Kanaky et Israël

Le retour des violences coloniales sur la scène médiatico-politique

Nouvelle Calédonie, Palestine. On pensait que le colonialisme était mort. Pourtant, l’explosion de violences de ces derniers mois fait éclater au grand jour des situations coloniales et montre que l’anticolonialisme est toujours loin de faire consensus.

Un article d’Al. GUILHEM, professeur d’histoire-géographie sur Mediapart

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https://blogs.mediapart.fr/alguilhem/blog/060624/kanaky-israel-le-retour-des-violences-coloniales-sur-la-scene-mediatico-politique

Extraits

D’un côté, l’insoutenable offensive armée du Hamas le 7 octobre 2023, relançant un conflit de haute intensité entre Israël et la Palestine. De l’autre, des émeutes kanaks en Nouvelle Calédonie contre un projet de loi constitutionnelle, relançant un conflit de faible intensité avec la métropole et les caldoches. L’attention médiatique et politique est attirée sur des violences spectaculaires qui nous contraignent à regarder en face des situations coloniales héritées d’un passé que l’on aurait eu tendance à penser révolu. Leur traitement en France révèle la persistance d’une idéologie coloniale dominante.

Des violences coloniales

En Nouvelle Calédonie, le conflit oppose les loyalistes, « caldoches » issus de la métropole, aux kanak, les autochtones. Le casus belli est l’élargissement du corps électoral qui menace les kanaks d’être submergés par le poids démographique des colons récemment arrivés, élargissement que le gouvernement en métropole semble vouloir acter au plus vite. L’enjeu est l’autodétermination du peuple kanak, mais aussi de ne pas ajouter à la minorisation économique et sociale, caractéristique des sociétés coloniales très visible en Nouvelle Calédonie, la mise en minorité politique. Il ne faut pas oublier que la Nouvelle Calédonie est sur la liste de l’ONU des territoires non autonomes à décoloniser.

Décoloniser n’est pas synonyme de faire sécession et faire sécession n’est d’ailleurs pas la panacée: on peut faire sécession sans décoloniser comme ce fut le cas dans les dominion britanniques d’Afrique du Sud, de Nouvelle-Zélande et d’Australie où les indigènes ont connu des situations coloniales de minorisation et d’apartheid bien après l’indépendance accordée par les Britanniques. A l’inverse, on peut décoloniser sans recourir à l’indépendance. D’abord, en garantissant la continuité territoriale des services publics entre la métropole et le territoire d’outre-mer. Ensuite, en résorbant les inégalités entre les populations d’origine européenne et les populations indigènes impliquées par un racisme structurel et des processus d’accaparement. Enfin, en garantissant la neutralité de l’État.

Mais le choix gouvernemental est au contraire de prendre le parti des caldoches. D’abord en en nommant une au gouvernement en la personne de Sonia Bacquès, puis en accédant à leur demande d’élargir le corps électoral en faisant fi des manifestations de désapprobation pacifiques des kanaks. Le choix gouvernemental est donc de suivre un processus de colonisation plutôt qu’un processus de décolonisation. Dès lors, pour les kanaks, la décolonisation ne peut que prendre la route de l’indépendance, ce qui ouvre la voie à toutes les violences. En refusant des demandes modestes, en y répondant par la force, l’État cristallise les oppositions et les rend irréversibles au point de radicaliser les revendications. C’est une mécanique vue et revue de la décolonisation d’après-guerre. En 1959, le plan Challe, lancé par le général de Gaulle en Algérie pour écraser les indépendantistes et rétablir l’ordre, fut un vrai succès militaire. Et après ? Aucun progrès diplomatique. L’État affiche par la débauche de violence répressive l’aspect coercitif de sa présence et renvoie l’image d’une puissance oppressive, enclenchant le cercle vicieux de la violence. Mais l’État n’est pas le seul acteur de la violence coloniale, il y a aussi la population locale d’origine européenne. Dans une île surarmée, les milices caldoches armées patrouillent et sévissent, jusqu’à l’assassinat de trois kanaks.  

