Pour la libération de la Palestine et de tous les peuples du Moyen-Orient
Iran / Israel : réflexion en huit points
« Le 14 avril au matin, l’attaque sans précédent de la République islamique d’Iran (RII) contre Israël n’échappait à la couverture d’aucun média à travers le monde. Après que les grandes puissances, main dans la main, ont dressé le Dôme de fer impérialiste pour protéger l’État d’Israël, certains, espérant venger les Palestinien.nes, se sont extasiés devant le “courage” de la RII et n’ont cessé d’exprimer leur admiration pour la seule puissance de la région qui se serait dressée, seule, face aux puissances impérialistes. » C’est à ce mélange de fascination et de complaisance que, sans rien céder aux bourreaux des Palestiniens, répond le texte qui suit.
Dans cette guerre où Israël et Iran se montrent réciproquement les dents, certains ont sans la moindre honte pris le parti de l’État d’Israël ; d’autres, en Iran ou ailleurs, nettoient les crimes de la République islamique. Nous ne nous adressons pas à ces fascistes, mais plutôt à ceux qui suivent la logique selon laquelle « les ennemis de nos ennemis seraient nos amis ». Un raisonnement qui réduit les rapports complexes entre la RII et Israël à une lutte sans fin entre un bien et un mal et qui place dans un camp respectable, quiconque s’oppose à l’État d’Israël. Pour nous, défendre la cause palestinienne ne peut connaître d’autre voie que celle de l’opposition à la RII. Car celle-ci ne s’oppose pas à l’État d’Israël. Elle s’oppose aux peuples d’Iran et de toute la région. Car la libération des peuples n’est pas l’affaire des États. Car défendre la cause palestinienne, c’est se distancier de tout ce qui contribue à renforcer la domination israélienne sur les terres palestiniennes. Et depuis sa création et malgré tout le bruit qu’elle produit, la RII n’a fait que verser de l’eau au moulin de l’État d’Israël.
1. Ceux qui évoquent « le droit de la RII » à répliquer ne font que reprendre l’argumentaire de l’État d’Israël pour justifier l’anéantissement de Gaza et le génocide qu’il perpétue. Ils raisonnent dans un cadre dans lequel la vie des millions d’habitant.es au Moyen-Orient ne vaut rien. Que vaut le « droit à se défendre » de la RII, y compris selon les normes du droit international, si ce « droit » se traduit dans les faits par deux semaines d’effroi en Iran et de l’Irak au Liban, face à la perspective d’une guerre généralisée ? Au nom de quel droit, les peuples démunis et appauvris de la région devraient payer le prix de l’« honneur » bafoué d’une puissance qui prévient son ennemi de l’heure d’arrivée de ses missiles sur son territoire ?
2. Malgré leur opposition, la RII et l’État d’Israël et ses soutiens occidentaux constituent les rouages d’une même machine qui à chaque instant pousse le Moyen-Orient vers le précipice. A ceux pour qui le rôle de la RII dans la répression sanglante de la révolution syrienne contre la dictature Assad n’a pas suffi, nous rappelons le troc souterrain de l’Iran pendant la guerre qui l’a opposé à l’Irak. Au milieu de la guerre, d’un côté la RII scandait que « la route vers Al-Qods passait par Karbala », de l’autre elle achetait des armes auprès de l’État d’Israël pour combattre l’Irak. Humour amer qui a coûté la vie à des milliers d’Iranien.es et d’Irakien.es… Parlons aussi de son double jeu : d’un côté la RII prétend exclure tout échange commercial avec l’État d’Israël, de l’autre, elle ne respecte même pas la campagne « Boycott, désinvestissement et sanctions ».
3. Tout cela ne signifie que la RII et l’État d’Israël sont des puissances égales. Et elles ne peuvent pas compter sur des soutiens de même envergure. Mais il s’agit d’ennemis utiles l’un à l’autre. Partout où se déploient des luttes émancipatrices, tous deux réagissent par la répression. Tous deux s’appuient sur l’existence de l’autre pour dissimuler leurs contradictions internes et justifier leurs crimes. Cet état de « ni paix, ni guerre » leur permet de garantir, chacun, leur propre survie.
