Le numéro 13 est sorti
Le collectif Ruptures est né dans le cadre de la lutte contre le pass sanitaire, lors de la pandémie de Covid-19. A l’époque, en janvier 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait fait entrer le monde entier en « état d’urgence de santé publique de portée internationale ». Pour faire face à l’épidémie, l’OMS privilégiait une gestion de la santé publique essentiellement binaire : on était en état d’urgence ou on ne l’était pas, on était confiné ou on ne l’était pas, on était soumis à l’obligation vaccinale ou on ne l’était pas. Une approche laissant peu de place aux différences entre les pays ou aux différences entre l’état de santé des individus. La réponse à la pandémie était centrée essentiellement sur l’industrie pharmaceutique (les vaccins) et, urgence oblige, visait à traiter les conséquences de l’épidémie et non ses causes.
Si l’OMS a mis fin à l’état d’urgence planétaire pour le Covid-19 en mai 2023, on retrouve cette façon binaire de gérer la santé publique dans bien d’autres cas. Dans ce nouveau numéro de La nouvelle vague, nous avons choisi de traiter de l’obésité, nouveau sujet d’inquiétude de l’OMS en 2022. Dans ce cas comme dans le cas du Covid, les solutions de l’industrie pharmaceutiques sont privilégiées au détriment des conditions de vie des populations. Des indicateurs chiffrés simplistes appliqués aux individus du monde entier sont privilégiés au détriment de l’état de santé général des individus.
Pour notre part, nous n’aimons pas plus la pensée binaire que la façon autoritaire dont les macro-systèmes essaient de gérer nos vies. Nous proposons donc ici une critique de la gestion technocratique du « problème de l’obésité » à travers la catastrophe du Mediator et du GLP1.
Bonne lecture.
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SOIGNÉ À EN MOURIR
LE MEDIATOR, PROCÈS D’UN SCANDALE SANITAIRE
Du 9 janvier 2023 au 8 juin 2023, le procès en appel du Mediator a eu lieu dans un tribunal quasiment vide de journalistes. Le nombre de Unes nous incitant à faire un régime avant l’été est sans commune mesure avec le nombre de Unes relatant ce procès pourtant essentiel.
Le Mediator est un médicament qui a été vendu de 1976 à 2009 par les laboratoires Servier, d’abord comme antidiabétique puis comme coupe faim. Ces laboratoires ont commercialisé ce médicament alors qu’ils disposaient, au moins depuis 1995, de suffisamment d’éléments pour prendre conscience des risques mortels du Mediator. En effet, ce médicament libère une fois dans le corps un métabolite, le norfenfluramine, qui a un effet coupe-faim mais qui cause des valvulopathies et de l’hypertension artérielle pulmonaire. Concrètement : les patients se noient dans leur sang. Dès 1995, la molécule présente dans le Mediator (le benfluorex) a été interdite dans les préparations amaigrissantes en raison de ses risques cardiovasculaires. Pourtant le Mediator a continué à être commercialisé par les laboratoires Servier.
De nombreux médecins (comme Georges Chiche à Marseille en 1999) et des publications (notamment dans la revue Prescrire dès 1986), ont alerté sur les effets secondaires du Mediator. Pourtant, les laboratoires Servier ont maintenu ce produit sur le marché jusqu’en 2009 avec l’aval des autorités sanitaires françaises. Ce n’est qu’en décembre 2009, au terme de trois années de combat acharné d’une pneumologue brestoise, Irène Frachon, que le Mediator a été enfin interdit.
Pendant les 33 ans où le Mediator a été commercialisé, il a été prescrit à plus de 5 millions de personnes en France, majoritairement des femmes de plus de 40 ans et d’origine modeste. Il aurait entraîné la mort de 1520 à 2100 personnes en France (d’après les expertises judiciaires), et fait des nombreuses victimes (environ 5000), souffrant de valvulopathie et d’hypertension artérielle pulmonaire, dont plusieurs ont dû subir une greffe voire une double greffe des poumons.
Malgré ces effets secondaires gravissimes, le tribunal correctionnel de Paris a condamné en première instance le groupe Servier à payer 2,7 millions d’euros seulement : l’équivalent de 1,7 % du bénéfice net du groupe sur le seul Mediator sur la période où il est prouvé que Servier était au courant des effets secondaires du médicament (1994-2009). Le coût pour la Sécurité sociale des effets secondaires du Mediator a, lui, été chiffré à plus d’un milliard d’euros.