Pour ce qui est du conflit israélo-palestinien, il existe plusieurs interprétations de ce qui fait l’aspect colonial de l’État d’Israël. Pour certains, c’est dans l’acte même de la création d’un État juif en territoire arabo-musulman, suivant le mythe « un territoire sans peuple, un peuple sans territoire » que réside le premier fait colonial. A rebours de l’histoire, au moment où les peuples de Syrie, d’Indochine et d’Algérie proclamaient leur indépendance, on validait par le droit international la mise en place d’une administration exogène en Palestine malgré le refus des habitants, celui des arabes comme celui de nombreux juifs locaux. Pour d’autres qui se basent sur le droit international, la colonisation réside uniquement dans le fait d’avoir élargi à plusieurs reprises ce territoire unilatéralement sans respecter les limites établies par l’ONU dans son plan de partage de 1947.

Dans tous les cas, cette situation coloniale a des racines profondes et les violences entre Israël et Palestine n’ont pas débuté le 7 octobre 2023. En effet, si l’État juif a été proclamé en 1948, l’exclusion des musulmans de leur territoire par les Israéliens a commencé dès 1949 avec la Nakbah, l’exode des arabes. L’exode ou plutôt le déplacement forcé, puisque ces migrations vers des camps de réfugiés improvisés, toujours remplis plus de 75 ans après, ont été encouragées par le plan Dalet, une stratégie de terreur portée par l’armée israélienne par des massacres de civils.

Il s’agit d’une forme de colonisation peut-être plus violente encore que celle des années 1880 puisque l’idée n’est pas d’exploiter les populations locales mais carrément de s’y substituer : on parle de colonisation de déplacement. Processus qui se poursuit. Bien avant les attentats du 7 octobre, Benyamin Netanyahu organisait la colonisation de la Cisjordanie en dehors des radars en grignotant chaque jour du territoire aux Palestiniens au prix de sévères violences comme le fait de sceller des puits avec du béton, de couper les réseaux électriques ou de détruire des habitations. Celle-ci continue encore à bas bruit et a engendré la mort de 126 enfants depuis le 7 octobre selon l’UNICEF.

Un retour fracassant de l’anticolonialisme comme ligne de partage sur l’échiquier politique

L’histoire enseignée ne fait plus l’apologie de la colonisation. Le Front de Libération Nationale (FLN) en Algérie, le Vietminh en Indochine, l’African National Congress (ANC) en Afrique du Sud ont tous acquis le statut de mouvements de résistance malgré leur violence. Ben Bella est désormais un héros de l’indépendance algérienne. Nelson Mandela est porté aux nues pour avoir lutté avec succès contre l’apartheid.

Arrêtons-nous cependant sur l’exemple éclairant de N. Mandela. Des années 80 jusqu’à 2008, N. Mandela figurait sur la liste des terroristes établie par les États-Unis. En 1987, Margareth Thatcher avait qualifié l’ANC d’ « organisation terroriste typique », et avait assuré : « Quiconque pense que l’ANC gouvernera en Afrique du Sud n’a pas les pieds sur terre. » 25 ans plus tard, le premier ministre conservateur D. Cameron rendait hommage à Nelson Mandela après l’annonce de sa mort : « Un grand homme a quitté ce monde. Nelson Mandela était un héros de notre époque. J’ai demandé à ce que le drapeau du 10, Downing Street soit en berne. », admettant que son parti avait eu tort de qualifier le parti de Mandela de terroriste.

Les leçons de l’histoire pourraient nous faire gagner du temps. Ne pas attendre que les opprimés renversent leurs oppresseurs pour se ranger dans leur camp. Au moins ne pas réduire leur combat à leurs violences mais en comprendre les motivations. Mais ce n’est pas le cas : quelles que soient les positions qu’ils défendent, les vainqueurs de l’histoire ont toujours raison et les perdants ont toujours tort.

