Désormais sous tutelle de Bercy, elle est dénaturée. Et sacrifiée ?
Le gouvernement Macron-Attal n°1 a supprimé le ministère de la transition énergétique pour rattacher l’énergie à Bercy au détriment du ministère de l’écologie. Derrière cette décision apparemment technique se cache le choix de reléguer au second plan la lutte contre le réchauffement climatique, la sobriété énergétique et le développement des énergies renouvelables.
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Ce n’est pas le sujet le plus commenté de la nomination du gouvernement Attal n°1. Derrière le casting des ministres, dont l’arrivée de Rachida Dati qui focalise l’essentiel des commentaires, se cache pourtant une décision technocratique de réorganisation de l’appareil d’Etat lourde de conséquences en matière de transition énergétique et de la lutte contre le réchauffement climatique : avec la disparition du ministère de plein exercice de la Transition énergétique se joue le rattachement du portefeuille de l’énergie à Bercy au détriment du ministère de l’écologie.
Cette décision peut paraître technique et secondaire. Elle ne l’est pas. D’abord, alors que nous avons vécu une crise énergétique aigue en 2021 et 2022, qu’il n’y ait plus de ministre de plein exercice ne peut que surprendre. Ensuite, et surtout, la proposition consistant à détacher l’énergie – et l’administration qui va avec – du ministère de la transition écologique afin de la rattacher au ministère de l’économie et de l’industrie est portée depuis des années par la plupart des lobbys productivistes, pronucléaires et peu intéressés par l’urgence climatique que compte l’appareil d’Etat français (voir ici par ex.). Emmanuel Macron et Gabriel Attal viennent de leur donner raison.
C’est un recul historique : le portefeuille de l’énergie, historiquement rattachée aux ministères de l’Industrie et de l’Économie, avait été placé sous la tutelle du ministère de l’Écologie suite au Grenelle de l’Environnement (2007) , reconnaissant ainsi que la production énergétique devait tenir compte d’objectifs écologiques et climatiques plus globaux. Emmanuel Macron et Gabriel Attal viennent d’enterrer cette évolution positive, bien qu’inachevée, de la réorganisation de l’appareil d’Etat visant à faire face à l’urgence écologique et opérer la transition énergétique.
Cette décision du Grenelle de l’environnement n’a jamais été acceptée par ceux qui ont toujours considéré que le secteur de l’énergie ne devait pas être l’objet d’un débat démocratique et encore moins soumis à d’autres considérations que des objectifs économiques, industriels et de croissance de la production énergétique. En particulier, le corps des Mines qui, historiquement, a toujours eu la mainmise sur la politique énergétique française et sur la Direction générale de l’énergie, n’a jamais accepté cette décision issue du Grenelle de l’environnement.
Depuis 2007, les ingénieurs du corps des Mines n’ont d’ailleurs cessé de batailler pour que la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) ne soit jamais dissoute au sein du ministère de la Transition écologique et, surtout, pour conserver la possibilité de voir la DGEC revenir dans le giron de Bercy. Emmanuel Macron et Gabriel Attal viennent de leur donner raison. C’est aussi l’échec du quinquennat Hollande, auquel des ministres écologistes ont contribué, et de Nicolas Hulot sous Emmanuel Macron, de ne pas avoir définitivement entériné cette évolution et rendu impossible tout retour en arrière.
Si le super ministère de l’Ecologie rassemblant les portefeuilles de la biodiversité, des transports, du logement, de l’énergie n’avait pas fait la démonstration de sa capacité à transformer en profondeur l’appareil productif et les secteurs parmi les plus émetteurs de gaz à effet de serre, pas plus que le ministère de plein exercice sur la transition énergétique n’a su placer à la transition énergétique comme une priorité incontournable, le retour à la situation pré-2007 ne laisse rien augurer de bon. En plus d’être un cadeau aux lobbys pronucléaires, cette décision va conduire à marginaliser les besoins de sobriété énergétique et d’énergies renouvelables derrière les politiques de relance du nucléaire et de réindustrialisation.
Dans Le Figaro, Bruno Le Maire ne justifie pas le rattachement de la DGEC à Bercy au nom de la lutte contre le réchauffement climatique, de l’urgence à transformer de fond en comble l’appareil productif français ou du développement massif des énergies renouvelables. Non, il affirme qu’avoir « la responsabilité de l’énergie, c’est se donner les meilleures chances d’accélérer réindustrialisation du pays et la réalisation du programme nucléaire français ». Les enjeux climatiques, de sobriété énergétique et de déploiement des énergies renouvelables sont relégués au second plan.