Avec le Mediator, les laboratoires Servier n’en étaient pas à leur coup d’essai, puisqu’ils avaient déjà commercialisé auparavant l’Isoméride. Cet autre médicament coupe-faim, mis sur le marché en 1985 en France, avait été prescrit à 7 millions de Français, principalement des femmes soucieuses de perdre du poids. Tout comme dans le cas du Mediator, de nombreux médecins et publications scientifiques avaient alerté sur les effets secondaires de ce médicament (dès 1990). Pourtant, ce n’est qu’en 2004 que l’autorisation de mise sur le marché a été retirée définitivement à l’Isoméride en France.
Et pendant ce temps, en parallèle de ces scandales sanitaires, Servier, le patron des laboratoires du même nom, était célébré par les gouvernements français de droite comme de gauche : en 1983, il est décoré de l’ordre national du mérite par Mitterrand ; en 1987, il est fait chevalier de la légion d’honneur par Philippe Seguin ; en 1992, il est nommé commandeur de la légion d’honneur par DSK ; en 1997, il reçoit la médaille d’or du progrès ; en 2009, il reçoit la grande croix de la légion d’honneur par Sarkozy.
D’un scandale à l’autre
On pourrait croire que cette histoire appartient au passé. Mais l’industrie pharmaceutique n’a pas renoncé à mettre sur le marché des traitements médicamenteux pour « soigner » l’obésité.
Ainsi, après les molécules d’amphétamine légèrement modifiées (comme le Mediator ou l’Isoméride), les laboratoires pharmaceutiques misent maintenant sur les molécules analogues au GLP-1 (« glucagon-like peptide »). Le GLP-1 est une hormone digestive naturellement présente dans le corps qui stimule la production d’insuline. Elle a une autre propriété : elle ralentit la vidange de l’estomac et diminue l’appétit.
Tout comme dans le cas du Mediator et de l’Isoméride, ces molécules analogues au GLP-1 ont d’abord été commercialisées comme anti-diabétiques, avant d’obtenir des autorisations de mise sur le marché comme amaigrissants. Ainsi, le laboratoire Novo Nordisk a mis sur le marché :
– le liraglutide, sous le nom de Victoza lorsqu’il est utilisé comme anti-diabétique, et sous le nom Saxenda, lorsqu’il est utilisé pour perdre du poids. Ce médicament peut être utilisé à partir de 12 ans ;
– le semaglutide, commercialisé sous le nom d’Ozempic, lorsqu’il est utilisé pour traiter le diabète de type 2 et sous le nom Wegovy, lorsqu’il utilisé pour aider à la perte de poids.
Le laboratoire Eli Lilly a quant à lui déjà mis sur le marché son antidiabétique, le tirzepatide (commercialisé sous le nom de Mounjaro), qui est actuellement en traitement accéléré par la FDA pour pouvoir être commercialisé pour la perte de poids (probablement avant la fin de l’année 2023). Les analystes financiers estiment que les ventes mondiales de ce médicament pourraient atteindre 4,7 milliards de dollars d’ici 2024. Ce médicament a déjà des effets secondaires identifiés (nausées notamment) et il ne peut être arrêté sous peine de reprendre les kilos perdus.
Ce genre de procédure accélérée permet-il d’évaluer correctement les effets secondaires de ces produits et la balance bénéfice-risque pour ceux qui les ingèrent ?
Par ailleurs, si l’OMS ou le Sénat alertent sur la diminution d’espérance de vie liée à l’obésité (les personnes en surpoids perdraient en moyenne un an d’espérance de vie apprend-on sur le site du Sénat), la diminution d’espérance de vie liée aux traitements amaigrissants est rarement évaluée.