On pensait que la colonisation était un fait unanimement réprouvé aujourd’hui. On pensait que trente ans de combats d’arrière-garde entre 1945 et les années 60, où la France avait été défaite, avaient eu raison de l’idéologie coloniale dans notre pays. On pensait que « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », porté après la Seconde guerre mondiale par l’ONU, était désormais reconnu par tous. Or, rien de tel. Le gouvernement choisit toujours le camp des colons contre les colonisés, les discours anticolonialistes sont toujours fustigés voire condamnés et ils sont d’ailleurs toujours aussi minoritaires dans l’espace médiatique.

Il faut voir comment Europe 1 parle de la révolte kanak, réduite au « chaos » et à « une flambée de violence » : « sur le chemin les pillards [c’est ainsi que sont qualifiés les émeutiers kanaks] cassent, brûlent, pillent des entreprises, des pharmacies, des voitures, creusent des trous sur les ronds-points pour empêcher les blindés de passer [sans s’interroger sur le bien-fondé de la présence de ces blindés sur le territoire national]… certains s’en prennent même aux habitations, le père de la présidente de la province sud Sonia Bacquès a vu sa maison complètement incendiée. Elle raconte cette scène d’horreur». S’en suit une interview de celle-ci où elle feint de croire que l’attaque de la maison de ses parents n’était pas ciblée en raison de ses responsabilités politiques mais par racisme « ils les ont insultés quand ils les ont vu en voyant qu’ils étaient blancs ». Le journaliste insiste : « Elle souligne que ses parents ont été attaqués parce qu’ils étaient blancs ». « La jeunesse kanak a été instrumentalisée à des fins politiques » ajoute un troisième larron.

Cette présentation très orientée fait des insurgés politiques des simples racistes financièrement intéressés par les pillages ou subissant un endoctrinement. On est dans le mythe très ancien du « mauvais sauvage » porté par une violence primitive sans s’interroger sur ce que cette lutte offensive peut avoir de rationnel et de légitime. S’ajoute une autre représentation fallacieuse très en vogue aujourd’hui pour justifier le maintien des inégalités raciales dans un monde où le racisme ne peut plus être ouvertement prôné, celui de l’inversion de l’accusation de racisme : celui qui lutte contre le racisme des dominants le ferait en fait, non pas porté par un désir d’égalité, mais en raison de son propre racisme, le racisme antiblanc.

Si un mouvement émeutier peu violent comme celui des Kanaks est aussi fermement condamné, alors comment pourrait-il en avoir été autrement pour la branche armée du Hamas qui mène une guérilla ? A partir du 7 octobre dernier, le soutien à la Palestine par les militants anticolonialistes français a été stigmatisé, condamné puis criminalisé. D’abord, la position de LFI dans son communiqué du 7 octobre, celle d’intellectuels qui mettaient en perspective les crimes de guerre du Hamas dans le temps long de l’histoire, a été taxée d’antisémitisme. Il s’agissait pour tous les médias mainstream et pour tous les partis (hors PC, LFI, NPA) de faire du 7 octobre le point de départ de la guerre entre Israël et Palestine, voire entre Israël et Hamas, comme si cette guerre ne concernait pas de fait tous les Palestiniens et avait été accouchée ex nihilo ce jour-là par la seule volonté du Hamas.

Cruauté pure. Pulsions meurtrières irrationnelles. Sauvagerie issue des abîmes. Surtout, pas de contextualisation. Surtout, ne pas donner à comprendre. Surtout, en rester à l’émotion. Sous peine d’être taxé d’antisémite.

Il ne faudrait surtout pas que les gens comprennent qu’Israël est en état de guerre depuis 1948, que les Palestiniens vivent dans le dénuement des camps de réfugiés depuis 1948, que la politique de colonisation israélienne n’a jamais cessé depuis 1948.

Dans le désert intellectuel que sont les médias et le monde politique français, des voix isolées s’élèvent, venues de l’ancien ministre des Affaires Étrangères Dominique de Villepin ou venues du monde associatif comme celle de Rony Brauman, ex dirigeant de Médecins Sans Frontières (MSF). La position de ce dernier est simple est juste : en termes d’empathie, il faut mettre sur un pied d’égalité les morts israéliennes et palestiniennes, en terme politique, il faut rappeler qu’il y a un occupant et un occupé. Or, ces deux positions, qui devraient faire consensus, sont condamnées.

