Le Pas-de-Calais sous l’eau

Des habitants prêts à « ne pas revenir »

Frappés par des inondations sans précédent pour la troisième fois en deux mois, les habitants de l’ouest du Pas-de-Calais sont à bout de nerfs. Las de fuir leurs foyers, certains envisagent de ne plus revenir chez eux.

À Blendecques, mercredi 3 janvier, la panique a envahi la ville à la faveur de la nuit. Depuis la veille, cette ville limitrophe de Saint-Omer est inondée, à l’instar de nombreux villages de l’Audomarois, dans le Pas-de-Calais. À l’entrée de la ville, la rivière dite La Basse Meldyck — bras du fleuve Aa — a pris la forme d’un torrent débordant sur la route. Dans une rue pentue descendant vers le centre-ville de Blendecques, les voitures font demi-tour. « On ne passe pas ! », hurle une habitante. Plus haut, autour d’un rond-point assailli par les véhicules des pompiers en intervention, on aperçoit pêle-mêle un enfant en bas âge agrippé à sa maman, la mine désemparée, et des riverains hagards munis de valises à roulettes. À l’heure d’écrire ces lignes, une digue menaçait de rompre, et des évacuations étaient en cours.

Une « grande fatigue psychologique »

Dans l’ouest du département, l’Aa, la Lys, la Canche, la Hem et leurs affluents ont à nouveau débordé de leur lit les mardi 2 et mercredi 3 janvier. Pour la troisième fois en moins de deux mois. Les localités affectées sont souvent les mêmes : à peine sèches de la dernière inondation, de nombreuses maisons ont à nouveau bu la tasse. Un cauchemar sans fin. « Nous intervenons dans l’Audomarois, le Montreuillois et le Boulonnais. Par rapport aux crues de novembre, ce sont souvent les mêmes habitations qui sont touchées, confirme Adam Beernaert, directeur général de la Protection civile du Pas-de-Calais, chargé notamment du pompage et de l’assèchement des foyers. Il y a une grande fatigue psychologique, ils en ont ras-le-bol ». Dès demain, la Protection civile va intensifier les opérations de pompage, et tenter de « sauver les meubles ». « Certains ont décidé d’entreprendre des travaux, d’autres ne reviendront pas », rapporte, du haut de son expérience du terrain, Adam Beernaert. Pour financer ses actions et l’aide aux – très nombreux — sinistrés, l’association a lancé un appel aux dons. Il faut pour cela appeler un numéro (03 74 20 03 07).

Voisine de Blendecques, Arques a également subi de nombreux dégâts. À l’entrée de la ville, la rue d’Avignon est devenue une piscine. Malgré les dégâts, les voisins gardent le sourire et s’organisent : en l’absence de la police, ils gèrent eux-mêmes la circulation. « On est solidaires entre nous, heureusement », déclare Jean-Claude, riverain. À ses côtés, deux jeunes hommes, la vingtaine-trentaine, ironisent. « Tu crois qu’ils vont encore nous envoyer Macron ? », dit l’un. « Non, ce sera Darmanin, tu verras », rétorque Thomas. « Ah non il n’a aucun intérêt à venir, il ne peut pas gazer l’eau ! », conclut, hilare, son ami.

« À force de bétonner, rien ne retient l’eau »

Derrière la bonne humeur de façade se cache toutefois une immense colère. « Rien n’a été fait ici. Quand tu vois le prix des taxes qu’on paie pour les wateringues [des canaux d’évacuation], et quand on voit leur manque d’entretien…, glisse, amer, Jean-Claude. Et puis à force de tout bétonner, de faire des logements partout, y a plus rien qui retient l’eau. » Lorsque l’on demande s’il souhaite partir, il répond, du tac-au-tac : « Partir ? Si on revend, ce sera pour un prix dérisoire, alors… » Et son voisin d’ajouter : « De toutes façons, c’est toujours les pauvres qui trinquent. » À Blendecques, la colère est la même : Vincent Maquignon, adjoint au maire, adresse sur une banderole un message clair aux pouvoirs publics. « On veut vivre en sécurité, maintenant il faut agir. Endiguez, ou rasez ce quartier. »

Un couple a choisi « de ne pas revenir »

À côté de Bourthes, où l’Aa prend sa source, le petit village de Wicquenghem, situé le long du fleuve, a lui aussi été touché par les inondations. Joël et Mireille Carpentier, habitants du village, ont déserté leur foyer depuis les crues de novembre. « On a appris par des voisins que l’on était de nouveau touchés, mais on ne pourra pas accéder à notre maison. Ça doit pas être mieux, et au vu des photos qu’on m’a envoyées, ça doit être pire. Pourtant, la première fois, c’est monté jusqu’à 1 m 30. J’avais de l’eau jusqu’au-dessus des seins, on est partis sur une vieille remorque. » Hébergés par de la famille, puis sur la côte, Joël et Mireille constatent les dégâts à distance. Et font le deuil de leur maison. « J’ai tout perdu, il ne me reste strictement rien. Le maire et la communauté de communes parlent de raser ces maisons. Moi, j’ai donné l’aval. »

Résigné et convaincu du caractère inhabitable de sa maison, le couple ira faire sa vie ailleurs. « Le réchauffement climatique y est pour beaucoup. Si c’est pour avoir peur à chaque averse, c’est pas la peine. Pourtant, cette maison appartenait à mes parents et à mes grands-parents. J’ai vendu ma maison à Arras pour revenir. Maintenant, j’ai 68 ans, à mon âge, je ne vais pas m’endetter pour reconstruire, je louerai peut-être quelque chose », livre Joël Carpentier.

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