Le déni français face aux menaces sur l’eau
Des consommateurs aux collectivités et producteurs d’eau potable, des industriels aux agriculteurs en passant par les énergéticiens, toute la société commence à éprouver l’ampleur du problème. Pourtant, le gouvernement a renoncé à toute mesure de long terme.
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En quelques années, la disponibilité et la qualité de l’eau sont devenues, en France et dans de nombreuses régions du monde, des enjeux critiques pour la santé, la pérennité des écosystèmes et l’activité économique. Des consommateurs aux collectivités et aux producteurs d’eau potable, des industriels aux agriculteurs en passant par les énergéticiens, toute la société commence à éprouver l’ampleur du problème.
Celui-ci a de particulier qu’il fait entrer en synergie les impacts de désordres mondiaux, comme le changement climatique, avec ceux d’une gestion locale de l’environnement catastrophique, marquée par la bétonisation des territoires, l’imperméabilisation de sols agricoles maltraités par soixante-dix ans de pesticides et d’engrais de synthèse, ainsi que par l’arrachage des haies qui a accompagné l’intensification de l’agriculture. Dégradé, l’écosystème joue de moins en moins son rôle d’amortisseur face aux pollutions et aux phénomènes extrêmes liés au réchauffement.
Les dégâts sont visibles et invisibles. Visibles comme dans le Nord-Pas-de-Calais où l’eau a débordé tout l’hiver, posant même la question de l’assurabilité de pans entiers de territoire. Visibles, aussi, dans les Pyrénées-Orientales où l’eau manque tant que la pérennité des activités agricoles historiques (vigne et arboriculture) est sérieusement remise en cause, à brève échéance.
Les dégâts sont aussi invisibles : la contamination de l’ensemble des masses d’eau françaises par des résidus de pesticides et autres contaminants chimiques se révèle toujours plus inquiétante. Au dernier pointage de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), environ un tiers de la population reçoit au robinet une eau ne répondant plus aux critères de qualité, essentiellement pour cause de contamination par des résidus de pesticides.
Production suspendue
Résultat : des captages ferment un peu partout en France, alors que les grandes sécheresses, aggravées par le réchauffement, sont devant nous. La contamination des nappes souterraines est telle que non seulement les collectivités et les producteurs d’eau potable sont confrontés à un casse-tête technique et économique pour pouvoir distribuer une eau de qualité à la population, mais les grands minéraliers font eux aussi face à une dégradation de la ressource.
Un embouteilleur des Deux-Sèvres a déjà vu sa production suspendue et de grands groupes comme Nestlé ou Alma font face à des situations ingérables. Il est probable qu’une bonne part des eaux de source et des eaux minérales produites en France ne répondent d’ores et déjà plus aux exigences de qualité, comme le suggère un rapport de l’Anses révélé par Franceinfo et Le Monde.
Face à cette situation, le gouvernement a renoncé à toute mesure de long terme. Au début de réponse apporté par la loi sur l’artificialisation des sols a succédé une série de décisions indiquant que le pouvoir n’a compris ni la mesure ni la nature du problème. Abandon de facto de l’objectif de réduction de l’usage des pesticides, plan Eau exonérant l’agriculture de tout effort d’adaptation, loi agricole favorisant la poursuite du productivisme, opposition à la proposition de loi sur l’interdiction des polluants dits « éternels », qui rendent déjà inexploitables de nombreuses sources d’eau potable, blanc-seing accordé aux grands irriguants et à la FNSEA. Pour éviter le mur, le gouvernement choisit d’appuyer sur l’accélérateur. Ce n’est pas judicieux.
https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/0
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