De plus en plus réactionnaire !
Pour servir un projet d’asservissement de l’éducation et de la formation aux nécessités ultralibérales, l’ordre est un instrument nécessaire. Désormais le discours macronien en fait injonction à l’école. Retour sur les constantes et les évolutions du discours présidentiel.
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Dans l’interview qu’il vient d’accorder au Point[1], Emmanuel Macron expose une vision de l’école qui n’avait jamais été si clairement réactionnaire. Sa volonté de réunir une nouvelle majorité, pour remobiliser un « dépassement politique », fait le choix d’une vision de l’école fondée sur l’ensemble des poncifs invoqués depuis les années 1970 par la droite dure et l’extrême-droite : déclinisme, pédagogisme, perte de l’autorité, …
Les fondamentaux et la réussite scolaire de tous
Déjà la campagne présidentielle de 2017 affirmait la nécessité de renforcer l’apprentissage des fondamentaux. Rien de bien précis sauf la volonté de rassurer les visions conservatrices en reprenant la vieille antienne d’une droite toujours prête à dénoncer une école devenue incapable d’assurer les apprentissages de base. Les cinq ans de mandat ministériel de Jean-Michel Blanquer auront confirmé la tendance.
Rappelons que les évaluations internationales constatent que l’école française se situe dans la moyenne des résultats des pays de l’OCDE et que son défaut majeur n’est pas d’avoir renoncé à transmettre les savoirs fondamentaux mais d’être incapable de lutter contre les inégalités. Or les réformes de Blanquer, n’ont permis ni d’améliorer les résultats, ni de réduire les inégalités. Voilà 6 ans maintenant qu’on annonce que la politique mise en œuvre va « conjurer la fatalité » grâce au retour sur les fondamentaux… mais rien n’est venu en conséquence des profondes modifications pédagogiques engagées par Jean-Michel Blanquer qui viendrait accréditer la réalité positive de leurs effets.
Antipédagogisme et retour de l’autorité
Dès la rentrée de 2017, Jean-Michel Blanquer affirmait sa détermination face au pédagogisme qu’il dénonçait comme responsable d’un déclin de l’école française pour imposer un retour aux méthodes de lecture fondées sur l’apprentissage syllabique. Et voilà désormais que le président lui-même enfourche cette lutte contre le pédagogisme.
Le discours anti-pédagogiste reste le marqueur d’une droite conservatrice et réactionnaire qui, sans même vouloir analyser la réalité de l’école, sans s’intéresser aux relations réelles entre pédagogies et résultats, se vautre dans la lamentation idéologique du déclin. Peu importe ce que serait ou pas ce fameux pédagogisme, peu importe la réalité ou non de ses effets, l’essentiel est de disposer d’un objet fantasmatique, d’un ennemi commun que l’on doit combattre pour « rebâtir la France », nous assure le président. Et d’enchaîner sur le retour nécessaire de l’autorité dont Gabriel Attal avait déjà fait le cœur de sa première intervention de ministre de l’Education nationale.
Là encore, l’essentiel est de tenir un discours d’ordre face à une école qui aurait renoncé à l’autorité des maîtres et des savoirs. Peu importe la complexité d’un monde où la contestation de l’autorité des savoirs se joue essentiellement sur les réseaux sociaux et justement contre l’école. Peu importe que les enseignants soient les premiers à être attachés à l’autorité de leur fonction puisqu’elle est la condition même de l’exercice de leur mission éducative…
Peu importe la complexité de la réalité, il suffit d’affirmer, qu’à la rentrée prochaine, l’autorité sera restaurée. La réalité des effets d’une telle annonce importe peu : l’essentiel c’est d’affirmer son attachement idéologique à l’autorité. Ce n’est plus seulement une réaction d’après les émeutes de juin[2], c’est une idéologie qui s’installe. Lors de la campagne de 2017, le discours macronien avait une tonalité clairement différente des propos tenus alors par Fillon, Le Pen et Dupont-Aignan. L’écart s’est réduit. La question de l’autorité n’était pas absente des discours de Marseille, notamment avec le renforcement des pouvoirs des directeurs, mais elle n’était pas centrale. Elle est en train de le devenir dans un discours présidentiel qui donne désormais toute sa place à une stratégie de remise en ordre de l’école et affirme que « remettre de l’autorité à l’école » constitue un élément essentiel de la feuille de route de Gabriel Attal[3].
L’enseignement de l’histoire au service de la nation ?
Pour l’instant difficile de savoir ce qui sera en jeu dans une réforme des programmes d’histoire que le président annonce mais dont il ne dit rien… ou presque. Car l’annonce faite porte déjà une orientation : celle d’un enseignement qui doit redevenir chronologique. Faut-il rappeler au président que les batailles contre la vision diachronique étaient déjà en bonne partie dépassées quand il était élève de terminale et que les programmes actuels sont organisés de manière chronologique depuis plusieurs décennies ?
