Quand elle démontre elle-même son inefficacité !
L’industrie photovoltaïque se base sur un argument essentiel pour justifier le déploiement des panneaux solaires sur des hectares de terres agricoles : ceux-ci rendraient des services à l’agriculture. Alors que le décret d’application censé encadrer les projets dits « agrivoltaïques » vient d’être publié ce 9 avril, Silence, en collaboration avec le journal L’Empaillé, publie les résultats d’un rapport confidentiel, qui révèle leurs conséquences désastreuses sur des vergers.
Produire à la fois de la nourriture et de l’électricité renouvelable : telle est la promesse séduisante des promoteurs de « l’agrivoltaïsme ». Cette notion controversée se base sur l’idée que, non seulement l’implantation de centrales solaires ne gênerait pas les cultures ou les animaux qui pâturent en-dessous, mais qu’en plus, elle leur serait bénéfique. Car en faisant de l’ombre, ces panneaux métalliques permettraient de lutter contre la sécheresse, d’économiser l’eau, ou encore de protéger les animaux.
Ce concept a été inventé par Christian Dupraz, chercheur à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, et Antoine Nogier, PDG de Sun’agri. Rachetée en 2022 par Eiffage, cette entreprise vend une technologie qui permet de piloter l’inclinaison de panneaux solaires à distance via un programme d’intelligence artificielle. Elle est considérée comme le nec plus ultra de l’agrivoltaïsme. (1)
En mars 2023, la loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables (APER) définit pour la première fois cette notion floue : une installation « agrivoltaïque » doit rendre quatre services à l’activité agricole : « augmenter le potentiel agronomique, adapter au changement climatique, protéger contre les aléas et améliorer le bien-être animal ». Alors que le lobby France Agrivoltaïsme, co-présidé par le PDG de Sun’agri et la FNSEA, a fait des pieds et des mains pour inscrire cette définition dans la loi (2), nous avons pu consulter un rapport confidentiel de l’entreprise qui met en doute la réalité de la plupart de ces services.
Présentant les résultats de leurs études entre 2019 et 2022, ce document dévoile de nombreux problèmes sur les vergers situés sous des panneaux : les rendements chutent, les arbres sont moins vigoureux, les feuilles sont plus sensibles et les fruits de moins bonne qualité. Alors que leur implantation coûte la modique somme d’un million d’euros par hectare, n’existerait-il pas des méthodes plus efficaces pour aider l’agriculture ?
Des arbres avec moins de rendements et de vigueur
Le premier service demandé par la loi Aper aux projets « agrivoltaïques » est « d’améliorer le potentiel et l’impact agronomique ». Or, dans ce rapport, publié en janvier 2023, Sun’agri alerte lui-même sur un ensemble de « risques associés à une diminution trop importante des rayonnements » solaires, à cause des panneaux. Sur la première parcelle expérimentale installée en 2019, l’entreprise a piloté l’inclinaison des panneaux en leur faisant suivre la course du soleil en permanence. Entre 3 ans, la croissance des troncs des pommiers sous panneaux a ralenti de pas moins de 30 % en moyenne. Cette « forte diminution […] reflète cependant que cette stratégie [de pilotage] n’est pas pérenne », admet Sun’agri.
Non seulement l’installation rend les arbres moins vigoureux, mais elle semble « augmenter la chute des jeunes fruits. » Oups… Et ce n’est pas tout ! Même quand Sun’agri pilote les panneaux de manière à réduire l’ombre, les feuilles des fruitiers en-dessous sont « plus grandes et plus fines, ce qui est associé à des risques de pertes d’eau par transpiration et de sensibilité aux ravageurs. »
Puis, ce rapport nous apprend que ces installations coûteuses n’améliorent même pas le rendement ! En moyenne, elles vont au mieux le maintenir et souvent le baisser. Ainsi, entre 2019 et 2022, les pommiers sous les panneaux ont produit en moyenne 28 tonnes par hectare et par an contre 40 tonnes sur la zone témoin, soit une baisse de rendement de pas moins de 30 % ! (3) Sun’agri reconnaît qu’« un taux d’ombrage trop important va limiter les rendements en fruits par manque d’acquisition carbonée. » Mais même avec un ombrage « réduit », le rendement des cerisiers sous panneaux a stagné et celui des nectariniers a diminué de 21 % par rapport aux témoins.
Des fruits avec moins de goût et de couleurs
La loi estime qu’une baisse du rendement peut être acceptable si tant est qu’il y ait une « amélioration qualitative » sous les panneaux. Mais malheureusement pour Sun’agri, ce rapport dévoile que « la qualité des fruits (sous ombrage) reste inférieure aux fruits témoins. » Les arbres captent moins de carbone, ce qui fait baisser la concentration en sucres des fruits de 20 % en moyenne sur les trois premières années. Les pommes sont moins sucrées et contiennent une plus grande proportion d’eau.
Ce n’est pas tout. Les cerises et les pommes sous les panneaux sont également moins colorées. Et la masse des nectarines baisse entre 9 et 14 % par rapport aux témoins. Et si les panneaux ont diminué les coups de soleil sur les fruits ainsi que les attaques de chenilles foreuses, en revanche, « les dégâts de bitter [ndlr : des taches liégeuses dues à une carence en calcium], de punaises et ceux dû aux traces de doigts lors de la récolte sont à surveiller car favorisés sous agrivoltaïsme », alerte le rapport. Mieux encore « les dégâts d’oiseaux et de punaises ne sont pas observés sur la modalité témoin » sans panneaux.
