Inscrivons dans la loi la nécessité des savoirs dans la formation des enseignants de la République.
Un article paru dans le journal Le monde
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Priorité des priorités nationales, l’éducation n’est entre les mains ni du Parlement, ni des universitaires. Les réformes se succèdent, par décrets, inspirées par des rapports de cabinet de conseils privés non portés à la réflexion nationale. Or, dans un contexte où l’école semble devoir rejouer le combat de la Raison contre l’obscurantisme, elles 1conduisent à sacrifier les savoirs dans la formation des futurs professeurs. Que sont les « Écoles normales du XXIe siècle » programmées par le gouvernement? Une nouvelle appellation des INSPÉ, précédemment connus sous le nom d’ÉSPÉ, autrefois IUFM qui eux-mêmes remplacèrent en les fusionnant les « écoles normales », CPR et ENNA. Depuis les IUFM, le principe est resté le même : faire intervenir des enseignants-chercheurs des Universités, chargés des savoirs et savoir-faire disciplinaires, et des « formateurs » rémunérés par le ministère de l’Education Nationale et attachés surtout aux manières d’enseigner. La nouvelle réforme, sans que ni le réseau des INSPÉ ni les universitaires n’aient été consultés, prévoit une nette limitation de la place des savoirs disciplinaires dans la formation des futurs enseignants, non seulement en Master mais aussi dès la licence, en préemptant une part considérable de l’enseignement actuellement confié aux universitaires, dans les Ecoles normales comme dans les Universités elles-mêmes. En Master, le partage du temps de formation des futurs professeurs est envisagé ainsi : en première année, 37,5% de terrain (en salle de classe), 25% de « pratiques et enseignements professionnels » et seulement 37,5% d’ « approfondissements universitaires disciplinaires et optionnels » (30% en seconde année). Or la réforme consiste spécialement à supprimer le concours à Bac +5, l’actuel CAPES dont la préparation est le point d’orgue de la formation scientifique des futurs enseignants, au profit d’un concours nettement plus accessible à Bac +3. Ouvrir plus largement la formation au professorat peut se comprendre, dans un contexte de pénurie de vocations. Mais pour quelles raisons renoncer à la qualité de cette préparation? Observant l’échec de la formation continue des professeurs du Secondaire, comment ne 2pas s’inquiéter de la part croissante (50%) que le gouvernement se prépare à leur réserver dans la formation des futurs enseignants de collège et de lycée? On relève que les directeurs des Ecoles normales seront motivés par une « part variable annuelle de la rémunération liée à l’atteinte des objectifs », lesquels soulèvent notre curiosité : leur faudra-t-il envoyer des enseignants compétents devant les élèves, ou plutôt diplômer en masse?
Un conflit stérile et caricatural, la lutte du pédagogisme progressiste contre une arrière-garde académique réactionnaire, enflamme les réseaux sociaux depuis plusieurs
décennies. Il masque mal la réalité du terrain et la conscience largement partagée, des écoles primaires jusqu’à l’Université, qu’un savoir bien construit est aussi essentiel qu’un savoir bien enseigné. L’Université est pleine de savants, chercheurs et enseignants,
formés à grand prix par la République française et acquis à ses valeurs. Ils sont capables et désireux de former les futurs enseignants du Primaire et du Secondaire. Une large partie d’entre eux a enseigné en collège ou en lycée et ils constituent la majeure partie des jurys de concours, CAPES et agrégation spécialement. Les progrès en matière de pédagogie ont été considérables et on ne peut qu’espérer toujours mieux en la matière.
Cependant, cela ne peut se réaliser aux dépens d’une formation initiale solide, celle qui renforcera la confiance du futur enseignant et ses capacités à transmettre, non pas du vide, mais de la matière à penser. L’expérience montre que des étudiants mal instruits font des professeurs démunis, quels que soient les publics d’élèves qui leur sont confiés.
La dévalorisation des contenus dans la formation des professeurs, portant atteinte à la respectabilité du métier, participe de la diminution continue des vocations. Elle inquiète tout autant au sujet des connaissances transmises aux élèves, socle pourtant nécessaire à la construction de leur esprit critique et, in fine, à la formation des intelligences de demain.
Il est urgent que la représentation nationale se saisisse de la question des savoirs dans la formation des futurs enseignants, afin de graver dans la loi les ambitions qui s’imposent pour l’éducation de la jeunesse.