On marche sur la tête

Deux syndicalistes arrêtés

Ils auraient fait « l’apologie du terrorisme » dans un tract de soutien à la Palestine

C’est une mise au point qu’il n’avait sans doute jamais imaginé devoir faire. « L’organisation CGT n’est pas liée au terrorisme. Et n’est pas pour le terrorisme ! » Voilà ce qu’a déclaré Jean-Paul Delescaut, le secrétaire départemental de la CGT du Nord, en sortant ce vendredi midi du commissariat central de Lille.

Il y a passé sept heures en garde à vue, entendu pour « apologie du terrorisme » et « incitation à la haine », dix jours après la publication d’un tract de soutien à la Palestine, dont un passage évoquant « les réponses » aux « horreurs de l’occupation illégale » avait déjà justifié une interdiction préfectorale de manifester.

Une secrétaire administrative de l’union départementale CGT (UD CGT 59), également placée en garde à vue, est ressortie à la mi-journée, en même temps que le responsable syndical. Leurs interpellations, à l’aube à leur domicile, ont suscité l’indignation.

À 6 heures du matin, ce sont des « unités d’intervention spéciales composées de fonctionnaires de police cagoulés » qui se sont présentées chez Jean-Paul Delescaut, dénonce l’UD CGT 59 dans un communiqué publié vendredi soir. Elle pointe un « menottage humiliant et violent » et s’interroge sur « les moyens utilisés par le gouvernement et le ministère public de Lille [qui] relèvent de l’antiterrorisme ». Pour la CGT du Nord, il s’agit là d’une « opération politico-judiciaire » visant « à criminaliser l’action syndicale ».

« Il a été interpellé comme un criminel », abonde Ioannis Kappopoulos, l’avocat du syndicaliste, qui ajoute que la garde à vue s’est ensuite déroulée de manière « très courtoise et très respectueuse ». Il indique que son client n’est, à ce stade, « pas poursuivi ».

Un signalement au parquet ?

Comme Mediapart l’a détaillé récemment, le délit d’apologie de terrorisme consiste à présenter des actes de terrorisme, ou leurs auteurs, sous un jour favorable. Il est puni de cinq ans de prison – sept ans s’il a été commis sur Internet. Sollicité par Mediapart, le parquet de Lille a confirmé avoir ouvert une enquête « sur les faits d’apologie publique d’un acte de terrorisme commise au moyen d’un service de communication au public en ligne » et « provocation publique à la haine ou à la violence en raison de l’origine, l’ethnie, la nation, la race ou la religion », puis il a indiqué que cette enquête « se poursuit ».

Il n’a en revanche pas répondu sur les conditions dans lesquelles l’enquête a été déclenchée. Selon nos informations, il s’agirait d’un signalement dans le cadre de l’article 40 du Code de procédure pénale qui contraint « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire » à signaler au procureur « la connaissance d’un crime ou d’un délit » acquise « dans l’exercice de ses fonctions ».

C’est donc le tract de la CGT du Nord, daté du 10 octobre, qui aurait conduit à ce signalement. Intitulé « La fin de l’occupation est la condition de la paix en Palestine », le texte dit apporter « son soutien au peuple palestinien en lutte contre l’État colonial d’Israël ». Au milieu du document, deux phrases ont fait réagir, comme raconté par La Voix du Nord, évoquant « un tract qui ne passe pas ».

La première dit ceci : « Les horreurs de l’occupation illégale se sont accumulées. Depuis samedi [jour de l’attaque du Hamas, le 7 octobre – ndlr], elles reçoivent les réponses qu’elles ont provoquées. » Puis : « La propagande médiatique, totalitaire, nous présente scandaleusement les conséquences comme des causes, les occupés comme terroristes, et l’occupant comme victime. »

« Ils se lâchent, c’est violent », avait réagi le président de la communauté juive de Lille dans le quotidien local du Nord, annonçant son intention de porter plainte et se disant particulièrement choqué par le premier passage. La phrase en question avait d’ailleurs été reprise in extenso dans l’arrêté préfectoral du 11 octobre, justifiant l’interdiction d’une manifestation prévue le lendemain.

« On est tous choqués. On est des militants, on a le cuir dur, mais on trouve ça gravissime. » Stéphane Vonthron, du bureau départemental de la CGT du Nord

Sur le fond du propos, guère éloigné des déclarations traditionnelles de la CGT et du PCF – dont de nombreux membres sont adhérents à la CGT –, l’union départementale du Nord affirme qu’aucune de ses déclarations « ne contient ni d’apologie de terrorisme ni d’incitation à la haine ». La CGT du Nord annonce le dépôt d’une plainte « contre l’auteur du signalement » pour « dénonciation calomnieuse et dénonciation de délit imaginaire ».

« Tout ceci est inédit. On a franchi un nouveau seuil très important », commente Arié Alimi, également avocat de Jean-Paul Delescaut, de l’UD CGT 59 et de la CGT. La CGT du Nord l’a d’ailleurs mandaté « pour poursuivre La Voix du Nord en diffamation compte tenu des allégations selon lesquelles l’UD CGT 59 aurait cautionné des actes terroristes ». Elle reproche au quotidien régional d’avoir écrit que le syndicat « justifie, voire cautionne les atrocités commises par le Hamas ».

En sortant du commissariat, devant lequel une centaine de personnes s’étaient rassemblées en soutien, Jean-Paul Delescaut a dit avoir rappelé pendant sa garde à vue « la position de la CGT pendant 128 ans », mentionnant « le triangle rouge », symbole de la lutte contre les idées d’extrême droite. « On ne nous fera pas taire, la CGT a son mot à dire par rapport aux conflits dans le monde. On continuera le combat qu’on a besoin de mener, avec ou sans commissariat, avec ou sans justice ! », a-t-il conclu.

« On est tous choqués. On est des militants, on a le cuir dur, mais on trouve ça gravissime », s’émeut Stéphane Vonthron, membre du bureau départemental de la CGT du Nord, présent au rassemblement de soutien et joint par Mediapart. David Guiraud, député La France insoumise du Nord, était également sur place, dénonçant « un gouvernement qui est en train de criminaliser absolument toute parole critique qui n’est pas dans le soutien inconditionnel à Israël ».

Sur les moyens employés, il s’interroge : « En ce moment on est dans un risque terroriste et on utilise dix policiers pour aller soulever un syndicaliste ? » Et conclut : « C’est un recul terrible des libertés publiques. Un truc délirant de chasse aux sorcières. »

mediapart.fr