Raphaël Enthoven et Caroline Fourest, sacrés intellectuels par la sainte onction des médias dominants, sont invités sur les plateaux télé pour affirmer que les morts palestiniennes et les morts israéliennes ne se valent pas. Ils viennent conforter les pratiques de ces mêmes médias, qui ont abondamment documenté les assassinats de 1200 israéliens le 7 octobre mais n’ont quasiment pas relayé les morts palestiniennes causées par la politique de colonisation agressive de B. Netanyahou chaque année et notamment l’opération « Bordure protectrice » en été 2014 qui avait engendré plus de 2300 morts.

Dans le désert intellectuel que sont les médias et le monde politique français, La France Insoumise est le seul parti de masse qui vient ouvertement contester cette idéologie dominante et nous rappeler à l’anticolonialisme. En 2024 encore, l’idéologie coloniale est encore tellement prégnante que la gauche radicale se retrouve toujours aussi seule à la contester, dans l’héritage des communistes du milieu du XXè siècle. Qui l’eut cru ? Bien sûr, ce n’est pas tout à fait pareil qu’à cette époque. Désormais, il faut distordre les faits pour être sûr de les faire accepter, camoufler la question coloniale, désinformer pour qu’elle ne saute pas aux yeux. Il ne s’agit pas de valoriser la colonisation, mais de ne pas la nommer.

Il s’agit de faire du colonisé un assaillant porté par des pulsions assassines inexplicables, de ne pas le nommer guérillero mais terroriste, de ne pas évoquer sa lutte décoloniale mais de le réduire à l’islamisme. D’en faire une question d’affrontement racial au lieu de mettre en lumière la question territoriale. La dispute sémantique, d’apparence dérisoire alors qu’ Israéliens et Palestiniens comptent leurs morts, revêt donc pourtant une importance capitale dans nos manières d’envisager le conflit et les responsabilités des uns et des autres.

Ainsi, le refus de LFI, contre vents et marées, de qualifier les crimes du Hamas de terrorisme, est fondamental dans la lecture de l’événement. Le terrorisme n’est pas clairement défini par les institutions internationales. Or, comme expliqué sur le site internet du musée mémorial du terrorisme, « l’absence de définition juridique universelle a, depuis le XIXe siècle, facilité les formes d’instrumentalisation de l’expression, parfois utilisées par des régimes non démocratiques afin de justifier la répression de leurs opposants. D’où la persistance de formes de suspicion quant à la pertinence du terme. »

On a tendance à qualifier de terrorisme un acte ponctuel d’une violence spectaculaire qui vient bouleverser une situation pacifique. L’attaque du 7 octobre est bien un acte violent ponctuel d’une violence spectaculaire mais la situation précédente n’était pacifique que pour les Israéliens, dont le bonheur repose sur l’oppression des Palestiniens déplacés dans des camps où ils vivent dans des conditions insalubres depuis plusieurs générations. Si l’acte du Hamas a rompu la quiétude des Israéliens, il a germé dans l’horreur des conditions de vie des Palestiniens. Le terme de « terrorisme » n’a pas vraiment de consensus scientifique quant à sa définition, il est simplement une qualification péjorative d’une action violente.

Ainsi, le mouvement de Nelson Mandela était qualifié de terroriste dans les années 80 et maintenant le parti qui l’avait qualifié ainsi revient sur ses propos. Pas de découverte historique nouvelle pourtant sur ses modalités d’action, c’est simplement qu’on s’accorde désormais sur la légitimité de ses objectifs. Dès lors, pour un mouvement politique antidécolonial, il n’est pas pertinent d’employer le terme épouvantail de « terrorisme » puisqu’il ne renvoie pas à une modalité d’action objective mais à une délégitimation très subjective du combat politique dans laquelle elle s’inscrit.

