L’incarnation d’une politique de sélection et de marchandisation de l’Enseignement Supérieur
Un collectif d’organisations de jeunesses et de parlementaires unissent leurs voix pour dénoncer « la broyeuse » Parcoursup dans une tribune. « L’université publique, qui devrait être un bastion d’égalité et d’opportunité, devient un miroir des inégalités profondes qui persistent dans notre société. » Il propose une série de mesures pour permettre un accès plus égalitaire à l’enseignement supérieur.
Depuis plusieurs décennies, la France se félicite d’avoir une école égalitaire, placée au cœur de la méritocratie républicaine. Elle affirme dans ses textes que l’éducation est la première priorité nationale, et revendique la lutte contre les inégalités sociales et territoriales. Elle se vante d’être conçue et organisée en fonction des élèves et des étudiants.
Cependant, tout cela n’est qu’un écran de fumée masquant une politique gouvernementale qui, depuis 2007 et la Loi Liberté et Responsabilités des Universités, s’efforce de détruire progressivement l’éducation républicaine, en réinstaurant la sélection à l’Université. Un des exemples les plus criants est ParcourSup, fidèle incarnation de la volonté d’orientation de l’Enseignement Supérieur vers la sélectivité et de méritocratie.
Depuis son lancement le 15 février 2018, la plateforme ParcourSup n’a cessé d’être défendue par les gouvernements successifs. Conçue pour remplacer APB (Admission Post-Bac), cette plateforme avait pour objectif de centraliser l’inscription à l’enseignement supérieur, démocratisant ainsi son accès. Par la publication d’un calendrier clair, elle vantait la réduction de l’angoisse des élèves et des parents face à cette étape majeure du parcours scolaire. La réalité est pourtant bien différente, sept années après le lancement de ParcourSup, le bilan est désastreux. La plateforme est loin de remplir l’entièreté de ses objectifs, et ne constitue en rien un véritable levier d’accompagnement à l’orientation.
La centralisation de l’accès à l’ensemble des filières d’enseignement supérieur ne suffit pas. L’objectif de cette centralisation était de permettre aux lycéens de ne pas se limiter à l’Université par manque de connaissance et de regrouper l’ensemble des formations de l’Enseignement Supérieur sur une même plateforme, afin de limiter l’auto-censure et de favoriser la mixité sociale. On constate malheureusement que ces mesures sont insuffisantes, en raison d’un problème bien connu : le manque de moyens dans l’Éducation Nationale. Comment un ou deux professeurs peu formés à l’orientation peuvent-ils seuls accompagner l’orientation d’une classe de 35 élèves ? Comment peut-on espérer qu’un conseiller d’orientation puisse aider 1 500 élèves ? Comment ne pas accuser la politique d’austérité dans l’éducation nationale lorsque l’on sait que le nombre de conseillers d’orientation a drastiquement diminué entre 1980 et 2022, alors même que le nombre d’élèves au lycée est passé de 1 460 000 à 2 256 000 sur la même période ? Couplée à ce manque de moyens, la division et la répartition des compétences en termes d’orientation envers une multitude d’acteurs insuffisamment formés, mise en place en 2018, n’a fait que complexifier la facilité d’accès à un véritable accompagnement à l’orientation.
Malheureusement, la promesse d’une plus grande égalité après la suppression d’APB (Admission Post-Bac) n’est pas non plus au rendez-vous. Si le tirage au sort a effectivement été supprimé, l’algorithme de Parcoursup semble préserver des dynamiques d’inégalités sociales, encore plus marquées dans le secteur privé. Plutôt que de défendre l’émancipation sociale que les Universités devraient permettre, le choix a été fait de mettre en avant une méritocratie hypothétique. Une méritocratie basée sur la réussite scolaire, que l’on sait dépendante dès le plus jeune âge de bien d’autres éléments que le travail personnel fourni. Une méritocratie basée sur l’établissement d’origine, des stéréotypes sur nos filières bien ancrés, un mauvais accès à l’information et à l’accompagnement en orientation. Une méritocratie qui écrase l’égalité des chances et soutient les déterminismes sociaux. L’accès à l’enseignement supérieur ne relève pas du mérite, mais plutôt du hasard. Les étudiants issus de milieux favorisés ont toujours été disproportionnellement représentés dans l’Enseignement Supérieur : à l’heure où l’on souhaite défendre un enseignement supérieur accessible à toutes et tous, il est temps de permettre l’accès à chacun à la formation de son choix, en effaçant les déterminismes sociaux. À un moment où la jeunesse aspire de plus en plus à fréquenter l’Université, le gouvernement semble vouloir en restreindre encore davantage l’accès. L’université publique devrait permettre à chacun d’accéder au savoir, quel que soit son milieu social d’origine.
