par « Simples citoyens »
Nous sommes aujourd’hui 6,1 milliards sur terre. Nous serons 12 milliards à la fin du siècle. 20% des terriens consumment 80% des ressources. Si nous vivions tous selon l’american way of life , il nous faudrait cinq planètes comme la nôtre. Si nous vivions tous à la française, il nous en faudrait trois. Chaque enfant né dans un pays industrialisé consomme et pollue durant sa vie, trente à cinquante fois plus qu’un enfant d’un pays rural. Il y a trop de riches et l’occident est la bourgeoisie du monde. Vivrions-nous tous à l’africaine, que cette planète n’y suffirait pas. Depuis 1980, nous consommons plus de ressources que la terre n’en peut reproduire. Nous sommes trop nombreux et nous devons réduire notre population. Outre le ravage des ressources et du milieu, la surpopulation déchaîne la guerre de tous contre tous, l’émergence de la tyrannie et la fuite en avant techno-totalitaire.
La bonne nouvelle c’est que globalement, les taux de natalité s’effondrent sous l’effet combiné de la grève des ventres, et de l’infertilité provoquée par l’accumulation de polluants chimiques dans nos organismes.
La mauvaise c’est que grâce aux multiples techniques de procréation artificielle, nos technarques pourront bientôt produire de la chair humaine à volonté. Les progrès de l’automation « intelligente » devraient ensuite leur permettre de se passer d’une humanité serve, devenue superflue. Enfin, l’avènement de la « Vie Artificielle », à laquelle ils travaillent déjà, les délivrera de la peine de vivre par eux-mêmes.
Revenons au grand banquet de la Nature. Supposons résolue la Question Sociale, les clôtures arrachées, les fruits à tous et la terre à personne. Broutilles. Cette Terre n’en reste pas moins une île, ses fruits rationnés. On connaît en gros les chiffres : 41 années de réserves de pétrole au rythme de consommation actuel (Statistical Review of World Energy), 70 années de gaz (GDF), 55 années d’uranium (Commission des communautés européennes). Mais à quoi bon s’inquiéter de l’épuisement des gisements, quand les sols fertiles disparaissent et que déjà, l’eau nous manque ?
Supposons même une humanité frugale de jardiniers végétariens. L’île reste une île, de même taille et de moindres ressources qu’à l’âge d’abondance, voici un million d’années, quand 125 000 de nos ancêtres parcouraient l’Eden primitif. Nous êtions un million il y a 100 000 ans, 5 millions il y a 10 000 ans, et le Jardin avait déjà perdu de sa luxuriance et de sa variété. Il n’y a jamais eu de bons sauvages. Bien avant l’industrie et l’arrivée de l’homme blanc, de nombreuses espèces avaient péri en Australie, Nouvelle-Zélande, Hawaï et Madagascar, sous la hache de pierre des peuples aborigènes. L’Amérique du Nord perdit ainsi 73% de ses grands mammifères (mammouth, glyptodontes, paresseux géants, chevaux), et l’Amérique du Sud, 80%. Ce n’est que le massacre accompli, ou dans des milieux particulièrement résistants (l’Amazonie par exemple), qu’émerge cette gestion religieuse de la nature, qui émeut tant la sensibilité urbaine contemporaine.
Trop tard. Au XVIIe siècle, les chasseurs-cueilleurs du Canada paient ainsi leurs carnages passés. » Pendant les beaux jours, les indiens se rassemblent afin de prendre des anguilles, des mollusques et les poissons des côtes ; ils se hasardent en haute mer ou d’île en île à la chasse aux cétacés. Avec les neiges, ils se dispersent et rôdent en forêt, piégeant ici et là le petit gibier et poursuivant l’élan, le cerf et le caribou. Les femmes ramassent des racines et des baies sauvages, quelquefois cultivent du riz sauvage, et, au printemps, préparent les sirops d’érable. La famine n’épargne pas ces petites bandes disséminées sur des espaces considérables ».
L’apparition de l’agriculture, voici 10 000 ans, est rien moins que cette merveille chantée par Hésiode et Virgile. Elle se traduit par l’introduction du travail , de la division du travail (entre hommes et femmes par exemple), de la stratification sociale (entre masse et dirigeants), d’une nourriture appauvrie pour le plus grand nombre, d’épidémies dans une population plus nombreuse, sédentaire et concentrée, de famines en cas de mauvaises récoltes, d’une dégradation sanitaire générale et d’une augmentation de la mortalité .