D’autant que cela donne une supériorité morale à la répression d’État féroce menée par les adversaires et permet de justifier un génocide, puisque l’action d’un État n’est jamais qualifiée de « terroriste ». Afin de mettre les crimes des uns et des autres sur le même plan, il vaut donc mieux employer le terme de « crime de guerre », d’autant qu’il s’appuie sur une définition juridique. Il est incroyable que cette position intellectuelle tout à fait compréhensible et argumentée ait été interprétée par tous les médias et tous les partis comme une position antisémite. Cela est au mieux de la bêtise, au pire de la malhonnêteté.

Les résistants français employaient des actions de violences contre des personnes, notamment le groupe du panthéonisé Missak Manouchian. Leur violence était dénoncée à l’époque, aujourd’hui l’État convient qu’il a défendu nos valeurs honorablement.

Le fait d’employer le terme de « résistance » ou de « terrorisme » pour les actes du Hamas n’est pas falsifiable : on pourrait factuellement défendre l’une ou l’autre position. Mais ce n’est pas pertinent : le terme à employer est celui de crime de guerre, parce qu’il est juridiquement défini, parce qu’il est objectif et parce qu’il rappelle que l’action du Hamas n’est pas accouchée ex nihilo d’une situation pacifique mais d’une guerre qui a cours depuis 1948. L’impression que le 7 octobre est à la genèse du conflit, véhiculée par les médias et l’ensemble de la classe politique en dehors de la gauche radicale, relève d’une compassion à deux vitesses que les victimes soient israéliennes ou palestiniennes et d’une déplorable inculture historique.

Le mot de « terrorisme » n’est pas nouveau, nous l’avons vu avec le cas de N. Mandela. Mais il porte aujourd’hui une charge déflagratrice bien plus puissante dans nos représentations d’Occidentaux traumatisés par les attentats islamistes du début du XXIè siècle. Il est l’épouvantail par excellence, le mot clef qui fait vriller. Pour punir les terroristes, tous les coups sont permis…

Même l’opposition au génocide est une position marginalisée

« On a du mal à entendre les leçons de morale de certains expliquer à la société israélienne qu’ils surréagissent », « On a du mal à entendre les leçons de morale à un peuple qui a souffert une telle atrocité jusque dans sa chair » déclarait le Premier Ministre Gabriel Attal le 6 mai 2024, après sept mois de meurtres de civils dans la bande de Gaza, devant le Conseil Représentatif des Institutions juives de France (CRIF).

Cette atrocité qui légitime toutes les autres selon G. Attal, c’est l’attaque du Hamas le 7 octobre. Mais le Hamas pourrait reprendre à son compte cet argumentaire pour justifier ses actes en remontant aux assassinats commis par l’armée israélienne dans le cadre de la politique coloniale offensive de B. Netanyahu. L’argumentaire pourrait aussi légitimer les actes à venir d’un peuple palestinien dont les bombardements massifs de ces derniers mois ont attisé la haine.

Ce cycle de la vengeance est sans fin. Même la loi du Talion « œil pour œil, dent pour dent » inciterait à plus de mesure : l’armée israélienne, dans son opération militaire de représailles, a tué 30 fois plus que le Hamas. Il ne s’agit pas de leçons de morale. Il s’agit d’abord d’humanité, de valeurs censées être communément partagées comme le respect de la vie. Il s’agit aussi de faire respecter le droit international, de faire cesser des crimes de guerres et d’empêcher un crime contre l’humanité.

La Convention pour la Prévention et la Répression du crime de Génocide, établie par l’ONU, définit le génocide comme la combinaison d’un élément psychologique : « l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel », et d’un élément matériel, qui comprend les cinq actes ci-après, énumérés de manière exhaustive : le meurtre de membres du groupe, des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe, la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle, des mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe, le transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. Il apparaît évident que l’intentionnalité et au moins trois éléments de leur matérialité sont réunis dans l’opération militaire israélienne menée actuellement dans la bande de Gaza.