Malgré de tels constats, les ingénieurs de Sun’agri tentent de rassurer leurs financeurs. Ils comptent sur le changement climatique pour expliquer que leur technologie sera utile afin de protéger les cultures face au gel et à la canicule. En effet, « la protection contre les aléas » et « l’adaptation au changement climatique » sont deux autres conditions pour qualifier un projet « d’agrivoltaïque » selon la loi Aper. Que montrent donc les études de Sun’agri à ce sujet ?
Gel : ne pas compter sur les panneaux pour réchauffer l’air
Un épisode de gel au printemps peut détruire les fleurs, et ainsi mettre à mal la production d’un arbre fruitier. Les panneaux peuvent-ils limiter cette perte ? « Si on regarde l’effet des panneaux photovoltaïques sur la température de l’air, on observe très peu d’effets », admet Sun’agri. En cherchant bien, la société a réussi à détecter grâce à des capteurs infrarouges une augmentation de la température du sol de… 0,8°C au maximum. Sur les nectarines, les panneaux n’ont pas évité la nécessité d’avoir recours à des bougies et ont un effet minime par rapport à celles-ci : les panneaux ont réchauffé l’air de 0,3°C, pendant que les bougies le réchauffaient de 2°C.
Finalement, on réalise avec ce rapport que les dégâts du gel seraient limités surtout par… un retard de croissance des arbres sous les panneaux ! Car lorsque la croissance de la plante est ralentie, les fleurs sont à des stades moins avancés au printemps, et sont donc moins sensibles au gel. Ainsi, en mars 2020, Sun’agri constate que « ce léger retard phénologique a permis de limiter la sensibilité au gel des fleurs sous agrivoltaïsme. » Mais est-ce qu’un choix de variétés plus tardives ne ferait pas l’affaire ? Étonnamment, c’est ce que, sans le vouloir, l’entreprise suggère en expliquant que « ce premier axe de retard phénologique est le plus intéressant pour la protection face au gel ».
Malgré cet effet indirect, le rendement des pommiers sous les panneaux a diminué de 27 % par rapport aux témoins en 2020. Idem en 2022 : si Sun’agri observe moins de fleurs de nectarines gelées sous les panneaux, l’abondance de fleurs sur les arbres cette année-là fait que cela n’a eu « aucune conséquence sur le rendement à la récolte ». En somme, les panneaux n’ont pas amélioré le rendement des nectariniers. Un seul cas fait exception : le gel de 2021 a moins affecté les pommiers sous les panneaux que ceux témoins. Dans tous les autres cas d’épisode de gel, les rendements de vergers baissent sous les panneaux.
Quand des ingénieurs découvrent le vent
L’effet protecteur des panneaux est-il plus net contre la canicule que contre le gel ? Si Sun’agri mesure des températures légèrement plus faibles sous l’ombre des panneaux en juillet, il nous démontre que s’il y a du vent, les températures s’égalisent : il fait aussi chaud sur les zones témoins et que sur celles sous panneaux… c’est ballot, car dans le sud, du vent il y en a. Ainsi, « lors d’une journée estivale ventée », Sun’agri ne constate« aucune différence significative (…) en ce qui concerne la température maximale. Ces variations inter-journalières semblent être liées au vent qui homogénéise la température sur la parcelle ».
Et quid de la production de fruits ? En 2019, l’entreprise observe que les fruits des arbres au soleil stoppent leur croissance pendant une vague de chaleur, contrairement aux fruits sous les panneaux. Enfin un effet concret ? Pas si vite. Les premiers rattrapent vite leur retard une fois la canicule finie et retrouvent « leur trajectoire initiale ».
Et l’agroforesterie ?
Alors pourquoi déployer autant d’acier ? Même Sun’agri reconnaît qu’il existe des alternatives contre le gel : « Les méthodes de lutte passive, préventives sont les plus économiques et les plus efficaces : choix de la parcelle, choix de la variété, enherbement du sol et nutrition de la plante. » D’après Noëlle Dorion, enseignante à Agrocampus Ouest, l’agroforesterie peut augmenter les températures nocturnes jusqu’à 3°C (4), un effet « intéressant quand il s’agit de limiter l’effet du gel ». On est au-dessus de 0,3°C des panneaux photovoltaïques… Et en période de canicule, « les arbres peuvent diminuer la température de 2°C en journée, voire de 4°C sur certaines zones dans les journées les plus chaudes », constate l’agronome. Une différence à nouveau supérieure à celle observée sous les panneaux dans ce rapport.
Pourtant réalisé par la société Sun’agri elle-même, ce rapport révèle que les panneaux diminuent globalement la qualité et la quantité de fruits produits, et que leurs effets sur le gel et la canicule sont minimes. Face à ces résultats, nous pouvons légitimement douter des soi-disant services apportés par les projets dits « agrivoltaïques » à l’agriculture. Alors souhaitons-nous favoriser le déploiement de telles technologies ou rémunérer dignement les paysannes et paysans pour leur production d’une alimentation saine ?
Cette enquête a été réalisée en collaboration avec le journal L’Empaillé.
(1) Voir notre article « Sun’Agri, quand l’agrivoltaïsme rencontre le numérique », n° 524, septembre 2023.
(2) Voir notre article « Dans la gadoue agrivoltée », n° 524, septembre 2023.
(3) Le rendement des vergers sous les panneaux est de 29, 37, 19 et 25 tonnes par hectare en 2019, 2020, 2021 et 2022 respectivement, contre 43, 51, 10 et 54 tonnes par hectare chez les témoins.
(4) Voir l’article « L’arbre au service de la régulation climatique », sur le site Jardins de France et l’étude « Agroforesterie en système d’élevage ovin : étude de son potentiel dans le cadre de l’adaptation au changement climatique », publiée en 2018 sur le site HAL.