premier texte (Vivre à l’ère du pass, 2021, lisible sur notre site) nous affirmions à propos de la pandémie qu’il fallait s’en prendre aux causes plutôt que d’opter pour une fuite en avant technologique. Eh bien, dans le cas de l’obésité, plutôt que de mettre sur le marché, à la va-vite, des traitements médicamenteux parfois peu efficaces et souvent dangereux, il serait préférable de modifier les conditions structurelles qui favorisent la prise de poids des individus. Notamment :
– le développement de l’industrie agroalimentaire, de la nourriture transformée, la dégradation des qualités nutritives de notre alimentation, l’invasion de sucre dans notre alimentation ou encore le prix des fruits et légumes ;
– nos vies trop sédentaires : avoir un emploi de bureau, rester assis 8 à 10 heures par jour devant un ordinateur, devoir aller au boulot en voiture parce qu’on habite à 30 km de notre lieu de travail où on ne peut pas se loger parce que l’immobilier est trop cher…
Tout dans nos conditions de vie favorise la prise de poids, et pourtant notre société voue un culte à la minceur, aux corps éternellement jeunes et productifs. Les winners entretiennent leurs corps, font du sport, sont actifs, mangent sain, bio et local. Le corps-machine doit être entretenu pour être toujours performant. Quel que soit notre âge, quelle que soit notre corpulence, le nombre d’enfants qu’on ait eu, le métier qu’on exerce, notre niveau de vie, on doit avoir le corps d’un adolescent de 17 ans, svelte et sportif, sous peine d’être non seulement culpabilisé (on se nourrirait mal, on ne ferait pas attention à notre santé), mais également discriminé : être gros, c’est savoir que dans toute interaction sociale, cette caractéristique pourra nous être jetée à la figure comme une insulte, c’est aussi subir des discriminations dans le travail, du harcèlement à l’école, des maltraitances médicales… Le gros est un poids pour la société.
Dans son livre Grossophobie (éditions MSH, 2021), Solenne Carof écrit que les stigmatisations que subissent les personnes corpulentes sont liées aux représentations sociales qui associent la grosseur à certains caractères comme la fainéantise, la bêtise, la passivité, l’immoralité ou le manque de volonté. Ces représentations sociales ont été renforcées par les médias qui survalorisent la minceur et « par la médicalisation de l’obésité au XIXème siècle qui a légitimé la croyance que les personnes grosses étaient responsables de leur poids au détriment des facteurs biologiques, psychologiques ou sociaux. (…) Au XXème siècle, l’importance prise par la norme de minceur et le développement d’un capitalisme qui valorise l’entreprenariat de soi-même ont amplifié le rejet des personnes grosses, jugées incapables de “se contrôler” et de “se prendre en main” en particulier lorsqu’elles sont défavorisées. Les inégalités pondérales sont ainsi moralisées et les inégalités qui les sous-tendent naturalisées ».
Tout citoyen est un malade chronique qui s’ignore
En tant qu’individu, on est pris en étau entre la difficulté d’avoir une vie saine et l’industrie de la santé qui établit des normes, et qui pathologise tout déviant par rapport à ces normes.
Ainsi, l’Union européenne a classifié l’obésité en « maladie chronique » en 2021. L’OMS de son côté multiplie les communications alarmistes sur les risques liés à l’obésité et sur l’« épidémie » de surpoids et d’obésité, indiquant notamment sur son site internet qu’« en 2016, plus de 1,9 milliard d’adultes étaient en surpoids. Sur ce total, plus de 650 millions étaient obèses ».
S’il est vrai que l’obésité morbide augmente statistiquement le risque de mourir prématurément et de développer certaines maladies (risques cardiovasculaires, diabète, troubles musculo-squelettiques, cancers…), la plupart des commentateurs relaient ces chiffres de l’OMS sans vraiment expliquer à quoi ils correspondent (et Ruptures ne fait pas exception à la règle, voir l’éditorial de La nouvelle vague n°5, mars 2022), laissant parfois imaginer que ces 1,9 milliard d’adultes en surpoids (soit près d’un tiers de la population mondiale) sont tous des malades chroniques, voués à des décès prématurés et des pathologies liées à l’obésité.
En réalité, l’OMS considère qu’un individu est en surpoids lorsqu’il a un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 25, et qu’un individu est obèse lorsqu’il a un IMC supérieur à 30. Pour donner un ordre d’idée, si on mesure 1m60, à partir de 65 kg on est considéré comme en surpoids, et à partir de 77 kg, on est considéré comme obèse par l’OMS. Ce ne sont pas les poids qu’on imagine lorsque l’on parle d’obésité.
L’IMC a été inventé par le mathématicien Adolphe Quetelet, vers 1840, qui cherchait à l’époque à définir simplement ce qu’était un homme moyen. Si cet indicateur peut fournir des informations statistiques et des tendances, il est loin d’être suffisant pour définir l’état de santé d’un individu. Il ne tient notamment pas compte du sexe, de l’âge, de la répartition des tissus adipeux, de la masse musculaire, de l’évolution du poids, du fait d’avoir eu des enfants ou pas, de l’origine ethnique… Pourtant, tout individu qui a un IMC supérieur à 30 est considéré comme malade et sommé de se soigner.
