Une école pilotée par Veolia et Jean-Michel Blanquer
Créée par Veolia, dirigée par Jean-Michel Blanquer et financée par une filiale de Dassault, Terra Academia s’affiche comme une école de la « transformation écologique », adossée à des partenaires académiques.
Créer des formations dédiées à la transformation écologique, telle est l’ambition de Terra Academia, une association créée par Veolia, avec à sa tête, l’ex-ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer. « Terra Academia est une école et un accélérateur des compétences et des métiers nécessaires à la transformation écologique », peut-on lire sur le site de ladite école, qui entend décliner des campus dans chaque région française en « s’appuyant sur les entreprises à tous les échelons ».
Outre le géant des services environnementaux Veolia, les premières entreprises mobilisées sont Dassault Systèmes, EDF et le groupe des enseignes de bricolage Adeo (anciennement Leroy-Merlin).
Du CAP au master, en passant par un institut des hautes études pour former des cadres, Terra Academia entend former 150 000 personnes d’ici à 2030. Pour ses ambitions académiques, l’école autoproclamée affiche un conseil scientifique, qui réunit plusieurs dirigeants ou anciens dirigeants d’établissements publics de formation et recherche.
La présidente du conseil scientifique est Anne-Lucie Wack, directrice générale de l’Institut Agro qui rassemble les « grandes écoles » d’ingénieurs agronomes d’Angers, Dijon, Montpellier et Rennes. Le conseil scientifique compte également Bruno David, ancien président du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), Philippe Baptiste, président directeur général du Centre national d’études spatiales (CNES) ou encore Nicolas Glady, directeur de Telecom Paris.
Passage en force
Outre l’affichage académique, Terra Academia a besoin de partenariats avec des établissements publics de formation et recherche. Ne serait-ce que pour délivrer des diplômes à ses étudiants. Parmi eux, l’Université d’Artois et l’institut Mines-Telecom (IMT).
L’Institut Agro était à deux doigts de figurer dans cette liste. Mais la mobilisation de son personnel, des enseignants en particulier, pourrait bien en décider autrement.
« Le projet de partenariat avec Terra Academia a été présenté au conseil d’administration (CA) de l’Institut Agro le 22 mars, alors que nous n’avions que très peu d’éléments sur son contenu. La direction nous a pressé pour ne pas passer à côté de ce qui était présenté comme une opportunité. Mais les représentants de tout le personnel – enseignants, ingénieurs, techniciens, etc. – ont largement critiqué la proposition et le vote a été reporté au prochain CA de juin », raconte une représentante des personnels présente au CA, Monique Royer.
La liste des critiques contre le projet est longue. Prétendre qu’il faut s’associer à des grands groupes privés, sous la houlette de Jean-Michel Blanquer, pour pouvoir former à la transition, a été mal accueilli.
Outre l’image écornée de l’ancien ministre de l’Éducation nationale, dont la gestion autoritaire n’a pas laissé un bon souvenir au corps enseignant, les fonctionnaires interrogés voient un risque pour l’indépendance de l’enseignement, avec des solutions guidées par les entreprises finançant Terra Academia.
« Former à la transition écologique, c’est ce que l’on fait déjà. Mais avec ce type de partenariat, le risque est que le contenu des formations soit dicté par les intérêts privés des entreprises plutôt que par l’intérêt général », souligne Chiara Pistocchi, enseignante-chercheuse de l’Institut Agro, élue à la Commission des Enseignants de l’école de Montpellier.
D’autant que les enseignants n’ont pas d’éléments sur ce qui est attendu d’eux. « Va-t-il falloir donner des cours sur les campus de Terra Academia, leur fournir nos contenus ? », s’interroge-t-elle.
« Un précédent dangereux »
Les enseignants refusent de s’entendre rétorquer qu’ils diabolisent le secteur privé. « On travaille déjà avec le privé, il y a des chaires d’entreprises, mais dans un cadre défini par l’école et pas l’inverse », pointe Didier Ollé, ingénieur enseignant, élu à la Commission de l’enseignement et de la vie étudiante de l’école de Montpellier. Un point de vue partagé par Chiara Pistocchi qui voit « le risque que les entreprises aient le contrôle sur le contenu des formations. Cela peut créer un précédent dangereux. »
Les représentants interrogés dénoncent aussi la mise en concurrence entre les formations des écoles publiques et une structure privée, qui en plus viendrait puiser dans les compétences et les financements publics à travers les formations.
