« On ne débat pas avec ces gens-là », a lâché avec mépris Marc Fesneau
D’un côté la FNSEA, patrons de l’agriculture industrielle, et la Coordination rurale, faux nez rural du RN, tous en campagne pour le pouvoir syndical. De l’autre, la Confédération paysanne qui œuvre pour une agriculture de paysans, et les Soulèvements de la Terre, protecteurs des terres agricoles et naturelles. Le gouvernement n’est pas au milieu, il a choisi son camp et ses invités pour débattre.
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« On ne débat pas avec ces gens-là, a lâché avec mépris Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture intensive. Leur mode d’expression, c’est le casque, le masque, le cocktail Molotov. »
N’aurait-il pas confondu avec les poseurs de bombes du Comité d’action viticole qui ont gravement endommagé le bâtiment de la DREAL1 de l’Aude, ou avec les incendiaires qui ont mis le feu à la Mutualité sociale agricole (MSA) de Narbonne, ou avec les membres de la Coordination rurale du Lot-et-Garonne, qui, escortés par la police, ont provoqué pour au moins 400 000 euros de dégâts sur les biens publics de la ville d’Agen ‒ il y a un an, ils avaient saccagé un cinéma à Limoges dans lequel était projeté un documentaire contre les mégabassines ‒, ou encore avec les commandos de la FNSEA et des Jeunes agriculteurs (JA) affiliés, qui ont défoncé les routes comme dans le village du Tilleul (76), moins de 700 habitants, qui va devoir débourser 100 000 euros pour réparer sa route principale ? Macron a déclaré samedi matin, dans un salon retranché du Salon de l’Agriculture, qu’il ne tolérait aucune violence contre les biens publics ou privés. Les forces de l’ordre de Darmanin sont-elles pour autant intervenues ? Les préfets ont-ils porté plainte ? 2
Les « agro-terroristes », enjeu électoral majeur à quelques mois des élections européennes, ne sont visiblement pas considérés en haut lieu aussi dangereux que les « éco-terroristes ». Toujours est-il que le ministre Fesneau a recadré l’Élysée et son locataire qui était tout à son enthousiasme d’en découdre médiatiquement, en réarmant un « grand débat » de plus. Les Soulèvements de la Terre invités ? 3 Oui mais non, il y a eu erreur des petites mains de la communication élyséenne, elles ont sans doute interprété/tronqué/détourné (biffez les mentions inutiles) les propos et volontés du président. Arnaud Rousseau, grand patron de la FNSEA, a failli en avoir une attaque et a décidé de bouder (le débat), tandis qu’Arnaud Gaillot (JA), pas rassuré, refuse de parler avec des « gens violents ». « Faut vous dire, Monsieur/Que chez ces gens-là/On n’cause pas, Monsieur/On n’cause pas, on compte ».4
On compte les électeurs aux prochaines Européennes chez les macronistes, ou aux élections professionnelles qui mènent au pouvoir dans les chambres d’agriculture chez la FNSEA ou la Coordination. Finalement, Macron a sabordé son débat avant qu’il soit coulé en direct sur les chaînes d’info, le reportant ultérieurement en terrain fortifié dans les salons élyséens.
Manœuvres politico-syndicales
Plus sérieusement, contrairement à ce que nombre de médias présentent comme les agriculteurs, une corporation qui serait homogène, il existe deux mondes agricoles qui ont des visions très divergentes de leur métier, de leur vocation, de leur responsabilité envers la population.
D’abord celui hégémonique de l’agriculture intensive et exportatrice de la FNSEA/JA, qui vote à droite, voire encore plus à droite si affinités ou ras le bol aigu. C’est le syndicat patronal de l’agriculture industrielle, des grands céréaliers, des usines à viande, de la mainmise sur les chambres d’agricultures et les coopératives géantes qui jouent dans la cour des multinationales. Les Jeunes agriculteurs ne sont que la génération suivante de ces agriculteurs intensifs, surveillant les cours de bourses et leurs troupeaux et champs par les voies informatiques.