Si l’humanité adopte l’agriculture c’est qu’elle permet de nourrir -mal – une plus grande population concentrée sur un territoire donné. » Dix paysans mal nourris sont néanmoins plus forts qu’un seul chasseur en bonne santé. « Les paysans repoussent les chasseurs-cueilleurs vers les déserts et les forêts, ou les exterminent. » Forcés de choisir entre limiter la croissance de la population humaine ou accroître la production alimentaire, nous avons opté pour le second terme de cette alternative. » (Jared Diamond, opus cité)
En somme l’agriculture change la Qualité de vie des chasseurs-cueilleurs en Quantité de vie des éleveurs-agriculteurs. Quel intérêt y-a-t-il à avoir plus de vie, plutôt que des vies meilleures ? Un gain de puissance du groupe sur les autres, essentiellement au profit de la chefferie. Le collectif gagne, les individus perdent. Les simples membres sacrifient leur bien-être et leur liberté à l’idole collective dans laquelle ils se fondent et se reconnaissent, et que la chefferie représente. C’est le début de la métaphore du corps social, organisme totalitaire avec sa tête ( caput : le chef) et ses membres (le peuple, le nombre). Les agro-despotes instaurent ce règne de la quantité qui nous écrase plus que jamais. Critiques de la société industrielle, encore un effort pour atteindre la bienheureuse cohérence : abolissons l’agro-collectivisme.
Le groupe, c’est le champ-clos. La promiscuité engendre le frottement et le frottement l’irritation. Cette irritation a un objet, la rivalité mimétique, la prédominance dans le groupe. Des primatologues au cœur sensible ont été bouleversés par l’observation de lynchages et d’exterminations chez les grands singes. La lecture des mythes et des textes sacrés ne laissent aucun doute sur la routine du meurtre collectif au sein de la horde primitive, ni de l’ethnocide de groupe à groupe. Sans parler de la louche affaire de Néanderthal, nos archives écrites regorgent d’assassinats collectifs et d’éradications ethniques, dans des sociétés agraires, tribales, n’ayant pas même atteint le stade étatique. Chez les Tupinamba par exemple, bien connus des voyageurs dés l’époque de Montaigne, et qui pratiquaient en tout droit à la différence, le sacrifice humain. Quitte à désespérer les Cévennes, il faut reconnaître que la violence archaïque des sociétés vernaculaires et traditionnelles, n’a rien à envier à la violence contemporaine des sociétés technologiques. Partout les peintures rupestres témoignent du meurtre et du massacre chez les chasseurs-cueilleurs : étranglements, corps percés de flèches et de sagaies.
Il a même été récemment prouvé – dans un pays d’ailleurs surpeuplé-, que pourvu d’une bonne administration (en l’occurrence d’origine européenne, mais rien ne dit qu’une organisation de type autochtone eut été moins performante), une arme aussi primitive que la machete ne le cédait en rien aux gaz en termes d’efficacité. Nous tous, êtres humains, sommes les enfants des mauvais sauvages qui exterminèrent non seulement quantités d’espèces animales, mais leurs semblables. Reste pourtant une différence avec nos aïeux.
» Quand on compare la vie sociale de l’homme moderne avec celle de ses ancêtres du néolithique, on constate que certains moyens de fuite ou de lutte lui sont interdits. Quand deux animaux de la même espèce ou d’espèces différentes entrent en compétition dans un environnement naturel, soit au sujet d’un territoire, soit au sujet d’une femelle, l’un d’eux finalement cède et s’éloigne : il s’agit d’une « entente mutuelle sur une réaction d’évitement ». Le phénomène est courant chez le gorille. Quand les animaux ne peuvent s’éviter, quand ils sont en cage par exemple, la compétition se termine souvent par la mort de l’un d’eux ou par la soumission du vaincu. Une hiérarchie s’établit. Chez l’homme le même phénomène apparaît. Chez les tribus primitives « l’évitement mutuel » était encore possible et les allées et venues d’individus ou de groupes sont toujours observables chez les Boshimans. Il est devenu impossible dans nos sociétés modernes. Les lieux de travail, la cité et la maison familiale sont des lieux de réunion entre individus où la promiscuité est inévitable et où la dépendance économique crée des liens de soumission qui rendent impraticable la « réaction d’évitement mutuel ». Il s’agit d’une cage analogue à celle où l’on peut enfermer deux gorilles. Les rapports de production ne sont pas les seules bases antagonistes capables de survenir dans ce cas et les rapports de dominance peuvent être aussi une raison « d’évitement mutuel ».