L’OMS a pourtant été accusée d’avoir adopté cet indicateur en 2000 sous l’influence d’un lobby (l’IOTF) financé par l’industrie pharmaceutique, et notamment par les entreprises Roche et Abbott qui vendent des médicaments amaigrissants, respectivement le Xenical et le Reductil.
Il est en effet avantageux pour l’industrie pharmaceutique de transformer autant d’individus que possibles en malades chroniques, anxieux, avides de régler leur « problème » par un traitement médical à prendre de façon régulière (de préférence toute leur vie). Outre de coquets bénéfices, cela lui permet de prétendre améliorer le monde et aider les gros à se « soigner ». L’obèse n’est pas rentable. Seul le traitement de l’obésité peut l’être. Le journal Le Monde (18/11/2022) estime ainsi que le marché de l’obésité représentera 43,5 milliards d’euros en 2030. Au Danemark, les ventes du traitement anti-obésité de l’entreprise Novo sont tellement importantes que la banque centrale a dû intervenir pour compenser la hausse de la monnaie danoise. La capitalisation boursière de Novo est déjà quasiment égale au PIB de tout le pays.
L’industrie pharmaceutique pathologise le surpoids, le capitalisme dégrade nos conditions de vie, tout en survalorisant les corps minces et les individus actifs et performants. Cette double-pensée nous écartèle jusqu’au mal-être et à la folie : nous devons à la fois faire comme ci et comme ça. Cela demande un surcroît de rigueur pour résister à la culpabilité et à la détresse.
Alors, au lieu de reporter sur nos petits corps fragiles les injonctions d’un système asservissant, pourquoi ne pas essayer ensemble de penser et combattre les deux côtés des crocs ?
La décision de la cour d’appel de Paris relative au Mediator sera rendue le 20 décembre 2023.
Sources :
The Conversation : https://theconversation.com/mediator-un-proces-dans-lindifference-un-sca
Zone Bourse : https://www.zonebourse.com/cours/action/NOVO-NORDISK-A-S-1412980/actualite/Eli-
NN Academy : https://www.nnacademy.fr/ressources/comprendre-le-glp-1.html ; Who : https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/obesity-and-overweight .
Pour aller plus loin
Irène Frachon, Éric Giacometti, François Duprat, Mediator, un crime chimiquement pur, Delcourt, 2023 (bande dessinée)
Emmanuelle Bercot, La fille de Brest, 2015 (film)
Gabrielle Deydier, Laurent Follea, Valentine Oberti, On achève bien les gros, 2019 (film documentaire)
Gabrielle Deydier, On ne naît pas grosse, éditions Goutte d’or, 2017 (livre)
Stéphanie Pihéry, Mon corps opératoire : une dérive bariatrique, podcast sur https://rts.ch.
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Vagues nouvelles
Liaison dangereuse
Le 28 septembre, les élites locales se donnent rendez-vous au Palais des Sports de Grenoble pour célébrer les 50 ans de la multinationale STMicroelectronics, issue d’ue start-up créée par des chercheurs du CEA en 1973. Le but de cet anniversaire : célébrer la liaison université-industrie, les profits privés sur fonds publics et se prosterner devant le culte du Progrès technologique. Le collectif STopMicro appelle à perturber cette cérémonie honteuse. Rendez-vous à 18h devant le Palais des Sports avec casseroles, pistolets à eau et bonnes idées taquines ! Plus d’infos sur le site https://stopmicro38.noblogs.org
Grenoble ne peut pas accueillir tous les ingénieurs du mondeDans le cadre de L’Autre Rentrée, une rencontre-débat autour de la désertion des ingénieurs et chercheurs aura lieu vendredi 6 octobre. En présence de Anne Humbert (auteure de Tout plaquer, ed. Le monde à l’envers, 2023) et de Olivier Lefebvre (Lettre aux ingénieurs qui doutent, ed. L’Échappée, 2023). 18h30, Université autogérée, 921 rue des Résidences, campus de Grenoble. Débat suivi d’un repas.
https://collectifruptures.wordpress.com/2023/09/26/la-nouvelle-vague-numero-13/