« Pour certains professeurs, s’associer avec une filiale de Dassault est aussi inacceptable. Quelles valeurs met-on en avant en s’associant à un marchand d’armes ? », poursuit Chiara Pistocchi. Les principales critiques ont été résumées dans un courrier envoyé à la direction de l’Institut Agro et à sa tutelle, la direction générale de l’enseignement et de la recherche du ministère de l’Agriculture.
L’absence de réponse depuis maintenant près de trois semaines n’est pas en mesure de rassurer les opposants au projet. Une pétition lancée le 23 mai en interne face à la crainte de voir le projet passer en force avait déjà recueilli plus de 157 signatures le 27 mai. « Il n’est pas prévu, à ce stade, de porter le sujet devant les instances de l’établissement pour décision », tempère la direction.
Premier campus à Arras
« Les modalités de collaboration avec les partenaires académiques sont opérées au cas par cas », nous répond de son côté l’équipe de Terra Academia, précisant que la compétence diplômante et la responsabilité pédagogique des formations revient au partenaire académique, mais que « si le partenaire en fait la demande, Terra Academia peut apporter des outils complémentaires permettant de faire évoluer les formations : contenus pédagogiques sur la transformation écologique en contexte territorial, kits de coloration des maquettes de formations, référentiels de compétences et kits de découverte des métiers essentiels à la réussite de la transformation écologique, moyens techniques… »
Interrogée sur la concurrence possible avec les établissements de l’enseignement supérieur, l’équipe estime qu’il n’y en a pas : « Concrètement, avec un diagnostic territorial de Terra Academia, nous sommes en capacité d’analyser les défis écologiques du territoire dans lesquels nous nous implantons et d’estimer l’offre en formations et compétences liés à la transformation écologique, pour déterminer les leviers d’action les plus efficaces. L’objectif de Terra Academia est donc, avant tout, de compléter l’offre de formations et non de s’y substituer. »
Un premier campus a été inauguré à Arras en mars 2024 et un partenariat a été signé avec l’Université d’Artois pour la formation continue. Jérôme Longuépée, directeur du service de la formation continue, décrit à Reporterre la complémentarité entre les deux organisations : « L’université a des compétences de formation sur la transformation écologique, mais elle valorise souvent mal ses formations, manque pour certains cursus de candidats et cherche à développer la formation professionnelle. En face, Terra Academia nous garantit des contacts avec des entreprises et des flux de publics – cadres et élus notamment – pour nos formations. »
Et la réception du projet par le personnel de l’université ? « Cela dépend des collègues », reconnaît Jérôme Longuépée : « Pour certains enseignants-chercheurs, l’idée de s’emparer de thèmes comme les bouleversements écologiques ou la crise de la biodiversité pour en faire de nouveaux métiers et de nouveaux marchés passent mal. D’autres collègues travaillent en revanche déjà avec des entreprises et des collectivités et ont bien accueilli le partenariat. »
Le 2 mai, l’institut Mines-Telecom a, quant à lui, passé le pas en signant un accord de partenariat avec Terra Academia. La communication officielle donne peu d’éléments sur sa nature, si ce n’est l’engagement « à développer des échanges et des coopérations visant à atteindre des objectifs communs liés à la transformation écologique ».
Fabrice Flipo, professeur de philosophie à l’institut Mines-Telecom, déclare à Reporterre avoir découvert ce partenariat après sa signature : « Nous n’avons eu aucune information sur son contenu et les syndicats non plus. » Ce chercheur spécialisé dans le domaine du développement durable se dit par ailleurs « inquiet de cette décision unilatérale de la direction de l’IMT, qui augure mal du contenu pédagogique du partenariat ».
Ces dernières années, enseignants et étudiants des écoles d’agronomie se sont justement distingués par plusieurs prises de positions publiques pour des formations à la hauteur de la crise écologique, notamment l’appel à bifurquer des étudiants d’AgroParisTech en 2022.
En 2020, lors de la fusion des écoles au sein de l’Institut Agro, les étudiants avaient écrit une lettre ouverte à leur direction. « Les étudiants demandaient des enseignements en ruptures avec l’existant, une transition forte, des changements systémiques… et pas des solutions exclusivement techniques maîtrisées par les entreprises », soupire Chiara Pistocchi.
Reporterre