Quant à la Coordination rurale (CR), elle joue les trublions et la surenchère histoire de tailler des croupières à la FNSEA en vue des élections professionnelles de 2025. Rappelons qu’elle s’est créée en 1991 dans l’opposition à la cogestion de la FNSEA avec les différents gouvernements et en se plaçant à la droite de la droite du syndicat patronal.5 Dans une déclaration de guerre contre la PAC et le GATT (ancêtre de l’OMC) en 1992, la Coordination rurale assène : « Nous nous battons pour maintenir notre civilisation », comme un écho venu du FN (aujourd’hui RN). Elle voue aux gémonies « le terrorisme écologique » et toutes les réglementations, nationales ou européennes, sans pour autant renoncer aux subventions publiques, notamment de la PAC. Elle est à l’origine de la construction illégale de la retenue d’eau de Caussade, qui fonctionne aujourd’hui malgré toutes les condamnations judiciaires et les défauts structurels relevés.6
Là encore, l’État répressif laisse le lanceur de LBD au placard7 : « L’option du recours à la force publique [a] été écartée pour diverses raisons, dont la forte adhésion locale à l’existence et à l’utilité de ce barrage ».8 En face, le haut verbe de Serge Bousquet-Cassagne, surnommé « Bousquet-Castagne » 9 pour sa violence verbale voire physique, président CR de la chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne, auteur de menaces téléphoniques envers une élue10, et qui assume être dans l’illégalité en refusant de détruire le barrage de Caussade malgré les décisions de justice. La cour des comptes vient, de plus, d’étriller sa gestion de la chambre « en raison d’un manque d’éthique et de contrôles en interne ».11 Pendant que Macron déambulait sous les sifflets dans les allées du salon, FranceinfoTV interrogeait un agriculteur, sans autre précision, Thierry Seneclauze, demandant que l’on laisse vivre « une agriculture patriote ».12 Invité par Pascal Praud sur le plateau de Cnews lors des blocages de routes13, toujours sans préciser son pedigree, le même menace : « Foutez la paix aux agriculteurs, sinon les Jeux olympiques vont être très olympiques ». Or, ce « paysan » de la Drôme, céréalier, accessoirement associé fondateur d’une société agricole en Roumanie, a été candidat du Front National canal historique pour les départementales14 tout en étant l’un des leaders d’un syndicat qui se proclame « apolitique ».
Des mondes agricoles divergents
FNSEA, JA et CR, tous ont dans le viseur les élections professionnelles qui doivent se dérouler en janvier prochain et la mainmise sur le pactole des chambres d’agriculture et de la gouvernance de la constellation d’organismes de filières, de coopératives, d’institut et d’organismes institutionnels comme la Mutualité sociale agricole (MSA) ou les commissions d’installation. Signalons que le mode de scrutin des élections des représentants dans les chambres d’agriculture favorise l’hégémonie de la FNSEA et qu’un projet de modification du décret régissant ce scrutin14 pourrait encore accentuer cette inégalité de traitement et surtout assécher les finances de la Confédération paysanne qui est la seule réelle en opposition sur l’éthique de la profession.
Elle promeut une agriculture qui veut multiplier les paysans et les emplois, protéger les terres et composer avec l’environnement, relocaliser l’alimentation et sa dimension sociale. Elle y voit des luttes communes avec les militants des Soulèvements de la Terre qui lutte pour protéger les terres nourricières de l’artificialisation, les espaces naturels, partager équitablement les ressources en s’opposant aux accaparements et privatisation, notamment de l’eau, mais aussi avec des organisations plus vastes comme Via Campesina qui œuvre à protéger les petits paysans dans le monde.
La seule revendication que tous ont en commun, c’est la rémunération de leur métier, retrouver leur autonomie et décider des prix de vente de ce qu’ils produisent. Aujourd’hui, les décideurs sont les marchés internationaux, les industriels de la transformation, et la grande distribution. C’est oublier les grands principes de l’économie capitaliste et libérale, non pas de l’équilibre naturel et l’efficience des marchés mondiaux, mais du profit commercial maximum sur le dos des véritables créateurs de richesses, comme les agriculteurs, de l’activisme anti-concurrentiel par les trusts et ententes illégales, et des monopoles de fait.
La FNSEA et ses adhérents ne pouvaient ignorer cela quand ils se sont lancés dans ce grand cirque romain, où le petit se fait immanquablement manger, surtout lorsque l’agriculture, secteur économique vital pour les populations, fonctionnent sur le modèle d’une économie mixte, cogérée avec les subventions publiques et les politiques nationales et européennes. Comme la PME se fait bouffer par Amazon, l’agriculture industrielle et ses exploitants ubérisés, ne peuvent dicter leurs conditions aux grands groupes industriels, aux multinationales du trading et de la spéculation sur les matières premières agricoles, d’autant que les grandes coopératives, gérées en grande partie par des cadres ou sympathisants de la FNSEA (Arnaud Rousseau, son président, en fait partie), se sont connectées aux marchés internationaux mais déconnectées des agriculteurs qui sont pourtant leurs adhérents cotisants. En pariant sur l’industrialisation et l’exportation, la FNSEA a aussi jeté ses adhérents dans les bras avides des semenciers et leurs brevets, et des industries chimiques des pesticides et du machinisme agricole, le tout étant financé sur des dettes, enchaînant définitivement les ex-paysans devenus exploitants et patrons sans pouvoirs.