4. Autre raison pour laquelle l’attaque de l’État d’Israël par la RII en excite certains : la RII est un État enserré par les sanctions imposées par les États impérialistes. Et pourtant elle semble faire face, seule, à ces mêmes puissances. Mais la seule retombée de cette attaque pour les classes populaires d’Iran, c’est la chute de la valeur de la devise nationale, autrement dit, encore l’appauvrissement. Alors que les prix augmentent avec la valeur du dollar –sauf bien entendu, pour ceux qui se servent directement dans les revenus du pétrole–, le salaire journalier minimum est descendu à 3$. Ceux qui sont séduits par la puissance de la RII face aux puissances mondiales, savent-ils quelque chose de la vie de ceux qui en Iran ne survivent qu’en transportant des produits de contrebande (comme les Koulbar au Kurdistan) ou encore du carburant (comme les Soukhtbar au Baloutchistan) ? Savent-ils qu’au moment où la RII envoyait plus de 300 drones et missiles qui n’ont même pas frôlé les bouchers de Gaza, elle était incapable d’envoyer le moindre secours pour sauver d’une noyade des dizaines de Baloutches ?
5. Ce que la RII a gagné, on le voit immédiatement dans les rues des grandes villes iraniennes. L’attaque très contrôlée contre l’État d’Israël, gigantesque opération de communication, a permis de renforcer les bases d’une autre guerre, celle que la RII a déclaré aux femmes, dès sa naissance. Les rues de Téhéran et d’autres villes ont vu se déployer une guerre terrible. Une guerre qui cible le corps des femmes et leur âme révoltée, une guerre qui veut les femmes enfermées. Comment un tel régime pourrait émanciper les peuples opprimés de Palestine et de la région ? Est-ce que la logique, qui à juste titre, exige de combattre l’apartheid organisé par l’État d’Israël n’exige pas aussi de rester debout face à l’apartheid sexuel et de genre en Iran ?
6. Mais l’attaque de l’État d’Israël par la RII a aussi permis autre chose : en plus de blesser une enfant arabe, elle a réussi pour au moins quelques jours et partout dans le monde, à détourner l’attention des opinions publiques de Gaza et faciliter l’opération israélienne contre Rafah. En arrière-plan de cette guerre, les États-Unis ont encore une fois opposé leur veto à l’ONU contre la reconnaissance de la Palestine comme État. En réalité, ce sont les soutiens de l’État d’Israël qui devraient remercier la République islamique d’Iran.
7. Parmi les autres « réussites » de la RII au cours de son histoire, il faut aussi parler de la marginalisation de la cause palestinienne dans la société iranienne. Alors que cette cause était populaire, 45 ans d’instrumentalisation par le pouvoir ont fait naître au sein de la société iranienne une certaine indifférence, voire parfois, un rejet de la cause palestinienne. Parallèlement, l’État d’Israël a choisi quel courant de l’opposition soutenir, le courant fasciste, celui de la droite monarchiste. Elle le présente comme seule issue pour l’après-RII. C’est d’ailleurs au nom de cette même opposition binaire et exclusive (république islamique ou régime installé par les puissances impérialistes) que le pouvoir iranien réprime les mobilisations populaires à l’intérieur de ses frontières.
8. La RII tente obstinément d’instrumentaliser la montée de l’islamophobie en Europe et en Amérique du nord –islamophobie qui est l’un des visages du racisme en Occident. Elle tente ainsi de se présenter comme défendant les droits des musulman.es dans cette partie du monde. Ceux qui voient en la RII un bouclier contre cette islamophobie et qui la soutiennent pour cette raison, devraient se demander pourquoi dans la région administrative la plus peuplée d’Iran, celle de Téhéran (près de 20 millions d’habitant.es), les sunnites n’ont pas droit à une seule mosquée pour leur culte. Pourquoi les sunnites d’Iran, qu’ils soient baloutches, kurdes ou arabes, comptent parmi les populations les plus appauvries ? Pourquoi leur vie sont celles qui valent le moins en Iran ? Pourquoi les immigré.es afghan.es et en particulier les Hazaras sont privé.es des droits les plus élémentaires ? Ils doivent se demander comment un État dont les médias, officiels et officieux, diffusent des idées antisémites, pourrait soutenir l’antiracisme à travers le monde.