Quand il n’existe pas d’échappement possible à l’agression psychosociale, poursuit Henri Laborit, un etat dépressif est souvent constaté. Il s’ensuit toutes sortes d’évasions artificielles, alcoolisme, toxicomanie, tranquillisants (inventés par ce même Laborit), télévision, réalités virtuelles. La dépression résulte de l’oppression. L’alternative à la dépression, c’est l’expression ; l’explosion sous sa forme extrême. Ainsi le phénomène d’ amok dans les villages surpeuplés d’Indonésie, lorsqu’un tueur fou, possédé d’une force surhumaine et d’une irréelle résistance aux blessures, court en hurlant et sabrant tout sur son passage. L’anthropologue Ruth Benedict a décrit ce dressage des Japonais au repli dans quelque vide intérieur, pour supporter la pression collective, et leur potentiel d’explosion quand se détend le ressort. Sans doute faut-il ranger dans cette catégorie les meurtres commis en Occident par des individus réagissant au bruit , et les massacres accomplis par des solitaires, explosant sous la pression de mass media (radio, télé, Internet), relayant à domicile le harcèlement social. Que ces meurtriers puissent être par ailleurs misanthropes ou racistes, mais pas forcément, ne changent rien au fait que leur point de rupture se situe là, où la « réaction d’évitement mutuel » devient impossible. Le bruit et la panique mass-médiatique sont les nuisances les plus invasives, les plus obsédantes, les plus invincibles qui assaillent à l’heure actuelle l’homme quelconque. On retrouve ce facteur nombre dans ce que les urbanistes ont nommé « grands ensembles », et leurs habitants, clapiers. Qui peut bien habiter un clapier, sinon une population nombreuse, vouée par ses éleveurs à une reproduction fructueuse et frénétique ? Lapins, lapinisme : gros bataillons, grande industrie, hypermarchés.
Au fond, pourquoi déplorer la surpopulation carcérale si l’on ne croit pas aux méfaits de la densité ? Les racistes du Lebensraum ont du moins la logique pour eux quand ils s’approprient « l’espace vital » et ses ressources. La terre, l’eau, la paix. On pourrait dire biotope, si le mot ne puait déjà la charognerie ethnique, le sang et le sol, tel peuple naturellement pour tel lieu. Etrange inconséquence cependant, que de remplir notre cage des longitudes et des latitudes, tout en protestant contre l’idéologie concentrationnaire, ou la pulsion exterminatrice. Comme si la raréfaction des ressources n’allait pas fouetter la lutte pour la domination : la loi du plus fort.
La terre, elle, ne ment pas. Mésopotamie, Rome, ïle de Pâques, Nouveau-Mexique, Petra, autant de lieux communs du désastre agro-démographique. Meso-potamos , dans ce pays « entre les fleuves », le défrichage et l’irrigation ont changé un verger forestier en désert salé. Rome, au fur et à mesure de sa croissance a épuisé les sols du Latium, d’Italie puis d’Afrique du Nord, afin de nourrir sa population. Vers 1500, la population de l’île de Pâques atteint 60 habitants au kilomètre carré, mais la destruction de la forêt pour édifier les gigantesques moas entraînent la famine et la terreur. Plus d’arbres, plus de pluie, plus de récoltes, plus de canoës, plus de pêche. « La société insulaire s’effondra dans les atrocités d’une guerre d’auto-extermination, où le cannibalisme tint sa part. Une caste guerrière se mit à dominer ; les pointes de lance, fabriquées en énormes quantités, vinrent à joncher le pays ; les vaincus étaient mangés ou réduits en esclavage ; les clans rivaux renversèrent réciproquement leurs statues et les habitants se réfugièrent dans les grottes pour se protéger. »
Les Anasazi du Nouveau Mexique cultivaient le maïs, la courge, les haricots, le coton, le tabac. Leur domination à la fin du XIe siècle s’étend du sud du Nevada au centre du Nouveau Mexique, et du nord de l’Arizona au sud de l’Utah. Ils bâtissent des villages troglodytes en utilisant la forêt alentours comme bois de charpente et de chauffage. Ils bâtissent un désert. La déforestation accroit l’érosion et la déperdition d’eau, les canaux d’irrigation se transforment en ravins. Le niveau de la nappe phréatique baisse hors de portée. Comme ceux d’Ourouk et de Babylone, les habitants de Chaco Canyon et autres pueblos guerroient contre les nomades chasseurs-cueilleurs (Apaches en l’occurrence). Ils aspirent à l’empire par le nombre. Dans leurs forteresses closes, le trop-plein favorise la rivalité mimétique et l’exutoire belliqueux. « Il s’agissait de canaliser les tensions et d’orienter l’agressivité des jeunes. Pour les anciens, la jeunesse ne respirait que la guerre. C’était un moyen privilégié de reconnaissance sociale et d’acquisition de prestige. Guerres et rituels religieux étaient indissociables. »
Petra, en Jordanie, contrôle vers 500 avant JC les échanges entre l’Europe, l’Arabie et l’Orient. L’explosion démographique à l’époque des empires (Rome, Byzance), amplifie la déforestation et le surpâturage.Les vergers et la ville elle-même nécessitent de complexes systèmes de canaux et de citernes. De Petra, Chaco, Pâques, Sumer, des anciennes cités du pourtour méditerranéen, il ne reste que des champs de fouilles, dont nos technarques n’ont rien appris. De Babel aux Twin Towers, les prophètes de malheur n’ont pourtant pas manqué.