Le passage à un système plus sélectif et méritocratique non seulement perpétue les inégalités sociales, mais contredit également l’essence-même des institutions éducatives en tant que moteurs d’émancipation par l’apprentissage. En favorisant des personnes déjà privilégiées dès la naissance, nous risquons de compromettre les principes fondamentaux de l’égalité des chances et du progrès sociétal.
Parallèlement à cette question de sélection, un problème sous-jacent majeur émerge : le manque criant de places disponibles dans les universités publiques. La demande croissante d’accès à l’Enseignement Supérieur se heurte à des capacités d’accueil limitées, exacerbant davantage les inégalités. Les places disponibles ne sont pas suffisantes pour répondre à l’afflux d’étudiants, résultant à une sélection où seuls les plus favorisés financièrement ou académiquement réussissent à s’assurer une place. Un manque de place et des filières en tension, dû à un manque de locaux, mais également au manque de personnel qualifié pour enseigner à l’Université. L’insuffisance de ressources démontre que le gouvernement perçoit l’éducation comme un fardeau économique plutôt que comme un investissement. Cependant, sans une éducation adéquate pour la jeunesse, vers quelle société nous dirigeons-nous ?
Ce déséquilibre est intrinsèquement lié au sous-financement chronique des universités publiques. Fin 2023, l’écrasante majorité des universités ont voté un budget déficitaire, allant parfois jusqu’à plusieurs dizaines de millions d’euros. Les coupes budgétaires répétées ont eu des conséquences désastreuses sur les infrastructures, les ressources pédagogiques et le corps professoral.
L’enseignement supérieur, autrefois accessible à tous, devient de plus en plus élitiste, créant une barrière financière qui exclut de nombreux étudiants talentueux mais issus de milieux moins aisés. Ce manque de places et de ressources ne fait qu’accentuer les disparités socio-économiques. Les jeunes issus de familles modestes sont souvent contraints de renoncer à leurs rêves universitaires en raison de l’absence de capacité d’accueil et du coût prohibitif de l’éducation supérieure. Ainsi, l’université publique, qui devrait être un bastion d’égalité et d’opportunité, devient malheureusement un miroir des inégalités profondes qui persistent dans notre société.
Et les promesses non tenues de ParcourSup ne s’arrêtent pas ici. Au moment de sa présentation, ParcourSup était loué par le gouvernement pour son calendrier clair et la centralisation des demandes d’admission qui devait permettre une diminution du stress. Aujourd’hui, le calendrier est en effet généralisé à toutes les formations, et les demandes d’admission sont centralisées sur une même plateforme. Mais qu’en est-il de l’objectif de diminution du stress qui a participé à la mise en place de cette mesure ? Car s’il y a quelque chose de sûr, c’est que ParcourSup n’est pas satisfaisant en termes de gestion du stress. C’est 83% des usagers qui trouvent la plateforme stressante. On pourrait penser que cela n’a pas vraiment de lien direct avec ParcourSup et que le stress provient de l’enseignement supérieur, mais la réalité est toute autre.
Tout d’abord, il existe un problème qui est relevé par l’ensemble des organisations de jeunesse depuis 2018, et c’est le manque de transparence. On demande à la jeunesse de confier son avenir à une plateforme dont elle ne sait rien, une plateforme trop opaque qui ne permet pas de savoir ce qui se passe une fois que les demandes sont envoyées. Très peu d’informations sont disponibles sur les algorithmes de la plateforme ainsi que les éléments du dossier pris en compte dans l’examen des vœux, ou l’importance accordée à chacun de ces éléments.