Cette décision entérine le choix d’Emmanuel Macron de présenter la relance du nucléaire comme la solution magique capable, sans que cela ne soit démontré, de résoudre à la fois le défi climatique, les enjeux de souveraineté énergétique et de relocalisation industrielle. Les différents scénarios énergétiques élaborés par RTE montrent que les seuls leviers de production qu’il est possible d’actionner d’ici à 2035 sont les énergies renouvelables. Avec cette décision, l’exécutif montre qu’il s’enferme dans une voie idéologique, la relance du nucléaire, qui s’éloigne des faits et qui ne saura résoudre aucun de ces défis à brève échéance. Ce qui aura des conséquences en matière de prix et de sécurité d’approvisionnement en énergie.
Avec ce rattachement, Bruno Le Maire sera donc chargé du suivi de la construction des six nouveaux réacteurs EPR (et huit autres en option) qui doivent sortir de terre d’ici 2050. Les ENR et la sobriété énergétique, pourtant absolument clefs pour que la France respecte ses objectifs climatiques, seront également de la responsabilité de Bruno Le Maire et du ministre délégué à l’industrie et à l’énergie qui devrait être nommé (Roland Lescure est pressenti). Ils seront donc renvoyés à des objectifs de second ordre derrière la relance du nucléaire.
Le projet de loi relatif à la souveraineté énergétique qu’Agnès Pannier Runacher a présenté le 8 janvier déjà porte déjà pleinement ces orientations : priorité au nucléaire, énergies renouvelables et sobriété énergétique marginalisés. Cette réorganisation de l’appareil d’Etat entérine cette orientation et hypothèque toute politique alternative : les conflits et tensions qui pouvaient exister entre Bercy et Roquelaure sur la politique de transition énergétique seront désormais tranchés par le seul Bruno Le Maire.
Alors que Bruno Le Maire a déjà annoncé vouloir mener une politique d’austérité en cherchant à faire 12 milliards d’euros d’économies, nul doute que les crédits prévus pour la transition énergétique seront principalement dévolus au nucléaire, plutôt qu’aux mesures de sobriété – vécues comme une politique de décroissance honnie à Bercy et par le corps des Mines – et aux énergies renouvelables – vécues comme tout à fait secondaires par les mêmes.
Voici quelques autres conséquences possibles de cette décision, qu’il faudra préciser au regard des arrêtés précisant les périmètres respectifs des différents ministères :
- ce n’est plus le ministre de l’écologie qui participera aux conseils des ministres européens de l’énergie, mais un ministre de Bercy ;
- c’est vraisemblablement à Bruno Le Maire et Bercy que reviendront la tâche de représenter la France dans les négociations climatiques internationales ;
- nul doute qu’il deviendra également bien plus difficile au ministre de l’écologie de s’opposer à la prolongation et/ou la délivrance de nouveaux titres d’exploration ou d’exploitation minière dont la responsabilité devrait échoir au seul Bruno Le Maire (ou ministre délégué) ;
- outre les enjeux sur la construction des réacteurs eux-mêmes, la relance du nucléaire pose des enjeux écologiques durs (mise à disposition de terrains, aménagements sur les cours d’eau, effets sur la faune et la flore, etc.) : nul doute que la nouvelle configuration ne va guère favoriser la protection de l’environnement ;
- etc.
Au lendemain de l’élection de 2022, je demandais publiquement si la planification écologique, dont le terme avait été repris par Emmanuel Macron et qui avait été doté d’un secrétariat général directement rattaché à Matignon, n’était finalement pas qu’un nom d’emprunt pour « relance du nucléaire ». Cette nouvelle décision rattachant le portefeuille de l’énergie à Bercy le précise : en plus de vouloir une relance massive du nucléaire plutôt qu’une politique de sobriété et de déploiement des énergies renouvelables, Emmanuel Macron cherche à court-circuiter les administrations qui pourraient ralentir ses projets. Les lobbys pronucléaires sont ravis, tout comme les lobbys productivistes et/ou rechignant à agir pour le climat.
Maxime Combes, économiste ; abonné à Mediapart