Commençons par la matérialité des faits. 37 000 morts dans la bande de Gaza, dont une moitié d’enfants. 82 000 blessés. Selon l’UNICEF, un enfant y est blessé ou tué toutes les 10 minutes. C’est le bilan humain actuel de la violence de masse déchaînée par Netanyahou en représailles du 7 octobre. C’est le chiffre donné par les autorités palestiniennes et confirmé par l’ONU selon qui ce chiffre est même sous-estimé, de nombreuses personnes portées disparues reposant probablement sans vie sous les décombres. 95% de la population de la bande de Gaza souffre de sous-alimentation organisée par Israël. 57% des infrastructures d’accès à l’eau ont été endommagées, 87% des infrastructures scolaires, 82% des infrastructures de santé. 188 écoles qui servaient de refuge aux population déplacées ont été visées par des frappes aériennes. 1.7 million de Palestiniens ont fui le Nord pour se réfugier dans le Sud. C’est là désormais qu’Israël a décidé de frapper, ne laissant plus aucun échappatoire aux civils palestiniens.

Quid maintenant des intentions ? Les discours des autorités israéliennes sont ouvertement génocidaires1. Dès 2015, Ayelet Shaked, alors ministre de la Justice de B. Netanyahu et avant d’être nommée ministre de l’Intérieur, affirmait : « Le peuple palestinien tout entier est l’ennemi » et justifiait sa mort « y compris ses personnes âgées et ses femmes, ses villes et ses villages, ses biens et ses infrastructures ». Elle estimait que les mères israéliennes donnent vie à des « serpents » selon un processus de déshumanisation caractéristique de la veille d’un génocide.

Ce genre de propos s’est généralisé au lendemain des attentats du 7 octobre. « Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence » déclarait le ministre de la Défense Yoav Gallant. « Il n’y a pas de civils innocents à Gaza » a affirmé quant à lui le président Isaac Herzog suite au 7 octobre. « C’est toute une nation qui est responsable. Cette rhétorique selon laquelle les civils ne sont pas au courant, ne sont pas impliqués, n’est absolument pas vraie. Ils auraient pu se soulever, ils auraient pu lutter contre ce régime maléfique. » a-t-il ajouté. « Si nous agissons de manière stratégiquement correcte et encourageons l’émigration, s’il y a 100 000 ou 200 000 arabes à Gaza et non pas 2 millions, tout le discours du jours d’après sera complètement différent » affirmait M. Smotrich, ministre des Finances d’Israël.

Eliyahu Yossian, ancien officier militaire et formateur israélien, a dit à la télévision : « Il n’y a plus de population à Gaza, il y a 2.5 millions de terroristes. Il est inutile de leur envoyer des missiles d’avertissement ». Dans le même registre, Giroa Eiland, général israélien, a déclaré après le 7 octobre : « Nous visons à créer les conditions pour que la vie à Gaza devienne insoutenable », « Gaza deviendra un endroit où aucun être humain ne peut exister. Nous menons une guerre existentielle. ». J’arrête ici une énumération qui pourrait prendre, comme l’a fait l’Afrique du Sud dans sa requête devant la Cour Internationale de Justice, plusieurs pages.

Pas étonnant alors que le procureur de la CPI, Karim Khan, ait réclamé des mandats d’arrêt contre Benyamin Netanyahu et son ministre de la Défense, Yoav Gallant, pour des crimes tels que «le fait d’affamer délibérément des civils», «homicide intentionnel» et «extermination et/ou meurtre». Karim Khan, dont la candidature à la tête de la CPI avait été soutenue par Israël, a aussi demandé des mandats contre trois hauts dirigeants du Hamas. Il a néanmoins été taxé d’antisémitisme par Benyamin Netanyahu.

Note

1Sources des citations : https://www.lemonde.fr/international/article/2023/12/31/guerre-israel-hamas-le-ministre-israelien-des-finances-a-preconise-un-retour-de-colons-a-gaza-apres-le-conflit_6208556_3210.html

https://contre-attaque.net/2023/11/04/paroles-de-tortionnaires/

https://contre-attaque.net/2023/11/24/paroles-de-genocidaire/

https://law4palestine.org/wp-content/uploads/2024/02/Database-of-Israeli-Incitement-to-Genocide-including-after-ICJ-order-27th-February-2024-.pdf