurtre. Et du mensonge de la première déposition des deux policiers. Souvenons-nous qu’il y a quelques mois à peine, le Ministre de l’intérieur voulait interdire de filmer la police…

« Macron et la réforme de la police, un débat impossible » titrait Le Monde du 9 juillet. Et pourtant, sans débat, sans analyse objective d’une situation explosive, comment avancer ? Petit florilège : 

– « La police exerce sa mission de façon merveilleuse » (Yaël Braun-Pivet, Présidente de l’Assemblée Nationale, le 3 juillet)

– « Il n’y a pas de violence policière » mais des femmes et des hommes qui défendent les français avec courage. (Maud Brégeon, député macroniste, BFM le 8 juillet)

– « Il n’y a pas de racisme dans la police » (Laurent Nunez, préfet de Paris)

– « Etre raciste, c’est autorisé par la loi » (Laurent-Franck Lienart, avocat du policier responsable du tir mortel contre Nahel, avocat des policiers d’extrême droite depuis 30 ans et soutien de Zemmour)

– « Ce n’est pas, ce ne sera jamais le moment d’aller manifester contre la police de la République » (Maud Brégeon BFM le 9 juillet)

Pourtant oui, ce devrait être une évidence, « les mauvaises pratiques des policiers sapent les fondements mêmes de la République déjà bien chancelante » écrit Sébastien Rocher, directeur de recherche au CNRS.

Police partout, justice nulle part ?

Alors que Darmanin annonce que 130.000 policiers et gendarmes sont déployés ce 14 juillet (soit l’intégralité des forces du territoire !) les condamnations en comparution immédiate des émeutiers sont aussi sévères et nombreuses, « pour l’exemple »,  que loin de toute cohérence judiciaire. Ne vous méprenez pas : il ne s’agit sûrement pas de prôner le laxisme mais bien de faire un constat.

Quelques exemples suffiront, pris à Marseille le 2 juillet. Le témoignage fait froid dans le dos. Dans la lignée des procès des Gilets Jaunes – mais toujours plus loin des principes même de la Justice : 4 mois de prison ferme pour une jeune femme de 19 ans rentrée dans un magasin Snipes sans avoir rien pris. Un an ferme pour des vols au Monoprix. 10 mois ferme pour un étudiant malien en Master à Aix pour le vol de deux pantalons chez Hugo Boss. Un homme de 58 ans jugé pour avoir ramassé des objets au sol des heures après les pillages : condamné à un an de prison ferme. Du jamais vu…

Faire peur, dissuader, c’est la seule réponse apportée à l’embrasement. Qu’en est-il alors de la justice ? Car sans justice, pas d’appaisement réel. Loin de s’interroger sur les rapports police / population, le pouvoir s’est enfermé dans une spirale sécuritaire qui réjouit toutes les droites.

Et ce pouvoir fait bloc avec les syndicats de policiers. Nul n’a trouvé à redire au brulot purement factieux des syndicats Alliance et Unsa Police du 30 juin, car nous attendons toujours la claire condamnation de la part des garants des institutions républicaines. La question se pose : qui contrôle la police ?

Pourtant, une profonde réforme s’impose. Un exemple symbolique dit beaucoup de là où nous en sommes : dans le code de déontologie de 1986, une phrase rappelait que la priorité des policiers était la garantie des libertés et la défense des institutions de la République. Elle a été retirée en 2014. La rétablir ne serait pas superflu. 

Alors, réformer est indispensable. Les solutions, républicaines, existent, portées par LFI et la NUPES :

* Abrogation de la loi Cazeneuve de 2017, surnommée « permis de tuer ».

* Dépaysement de toutes les enquêtes concernant les policiers inculpés.

* En lieu et place de l’IGPN, création d’une autorité de contrôle indépendante de la police, placée sous la responsabilité du Défenseur des droits. 

* Réforme de la formation des policiers, en tenant compte du fait qu’au concours de recrutement, on est passé d’un candidat retenu sur cinquante en 2010, à un sur cinq en 2019.

* Rétablissement d’urgence d’une police de proximité.