La faillite des politiques agricoles
L’Europe politique s’est construite en grande partie sur la gouvernance de l’agriculture ‒ c’est encore la majorité de son budget ‒ à une période où elle s’est retrouvée confrontée à une production largement excédentaire de l’agriculture, contrecoup d’une politique d’industrialisation forcenée et de dopage par les intrants chimiques. Après avoir torpillé les marchés locaux et ruiné les petits paysans des pays du Sud en écoulant ses stocks à vils prix, l’Europe a décidé d’administrer des dizaines d’agricultures différentes (terroirs, niveaux techniques et économiques…) avec les mêmes outils réglementaires, déclarant ouvertes les frontières sans pour autant régler les distorsions de concurrence (salaires, charges et protections sociales, utilisation des pesticides…). D’autant que la cogestion syndicats/politiques observée en France s’est reproduite au niveau européen, ses instances étant dominées par la droite libérale depuis des décennies. Le résultat est désormais visible sur tout le continent, avec des convois de tracteurs de l’Espagne à la Pologne. Et en coulisses, face à la pusillanimité des droites traditionnelles, l’infiltration de l’extrême droite dans les contestations, renforçant son ascension dans les intentions de vote aux prochaines européennes.
Bien entendu, sur un continent riche de la diversité de ses terroirs, de ses bio-régions, de ses ressources, de ses savoir-faire, les agricultures européennes disposent des outils pour assurer la souveraineté alimentaire de leurs différentes communautés, malgré les nécessaires adaptations aux changements climatiques qui sont déjà là. Cela passe, entre autres, par une relocalisation de l’alimentation, un raccourcissement des filières, des paysans qui recouvrent leur indépendance vis-à-vis des industriels et qui cultivent la diversité de leurs productions autant que la biodiversité, une coopération directe entre paysans et consommateurs, etc. Cela fera l’objet de mon prochain billet.
Yves GUILLERAULT ; paysan et journaliste, tous les deux en retraite active
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Notes
1. DREAL : Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement.
2. Seule la ville de Toulouse a pour l’instant déposé une plainte contre X.
3. De nombreux journalistes parmi la centaine présente au point presse de l’Élysée ont confirmé la volonté annoncée d’inviter les Soulèvements de la Terre.
4. Tiré de la chanson de Jacques Brel, Ces gens-là.
5. François Purseigle, Bertrand Hervieu, Pierre Muller, François Purseigle et Jacques Rémy, Les mondes agricoles en politique, de la fin des paysans au retour de la question agricole, Presses de Sciences Po, 2010; et https://www.cairn.info/les-mondes-agricoles-en-politique–9782724611649-page-241.htm (payant)
6. https://www.doctrine.fr/d/CAA/Bordeaux/2021/07C3369ABBE706ACB9B7 et https://www.sudouest.fr/lot-et-garonne/agen/proces-du-lac-de-caussade-serge-bousquet-cassagne-et-patrick-franken-n-iront-pas-en-prison-7684721.php.
7. https://reporterre.net/Serge-Bousquet-Cassagne-l-agriculteur-qui-fait-sa-loi-dans-le-Lot-et-Garonne.
8. https://agriculture.gouv.fr/mission-dinspection-relative-la-retenue-illegale-de-caussade.
9. https://reporterre.net/Serge-Bousquet-Cassagne-l-agriculteur-qui-fait-sa-loi-dans-le-Lot-et-Garonne.
10. Dans un message téléphonique adressé à Marine Tondelier, élue municipale et régionale dans le Nord, et membre des Écologistes, qui venait de se rendre dans le Lot-et-Garonne dans le dossier de la retenue de Caussade, il lance : « « Ma poule tu t’es encore échappée. Je vais t’attraper et te plumer… ».
11. https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/01/25/la-cour-des-comptes-etrille-la-gestion-calamite
12. Précisions apportées postérieurement par une journaliste en plateau.
13. https://www.dailymotion.com/video/x8rxy1q.
14. https://www.coordinationrurale.fr/images/regions/Rhone-alpes/Rencontre_FN.pdf