Pour nous, membres de Roja, la RII n’affaiblit pas l’apartheid organisé par l’État d’Israël. La voie de l’émancipation des peuples de la région ne peut passer que par un double combat : celui contre le régime d’apartheid israélien et ses soutiens et celui contre la République islamique d’Iran.
https://lmsi.net/Pour-la-liberation-de-la-Palestine-et-de-tous-les-peuples-du-Moyen-Orient
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L’horreur
Réflexions sur le massacre d’un peuple et les complicités dont il bénéficie
Depuis 7 mois, nous vivons un cauchemar, tétanisés par chaque nouveau « bilan humain » de l’abominable massacre du peuple palestinien. Et dont la dénonciation, en France, est désormais criminalisée.
Depuis sept mois, nous vivons dans l’horreur, encollé·es dans un cauchemar qui n’en finit jamais de ne jamais finir.
Depuis sept mois, tous les matins, nous découvrons, tétanisé·es, un nouveau « bilan humain » – l’expression elle-même est horrible – de l’abominable massacre dans lequel plus de 34 000 Palestinien·nes de Gaza, dont 70 % de femmes et d’enfants, ont déjà été tué·es. (Compte non tenu des victimes dont les dépouilles sont toujours ensevelies sous les décombres des villes rasées par l’armée israélienne – dont la reconstruction prendra au moins quatorze ans, selon l’ONU –, et pour ne rien dire de celles qui, par centaines, ont été abattues en Cisjordanie depuis le 7 octobre 2023.)
Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens (illégalement) occupés depuis 1967, a mis un nom sur cette immense tuerie : c’est, dit-elle dans un rapport publié au mois de mars, un « génocide ».
L’horreur n’est pas seulement dans ce décompte quotidien des Palestinien·nes assassiné·es : elle est redoublée par le constat, lui aussi journalier, que « l’Occident », si prompt à se donner comme le rempart de toutes les vertus et à se raconter qu’il s’était promis de ne plus jamais laisser perpétrer ce crime suprême contre l’humanité qu’est un génocide, encourage ici sa perpétration, par ses approbations tacites – lorsqu’il arme par exemple ses auteurs – comme par son acharnement à criminaliser, dans les universités françaises, notamment, quiconque proteste contre cette immonde boucherie.
La semaine dernière encore, la philosophe et publiciste Élisabeth Badinter, invitée d’une chaîne de la télévision française d’État, a ainsi pu déclamer, sous le regard béat de ses hôtes – qui ne l’ont bien sûr pas contredite –, et tout en soutenant évidemment (prétérition, quand tu nous tiens) qu’elle « compren[ait] très bien que des jeunes gens prennent parti pour les Palestiniens », que « jamais elle n’aurait pensé » que « tous » les étudiants et étudiantes de Sciences Po mobilisés contre le carnage en cours à Gaza « seraient à ce point antisémites ». (Puis d’insister : « L’antisémitisme se développe tous les jours grâce à eux. »)
Cela est faux, évidemment – et il faudra un jour se pencher sur les sordides ressorts de ces assauts répétés contre des mobilisations où de nombreux et nombreuses militant·es juifs et juives prennent une part importante. Mais c’est ainsi que, jour après jour, des accusations infâmes sont impunément proférées contre toute expression publique du gigantesque effroi où nous plonge la démesure du crime que nos dirigeant·es, à jamais discrédité·es par cette complicité, laissent perpétrer à Gaza.
Et c’est ainsi que pour mieux intimider et museler quiconque use de sa plus élémentaire humanité pour demander la fin du massacre, le mot servant à désigner la haine antisémite est vidé de sa substance par des idéologues prétendant pourtant lutter contre cette infection de l’esprit – et qui, par ce surcroît de ravage, rajoutent de l’horreur à l’horreur.