Quand Malthus, en 1798, publie son Essai sur la population , la Terre compte moins d’un milliard d’hommes. « On crédite Malthus d’avoir, le premier, formulé l’hypothèse selon laquelle la population pourrait augmenter au delà d’un point critique. Avant lui, pourtant, Condorcet, l’un des grands penseurs des Lumières en France, avait émis l’idée que la croissance démographique pourrait conduire à « une diminution continue du bonheur » et posé les fondements du « scénario » malthusien, en envisageant une « augmentation du nombre des hommes surpassant leurs moyens de subsistance » dont résulterait « ou bien une diminution continue du bonheur et de la population, dans un mouvement vraiment rétrograde ou, au moins, une sorte d’oscillation entre le bien et le mal. »
Emballé par l’analyse de Condorcet, Malthus reconnut sa dette en citant son inspirateur, dans son célèbre essai sur la population. »
Sadi Carnot en formulant le second principe de la thermodynamique, nommé « principe d’entropie » depuis le concept introduit par Clausius en 1867, nous a livré la raison de cette » diminution constante du bonheur ». « l’énergie du monde est constante, l’entropie du monde tend à une valeur maximale. »
La Terre, mis à part l’énergie solaire (encore disponible pour six milliards d’années), est un vase clos de matière et d’énergie voué à une déperdition irréversible (l’entropie). Une fois que l’on a transformé l’eau en vapeur, le sol en poussière, le pétrole en fumée, l’uranium en déchet radioactif, cette énergie et cette matière deviennent non seulement inutilisables, mais nuisibles à l’espèce humaine. Nous avons mangé la Terre.
Jusqu’en 1750, un demi-siècle avant l’ Essai sur les populations , les famines, les épidémies et les guerres freinent la croissance démographique. » A partir de 1750, sous les effets de la révolution industrielle (…) son augmentation est devenue exponentielle. »
1750 : 750 millions de terriens. 2003 : 6,1 milliards. 2100 : 12 milliards. Cette multiplication alimente l’exode rural. L’industrie change la qualité de vie ( ?) des paysans, en quantité de vies ouvrières. Les hygiénistes (Villermé), les philanthropes (Lamennais), les écrivains (Zola) témoignent des conditions sous-humaines auxquelles les capitaines d’industrie réduisent le prolétariat urbain. L’historien Louis Chevallier a décrit dans « Classes laborieuses et classes dangereuses » , l’entassement des faubourgs, les ravages du choléra et les famines du chômage. Remplacez Manchester par le Guandong, les taudis du nord par les bidonvilles du sud, vous aurez la transposition du capitalisme initial à la mondialisation terminale.
Claude Jacquier, chercheur en sciences sociales, ex-élu et membre des Verts à Grenoble. » Les Chinois nous demandent comment faire face à leur fort exode rural, au retour au pays de la diaspora, et à la forte immigration indienne, coréenne, etc, qui va arriver chez eux. Sachant que la France a dû relever le même défi dans les années 60. En Chine, 27% de la population habite en ville (en France : 80%). Si on prend le même ratio qu’en France, où on construisait environ 400 000 logements par an dans les années 60 et 500 000 dans les années 70, cela correspond à la construction de douze millions de logements par an en Chine. »
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