* Et rétablissement d’un rapport républicain avec les syndicats de police : ce n’est surement pas à eux de dicter leur loi par des postures séditieuses.

* Bref, il s’agit bien de remplacer les forces de l’ordre par des gardiens de la paix.

Je ne saurais trop vous conseiller la lecture de ce passionnant débat constructif autour de  constats et de solutions.

Le parti de l’ordre

Partout le même mot revient : « l’ordre ». Un ordre policier aux relents d’un passé nauséeux. C’est là la seule réponse, entonnée en coeur par la macronie, LR et les extrêmes-droites ? C’est bien celle qui est ressassée sur tous les tons.  

Quant à dire, comme le Président, qu’il s’agit de « continuer à travailler pour répondre aux difficultés des quartiers », cela ne fait que reprendre l’habituel discours macroniste : les mots contraires aux actes. Cela fait déjà des années que, concernant ce sujet, tout est sur la table, mais que les politiques gouvernementales refusent de le prendre en compte.

Mais l’ordre est un mot accolé à une autre notion : la xénophobie. Car depuis les émeutes, il semble qu’un vent de délire raciste et autoritaire ne cesse de souffler sur le pays. Sans même évoquer les déclarations du RN et celles de Zemmour, voici une sénatrice LR qui s’enlise dans l’abjection : « Vous allez me dire que la plupart des gens arrêtés sont français…. Ils sont comment français ? » Comme disait Bardella, « on a tout donné à ces gens là »… Immonde.

Tout va très vite, les digues – si fragilisées – ont sauté, totalement. Le concert des racismes se donne en festival de la démagogie droitière.

Discours d’extrêmes-droites

Selon Europol, la moitié des projets d’attaques d’extrême droite déjoués dans l’Union Européenne en 2022 l’ont été en France. Et partout, sans cesse, les nervis d’extrême droite sont à l’oeuvre, d’Angers à Lyon. Ces dernières semaines, les premiers visés ont été ceux qui manifestaient contre les violences policières ainsi que les militants de LFI.

Le hideux visage de l’extrême droite s’est montré au grand jour avec la cagnotte de la honte, celle initiée par un militant zemmourien adoré des plateaux de Cnews, en soutien au policier qui a abattu Nahel. Et lorsque le député socialiste Arthur Delaporte  la dénonce, il est harcelé et menacé. Ce qui donne raison à la condamnation sans appel d’Elisabeth Borne, le 2 juillet : cette cagnotte « ne contribue pas à l’apaisement »… Des mots décisifs, n’est-ce pas ?

Cnews, dont Pap Ndiaye déclare qu’elle « est devenu clairement d’extrême droite » (Radio J, le 8 juillet). Non : elle l’a toujours été ! C’est tout de même étrange qu’un intellectuel de cette envergure découvre la lune… Mais il est dramatique de voir ce que ces quelques mots ont entrainé comme déferlement de haine.

« Dans l’esprit étriqué des wokistes, la liberté d’expression exclut la liberté de penser. Nous apportons notre soutien inconditionnel aux rédactions de CNews et d’Europe 1 ! », a ainsi réagi le parti LR, sur son compte Twitter. « Soutien à Vincent Bolloré, grand entrepreneur français, attaqué dans les médias par le ministre de l’Éducation nationale. Qu’a fait Pap Ndiaye dans sa vie et pour notre pays, à part essayer de déconstruire notre Nation ? » ajoutait immédiatement Eric Ciotti…

« Propos honteux de Pap Ndiaye, qui qualifie CNews et Europe 1 d’extrême droite. Au lieu de s’attaquer au pluralisme des médias, le ministre de l’éducation nationale devrait travailler à enrayer la baisse constante du niveau scolaire ! », a réagi la députée RN et vice-présidente de l’Assemblée nationale Hélène Laporte.

Quant à BFM, lorsque la chaine ne cherche pas « les prénoms les plus fréquents parmi les individus interpellés » (7 juillet), elle ouvre généreusement son antenne à Manuel Valls au moment des obsèques de Nahel. Valls passa son temps à accuser LFI…

Et lorsque l’on demande à ce député macroniste ce qu’il pense de l’arrivée du soutien de Zemmour à la tête du JDD, il répond : 

« Bon Dieu, mais c’est… bien sûr ! » Car nous y voilà :

C’est la faute à LFI !

