Cela se passe à Lyon
Malgré dix ans de présence en France et une intégration exemplaire, le jeune Keletigui Sylla, que ses amis appellent Kélé, a reçu une OQTF le 11 mars 2024. À l’heure où le repli identitaire relance l’éternel débat sur l’intégration des immigré⋅es, l’injustice qui frappe de nombreux⋅ses demandeurs⋅euses de titres de séjour tels que Kélé révèle l’hypocrisie derrière cette exigence.
Keletigui Sylla, que ses amis appellent Kélé, est arrivé en France en février 2014, alors qu’il n’avait pas quinze ans. Il fait alors partie de ces mineur⋅es non-accompagné⋅es (MNA) que les départements (et à Lyon la Métropole) ont la responsabilité de prendre en charge. Cependant, quelques mois plus tard, alors qu’il est pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) et scolarisé, il est visé par une enquête visant à contester sa minorité. Il est alors déclaré majeur sur la base de tests osseux, pourtant fermement décriés dans la communauté scientifique et par l’ordre des médecins pour leur absence totale de fiabilité au-delà de l’âge de douze ans. Ses conditions d’arrivée en France, avec un passeport de majeur âgé de 14 ans de plus que lui, laissé aux mains du passeur, constituent pour le Parquet une charge supplémentaire. Il est jugé en comparution immédiate avec l’assistance d’un avocat commis d’office et est incarcéré deux mois en prison pour adultes, pour faux et escroquerie à l’ASE, décision dont il n’a pas pu faire appel par ignorance de ce droit et des conditions pour son exercice depuis la prison.
C’est ainsi que l’état se dérobe à ses obligations et aux principes de la protection de l’enfance. C’est ainsi que Kélé passe de MNA pris en charge par l’ASE à sans-papiers hébergé chez des accueillants. Cependant Kélé est apprécié, et des soutiens continuent de se former autour de lui. Lui-même ne se décourage pas. Il entreprend des démarches pour la reconnaissance de son identité, il continue son « intégration ».
Il construit son parcours scolaire, obtient un CAP en 2016 et un Bac Pro en 2018. A la suite d’un accident sur une machine, survenu dans son école de production, et ayant entraîné une reconnaissance de handicap par la MDPH, il se réoriente et obtient un BTS Management Commercial Opérationnel en 2023. Sur le plan professionnel, Kélé n’a pas pu intégrer l’entreprise commerciale où il effectuait ses derniers stages de BTS parce qu’il n’a pas de papiers, malgré la volonté de la gérante de poursuivre son stage par une embauche, mais n’est pas resté inactif pour autant. Il est désormais indispensable à la bonne marche de la vie familiale d’une maman solo pour qui il garde un enfant et parfois quelques-uns de ses camarades.
En parallèle, Kélé participe à de nombreuses activités culturelles, dont témoignent notamment les deux lettres de 55 et 44 personnalités locales et régionales du monde de la culture, adressées à la préfecture en 2019 et en 2024. Dès 2015, il rejoint la chorale « Les Chant’ Sans Pap’Yé », de 2016 à 2019, il joue et co-écrit les premières pièces de théâtre de la « Compagnie Waninga ». Il fait partie du « Théâtre du Désordre des Esprits ». Depuis 2017, il est membre des ateliers d’écriture de l’« Association Dans Tous Les Sens », qui a publié un livret de ses poésies, « Écrire sans arrêt », que Kélé a présenté dans le cadre du festival « Écriture hors les murs », à Vaulx-en-Velin, le samedi 3 juin dernier, en présence de quelque 200 personnes.
Mais chaque démarche en direction de la préfecture pour obtenir un titre de séjour se solde par un échec. Après une décision favorable de la Cour d’appel administrative, la préfecture et le ministère de Gérard Collomb font appel au Conseil d’Etat, qui oblige la Cour d’appel à revenir sur sa décision en mettant en avant la primauté de la décision du tribunal correctionnel.
Depuis dix ans, Kélé se construit un cercle social riche, étendu, et varié, dépassant le simple cadre de ses activités. En dix ans, il s’est lié avec de nombreux français⋅es, de tous milieux et de tous âges, qui témoignent aujourd’hui de leur attachement pour Kélé. Malgré tout ça, Kélé s’est vu remettre le 11 mars dernier une nouvelle Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) avec Interdiction de Retour. Ces OQTF sont émises de manière quasi systématique par les préfectures, dès lors qu’une demande de séjour est refusée. Comme il n’existe aucune règle précise pour l’attribution des titres de séjour, les demandeurs⋅euses sont soumis⋅es au bon vouloir des préfets⋅es. Seul un recours au tribunal administratif ou une décision préfectorale peut annuler une OQTF. Aujourd’hui, Kélé est dans la crainte d’être arrêté et détenu en Centre de Rétention Administratif (CRA), ce qui entraînerait une procédure accélérée et nuirait au recours qu’il prépare avec son avocat. Alors pourquoi un tel traitement ?
Avec la loi Darmanin, le gouvernement exige des préfectures qu’elles multiplient les OQTF. Mme Fabienne Buccio, préfète du Rhône, fait du zèle en s’attaquant, depuis un bon moment déjà, à des jeunes majeurs totalement intégrés à la société française. Pour Kélé, elle prend prétexte de sa condamnation de 2014. Elle ne veut rien savoir, ni du passeport, ni des actes d’état civil, pourtant authentifiés par la Guinée, que Kélé lui a présentés depuis ! Ni de son intégration… Ni même de ses 10 ans de présence en France qu’elle met en doute en réclamant la preuve des premiers mois passés à la rue par Kélé, bafouant à nouveau ses droits en ne respectant pas la procédure en vigueur quand le demandeur atteste de dix ans de présence sur le sol français.
Par ailleurs, la situation de Kélé n’est pas isolée. Ce sont donc aussi des dizaines voire des centaines de jeunes à qui l’on inflige un traitement humiliant et destructeur, que l’on empêche d’obtenir ou de conserver leur emploi, leur logement, que l’on maintient dans une précarité qu’iels subissent au quotidien et que l’on prive de liberté comme s’iels étaient des délinquants. Dans le cas de Kélé, il serait également privé de l’accès aux soins dont il bénéficie suite à un accident sur une machine survenu pendant sa scolarité, soins qu’il lui serait impossible de poursuivre en Guinée faute de services adéquats.
Contre cette situation insoutenable, qui nous plonge dans la crainte d’être séparé⋅es de notre ami, le Collectif Jeunes RESF-69 et le collectif Soutenez Kélé ont lancé une pétition que vous pouvez trouver ici :
Des mobilisations vont suivre dont vous pourrez être informé⋅es en suivant les réseaux :
facebook : https://www.facebook.com/soutenezkele/
instagram : https://www.instagram.com/soutenezkele/
Si vous souhaitez en savoir plus :
Pour nous contacter :
Contact du Collectif de soutien à Kélé : soutenez.kele@gmail.com
Contact du Collectif Jeunes RESF-69 : resfjeunes69@gmail.com