Le stress est également alimenté par la crainte des lycéens de ne pas obtenir ce qu’ils souhaitent, voire simplement une affectation. Et cela concerne non seulement les filières sélectives, mais aussi l’université. On ne peut pas se plaindre d’un taux d’abandon élevé en première année à l’université lorsqu’un nombre alarmant de lycéens sont envoyés de manière aléatoire dans les filières par défaut. Il n’est pas surprenant que Parcoursup soit perçu de manière stressante et négative, étant donné que nombre de jeunes se retrouvent sans place universitaire. Et de nombreux autres candidats sont affectés dans des filières qu’ils n’ont pas choisies car on les y a placés par défaut.
Un gros problème est apparu cette année avec le report des épreuves du bac. Comme à son habitude, le Gouvernement n’a consulté aucune organisation syndicale ni aucune organisation de jeunesse qui aurait pu leur expliquer que le report des épreuves du Baccalauréat, bien que bénéfique en théorie, n’est absolument pas positif du point de vue de la mise en pratique. En effet, les épreuves de spécialité qui permettaient jusqu’à l’année dernière d’avoir les résultats de 75% du bac sur ParcourSup pendant les phases de candidature seront déplacées mi-juin, alors même que la phase d’admission de la plateforme ParcourSup demeure, quant à elle, toujours à la même période (du 30 mai au 12 juillet).
Ainsi, la grande majorité des écoles supérieures et universités choisiront leurs futurs étudiants uniquement en fonction du contrôle continu. Or, la part que prenait le contrôle continu dans la note finale du baccalauréat (40% de la notation) avait déjà suscité de gros débats en 2021 avec la suppression des épreuves de tronc commun. En effet, le contrôle continu est une source d’inégalité ; entre les établissements de province et les lycées prestigieux, les barèmes de notations sont différents, et les admissions en études supérieures ne se font plus suite à un examen qui sanctionne des compétences, mais en mettant en compétition les lycées et les élèves au sein de leur classe avec le rang. En renforçant le contrôle continu, on renforce la domination du lycée prestigieux qui s’assure de constituer d’excellents dossiers pour ses élèves et on enfonce un peu plus le lycée de campagne. Ce renforcement du contrôle continu, qui peut avoir des effets bénéfiques pour les lycéens et lycéennes, doit donc nécessairement s’accompagner d’une uniformisation des attendus et systèmes de notation entre les établissements pour limiter les écarts entre établissements.
En résumé, cette année la sélection se fera sur le lycée d’origine, sur la classe sociale des lycéens qui auront les moyens (ou pas) de se payer des cours particuliers s’ils ne comprennent pas les cours, et sur l’identité du ou de la candidate, puisque rien ne sera plus anonyme. Une sélection selon la nationalité qui menace de s’aggraver via un projet de décret visant à limiter en nombre les vœux des étudiants étrangers.
Parce qu’aujourd’hui, ParcourSup ouvre pour la septième fois et compte tenu des conditions d’extrêmes inégalités dans lesquelles la sélection s’effectue encore cette année, nous, lycéens, étudiants, parents d’élèves, professeurs, proviseurs et élus, demandons une ouverture massive de places à l’Université.
Nous souhaitons également une adaptation du calendrier de ParcourSup afin que la sélection puisse prendre en compte les résultats des candidats au Baccalauréat, un accompagnement dès la troisième à l’orientation ainsi qu’une place garantie dans la formation universitaire de leur choix pour tous les lycéens ayant obtenu leur Baccalauréat.
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Signataires
Syndicat National Lycéen (SNL),
Fédération Indépendante et Démocratique Lycéenne (FIDL),
Mouvement National Lycéen (MNL),
Union Nationale des Etudiants de France (UNEF),
Fédération des Associations Générales Étudiantes (FAGE),
Solidaires Étudiants,
Les Jeunes Socialistes (JS),
Patrick Kanner, Sénateur (PS) du Nord, Président du Groupe Socialiste, Écologiste et Républicain au Sénat,
Marie-Pierre Monier, Sénatrice (PS) de la Drôme Vice Présidente de la Commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport au Sénat,
Mathilde Ollivier, Sénatrice (Les Écologistes) des Français établis hors de France,
Iñaki Echaniz, Député (PS) de la 4eme circonscription des Pyrénées-Atlantique,
Frédéric Maillot député (GDR) de la 6eme circonscription de la Réunion