Cela concerne le nucléaire
Vous connaissez le proverbe « Un homme averti en vaut deux ». Personne ne sait si cela marche aussi pour les femmes, mais une chose est sûre, il y au moins une exception chez les hommes : les Ukrainiens.
En effet, à quelques jours du 26 avril, la date anniversaire du début de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, qui a donc eu lieu sur leur sol, les Ukrainiens ont entamé la construction de deux nouveaux réacteurs.
Ou plutôt ils ont cherché des fournisseurs à même de leur fabriquer des réacteurs, en écartant – on se demande bien pourquoi – les Russes qui avaient pourtant construit la quinzaine de réacteurs encore actifs actuellement et une bonne vingtaine d’autres qui ont été fermés ou dont la construction a été stoppée ou annulée suite au drame de 1986.
Ce nouveau chantier permet de constater que les Ukrainiens n’ont absolument pas compris l’avertissement de la catastrophe commencée en 1986 et qui fait toujours des ravages : aujourd’hui encore, 38 ans après, des millions d’habitants vivent en zones contaminées et consomment des produits irradiés, en Ukraine, en Biélorussie (Bélarus) et en Russie. Le plus terrible est que des enfants nés 10 ou 20 ou même 30 ans après l’explosion funeste en sont toujours victimes.
La seule (infime) excuse que l’on peut trouver aux Ukrainiens est de ne pas avoir choisi le réacteur français EPR, pourtant proposé par EDF avec un argument imparable : « Grâce aux enseignements tirés de toutes les graves déconvenues que nous avons rencontrées sur notre chantier EPR de Flamanville (Manche), nous pouvons vous assurer que la construction se déroulera cette fois -ci parfaitement bien. »
Il faut dire que, sur Terre, tous les gens qui suivent de près ou de loin les informations concernant l’industrie et l’énergie savant que les nucléocrates français sont parfaitement incapables de construire leur propre réacteur, ce pauvre EPR. Il est donc logique que les (rares) clients se tournent vers d’autres fournisseurs.
« Pas du tout ! » s’écrient les adorateurs de l’atome : « Malgré les problèmes rencontrés à Flamanville, les Britanniques ont quand même commandé deux EPR à EDF ».
Eh bien non : avec notre argent, EDF a d’abord racheté British energy au prix fort (juste avant que les cours ne s’effondrent lors de la crise financière de 2008) avant de… se commander les dits deux EPR.
Pas très malins (puisqu’ils ont voulu ces réacteurs) mais pas complètement idiots non plus, les dirigeants britanniques ont signé avec EDF un contrat qui pénalise très lourdement les Français en cas de retard du chantier et c’est, bien entendu, ce qui est en train de se passer et de s’aggraver continuellement.
Tout ça pour dire que, finalement, les Ukrainiens ont commandé à l’entreprise étasunienne Westinghouse deux réacteurs de modèle AP1000. Ce qui, disons le clairement, n’est pas beaucoup plus malin que de prendre des EPR !
En effet, trop occupés à résister à l’envahisseur russe, les Ukrainiens n’ont probablement pas eu le temps de se renseigner, auquel cas ils auraient découvert que les américains sont pratiquement aussi embourbés avec leur AP1000 que les français avec l’EPR.
Voyez un peu : après avoir annoncé des dizaines d’AP1000 un peu partout aux USA, Westinghouse n’a lancé la construction que de 4 réacteurs : deux en Caroline du Sud, dont le chantier a été abandonné en plein milieu du fait de l’explosion de couts qui a d’ailleurs entrainé la faillite de l’entreprise.
Et deux en Géorgie, après renflouement de Westinghouse par l’argent public (comme toujours dans le nucléaire). Le premier est péniblement entré en service en 2023 avec sept ans de retard et un coût doublé !
On peut imaginer que les Ukrainiens ont trouvé que ce n’était pas si mal… comparé à l’EPR de Flamanville avec ses douze ans de retard et son prix multiplié par six !
Maintenant, il va falloir expliquer aux Russes qu’ils doivent être très gentils et ne pas s’en prendre au chantier, alors qu’ils ne se gênent pourtant pas pour bombarder les installations ukrainiennes existantes, y compris le site nucléaire de Tchernobyl (toujours dangereux même si les derniers réacteurs y ont été arrêtés en 2000), sans parler de la centrale nucléaire de Zaporidja qui a carrément été prise par l’envahisseur !
On imagine que Washington va discrètement contacter Moscou pour signifier que de nombreux cadres américains sont sur le chantier et qu’il ne faut pas les bombarder sous peine de représailles. Mais tout le monde sait bien que, pendant les guerres, il y a des bombardements dont l’origine est contestée, les uns et les autres s’accusant mutuellement.
Mais enfin, si Westinghouse retrouve la notice de construction et le mode d’emploi, et s’ils n’ont pas été détruits entre temps, ces réacteurs pourraient produire de l’électricité vers 2040. Ce sera assurément trop tard pour « sauver le climat » et, peut-être, trop tard aussi pour participer à l’effort de guerre. En tout cas, on peut reconnaître aux Ukrainiens qu’ils ne manquent pas de panache : construire une centrale nucléaire en pleine guerre, c’est lumineux, et même irradiant !
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Stéphane Lhomme ; dans le mensuel « la décroissance »