Palestine, un peuple qui ne veut pas mourir
Un livre d’Alain Gresh, Les Liens qui libèrent, 190 pages, 18 euros
Alain Gresh, fondateur du site d’information Orient XXI, rétablit quelques vérités de base du conflit israélo-palestinien.
Ce livre d’Alain Gresh, « écrit à chaud », fera du bien à tous ceux qui subissent impuissants l’immonde déferlement de propagande que nous infligent les grands médias : mensonges grossiers proférés par des professionnels de la parole jamais contredits, plateaux déséquilibrés au mépris de la démocratie, festival de préjugés racistes… On n’a évidemment aucune illusion. Ces pages, impeccables de rigueur et de savoir, ne vont pas renverser la table. Il n’empêche ! Ce travail est de salubrité publique pour maintenant et pour l’avenir.
Le socle de la démonstration est connu. C’est aussi le nôtre : le conflit israélo-palestinien est un conflit colonial. Gresh évoque les « razzias » algériennes du général Bugeaud qui préconisait d’empêcher les Arabes « de semer, de récolter, de pâturer » et recommandait une guerre à outrance « sans morale et sans nécessité ». « On croirait entendre Benyamin Netanyahou », écrit-il. C’est la doctrine des Ben-Gvir et autres Smotrich dans leurs raids en Cisjordanie.
Et Gresh pose une question iconoclaste, qui ne vient plus à l’esprit de personne, ou presque : pourquoi les Palestiniens n’auraient-ils pas le droit de se défendre ? Ce droit qui est accordé comme une évidence à la puissance coloniale. C’est tout ce qui fait l’intérêt de cet ouvrage qui remet à l’endroit une histoire qui a été inversée au point de faire des Palestiniens dépossédés de leurs terres les perpétuels agresseurs. L’État occupant, en Cisjordanie ou à Gaza, peut-il invoquer la légitime défense ?
Ce renversement de l’histoire repose sur une mystification qui a consisté à substituer à la question coloniale une grille de lecture qui transforme ce conflit en une guerre « contre le terrorisme », voire du Bien contre le Mal. Selon cette vision, le colon suprémaciste Ben-Gvir et son protecteur Netanyahou sont les incarnations du Bien. Gresh rappelle les usages immodérés que les puissances coloniales ont fait du concept de terrorisme. Mais cette vieille escroquerie historique pouvait-elle nous exonérer de qualifier de « terroriste » l’attaque du Hamas ? Il y a là débat.
Gresh sort de ce dilemme par une proposition qui nous convient : « Si l’on qualifie de terroriste le Hamas, il faut aussi qualifier Israël d’État terroriste. » Mais avec l’abus de ce concept, il ne s’agit pas seulement d’effacer la question coloniale, il s’agit aussi de recruter les pays occidentaux dans la guerre que mènerait Israël au « jihadisme » en leur nom. Là encore, Gresh rétablit des vérités devenues inaudibles. Le Hamas, aussi horrible soit son attaque du 7 octobre, n’est pas Daech. C’est une méthodique et cynique fabrication de la droite israélienne qui a promu le mouvement islamiste aux dépens de l’OLP parce que la centrale palestinienne était ouverte à la négociation et à la solution à deux États.
Gresh démonte ensuite les rouages d’une information sous influence israélienne. L’armée « est dans votre salon », dit-il, avec ce porte-parole omniprésent sur les chaînes d’information en continu. Gresh nous en dit un peu plus sur cet Olivier Rafowicz, vulgaire à souhait, et agressif dès qu’une question lui déplaît, membre d’Israel Beytenou, une organisation d’extrême droite raciste. Sa sœur, qui siège au comité exécutif du Medef, dirige une société de production qui fournit l’audiovisuel public en « enquêtes » et autres documentaires sur le sujet.
Gresh cite aussi des intervenants réguliers qui sont « par ailleurs » community managers de l’armée israélienne. L’art de la double casquette est pratiqué assidûment sans que le téléspectateur en soit informé. Le parti pris assumé ou inavoué résulte de l’idée qu’« Israël est un pays ‘occidental’ qui dispose d’un capital de confiance a priori ». Mentir à son profit, c’est mentir pour une cause juste. Celle de la démocratie. Rafowicz n’a pas d’autre argument. Lui poser une question qui l’embarrasse, c’est attaquer la démocratie. Une assertion qui occulte la question coloniale.
Car, comme l’écrit Gresh, « certes Israël est une démocratie, mais seulement pour les citoyens juifs ». Comme la France des années 1950 l’était en excluant les Arabes et les musulmans. Et puis, si l’on élargit le plan, il faut bien s’interroger sur « ce que Gaza fait au monde ». Le spectacle d’un « deux poids deux mesures » qui ruine la belle posture droit-de-l’hommiste dont les pays occidentaux aiment se parer ailleurs sur la planète. En apportant un soutien inconditionnel à Israël, les États-Unis et l’Europe creusent dans le monde une fracture dévastatrice.
D. Sieffert, dans le dernier numéro de Politis