L’annonce d’une réforme de l’enseignement de l’histoire est faite indépendamment de sa réalité mais pour affirmer la nécessité d’une « reconstruction de la nation ». L’école démocratique fait pourtant un autre pari, celui de s’affranchir d’une instrumentalisation de l’histoire, assujettie pour servir des intentions politiques. Que l’école ait pour mission de transmettre les valeurs de la république et de la démocratie, celles de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, ne peut aucunement se confondre avec la volonté d’instrumentaliser l’enseignement de l’histoire. Va-t-on revenir aux tentatives de l’UMP en 2005 pour que soit inscrit dans la loi l’obligation faite aux enseignants d’enseigner le rôle positif de la colonisation[4] ? Et que dire de la lecture hebdomadaire « d’un grand texte fondamental sur nos valeurs » dont on voit bien qu’il est proposé comme un retour à l’enseignement républicain fondé sur un modèle moral ?
Là encore l’évolution est perceptible face au Macron de 2017 qui affirmait qu’enseigner l’histoire ne se limitait pas à enseigner des dates et argumentait la construction d’une culture d’appartenance nationale face aux risques d’une identité qui voudrait « replier la France sur la haine de l’autre, sur le fantasme d’un passé qui n’a jamais été[5]».
Laïcité : les « grands républicains » et les autres…
Quant à la laïcité, que serait une école que le président prône « sans aucune forme d’accommodements » ? Une école où « nous ne laisserons rien passer ». L’éducation est un art de l’accommodement, des compromis, de la patience à défaut de quoi elle renonce à ses fondements démocratiques pour lui préférer l’endoctrinement. La difficulté est de ne jamais confondre le compromis et le renoncement. Ce n’est pas en opposant des enseignantes et des enseignants qui seraient des « grands républicains » et ceux qui « considèrent qu’il faut faire des compromis » qu’il sera possible de les former face à cette difficulté.
A la crainte des professeurs de ne pas toujours être soutenus, Emmanuel Macron répond que depuis Blanquer le « pas de vagues » est terminé ! Un peu rapide…comme l’est la catégorisation entre les enseignants qui ne font pas assez bien leur travail qu’on doit sanctionner et ceux qui le font très bien qu’il faut encourager. Les visions réactionnaires du travail sont toujours très duelles.
Mens sana in corpore sano
« Un jeune dissipé apprend différemment si vous lui faites faire du sport ». Alors là, on tombe carrément dans les poncifs du Café du Commerce : cette vieille croyance qui pense que l’élève est dissipé parce qu’il aurait un trop plein d’énergie qu’il n’aurait pu évacuer. Une théorie de la cocotte-minute qui vient relancer la demi-heure de sport quotidienne à l’école primaire et qui dénature l’ambition de l’éducation physique et sportive pour la limiter à une régulation comportementale.
Ce primat du comportement corporel, on le retrouve dans les gadgets de l’innovation … parce que l’école réactionnaire se pare parfois des libertés innovantes du modernisme néolibéral. Celle par exemple de l’école flexible qui permet à l’élève d’assister à la leçon debout, assis ou à genoux parce que ça crée, nous assure le président, « un autre rapport au savoir ». Fini la formation didactique qui permettait aux enseignants de penser le rapport au savoir dans l’organisation même des apprentissages. Aux oubliettes, le questionnement des rapports sociaux qui rendent difficiles aux enfants des classes populaires, l’appropriation de l’écrit et la perception des enjeux intellectuels des apprentissages scolaires…
En finir avec les hypocrisies …
C’est sans doute la partie du discours la plus corrélée aux intentions essentielles du président. On y apprend qu’il faut renoncer à deux hypocrisies essentielles de l’école française : le choix de son métier et la démocratisation de l’accès aux études supérieures. Enfin plus exactement qu’il faut que les jeunes des classes populaires y renoncent pour accepter « une offre de formation en fonction des besoins en emploi dont la nation a besoin ». Au passage, le président n’hésite pas à considérer que les besoins des entreprises se confondent avec les besoins de la nation !
Et pour servir un tel projet d’asservissement de l’éducation et de la formation aux nécessités ultralibérales, l’ordre est un instrument nécessaire. Désormais le discours macronien en fait injonction à l’école.
[1] Le Point, mercredi 23 août 2023
[2] Par exemple, celle du discours télévisé du 24 juillet 2023
[3] Interview dans Le Figaro, 2 août 2023
[4] Loi du 23 février 2005 (article 4). Cette notion a été supprimée lors d’une modification en 2006
[5] France Culture, 2 mars 2017
P. Devin ; sur son blog hébergé par mediapart