L’emballement politique frise une nouvelle fois l’hystérie. L’occasion est trop belle : diaboliser toujours plus.

Pour s’en tenir aux derniers jours, après l’interdiction du rassemblement annuel en mémoire d’Adama Traoré, Gérald Darmanin accuse La France insoumise de « cracher sur la tombe des policiers ». Maud Brégeon, député macroniste (BFM le 9 juillet) accuse Jean-Luc Mélenchon de dire que « tout le monde déteste la police ». C’est faux, jamais il n’a dit cela, mais bien qu’il fallait revoir de fond en comble l’organisation des forces de l’ordre qui devraient redevenir les gardiens de la paix. Si « la police tue » est une expression qui fait bondir au delà  des biens pensants, elle exprime quelque chose du profond clivage qui mine la société. Proposer des solutions pour le résorber fait donc passer LFI pour irresponsable. Mais qu’importe : des dizaines de députés macronistes exigent des sanctions immédiates.

Pour le sénateur LR Claude Malhuret, les insoumis sont « les ânes de Troie du séparatisme »

Aurore Bergé, la présidente du groupe Renaissance à l’Assemblée, parle de « provocations » de LFI pour des raisons électorales. Le 4 juillet, elle lie la mort du sapeur-pompier aux émeutes pour attaquer la France insoumise – qu’importe si cette mort n’a rien à voir avec les violences. Tout ceci fait écho à cette xénophobie affichée partout et vise clairement à discréditer la force politique vent debout contre les extrêmes-droites.Elle assène aussi que LFI « se place dans une logique séparatiste ».

Mieux, Bergé reprend à son compte une expression de Jordan Bardella à propos de La France Insoumise rebaptisée « La France Incendiaire ». 

Le 3 juillet, Bernard Cazeneuve tançait : « le problème de Jean Luc Mélenchon et de ses amis, c’est qu’ils attisent les braises », lui qui a créé une loi donnant aux policiers un permis de tuer. La veille, Eric Ciotti fulminait déjà : « Monsieur Mélenchon est un factieux, un danger pour la République ». Elisabeth Borne, qui avait déjà employé le terme de factieux le 1er mai (mais pas depuis, en lien avec le communiqué d’Alliance cité ci-dessus) lui emboîtait le pas deux jours après, disant que LFI ne ferait « plus partie de l’arc républicain » et ne se situe plus « dans le champ républicain » (4 juillet). Mélenchon serait « totalement irresponsable ». Mais en quoi ? 

* Parce que ses mots n’étaient pas ceux dictés d’avance par la classe politique et médiatique ? « La question pour un homme politique, ce n’est pas d’appeler au calme et de se donner des postures, c’est d’essayer d’arriver au calme et pour cela de régler rationnellement les problèmes qui se posent. » (le 4 juillet)

* Parce que LFI a, dès le jour du meurtre de Nahel, appelé à la justice, seule garante d’un réel apaisement ? Cela au moment où la version de la police était alors celle de la légitime défense.

* Parce que sans cesse, sans relâche, LFI ne cesse de dire et démontrer que la violence n’est pas la solution et qu’elle se retourne toujours contre nous ?

* Parce que LFI a proposé des mesures politiques concrètes alors que la seule double réponse du pouvoir est la répression et cette rengaine désolante « c’est la faute à LFI ».

* Parce que Mélenchon pointe du doigt ce qui apparait clairement aux yeux de qui veut voir : « le pouvoir ne contrôle plus la police, il en a peur. » (Entretien à Mediapart du 5 juillet)

* Parce que Mélenchon pointe du doigt les dangers : « D’interdiction en répression, de Pétain à Valeurs Actuelles, le chef de l’arc républicain entraîne la France dans un régime déjà vu. Danger. Danger. » (Tweet du 8 juillet) Oui, on se souvient, en novembre 2019, de Macron à la Une de Valeurs Actuelles, qui lui consacrait 12 pages, lorsque Geoffroy Lejeune dirigeait le journal…

La porte ouverte et le tapis rouge