Il n’’est pas (encore ?) l’union du peuple
À moins de se contenter d’un « peuple de gauche » à 32% des votants, 16% des inscrits, l’union des partis de gauche n’est pas encore l’union du peuple. Une victoire électorale à l’arrache n’en serait pas réellement une non plus. Tant que la moitié de ce dernier récuse la fraternité, la solidarité avec les travailleurs des autres pays on ne pourra pas parler de victoire.
On se réjouit de l’unité de candidature à gauche pour les élections du 30 juin. Mais tant que les idées de l’extrême droite ne seront pas clairement défaites, sur l’immigration en particulier, tant qu’une fraction non négligeable, même des électeurs de gauche, adhéreront aux discours contre les immigrés, et plus largement tant que l’axe stratégique de l’alliance des travailleurs du Nord et du Sud ne sera pas assumé, aucune victoire ne sera réellement en vue. Pour cela un programme catalogue de mesures ne suffit pas. Il faut monter au créneau contre l’idéologie de l’extrême droite, ce que la gauche n’a fait, ni lors de la préparation de la loi contre l’immigration, ni lors des européennes, et qu’elle ne semble pas plus déterminée à faire lors de ces législatives. Il ne suffit pas de qualifier le RN de fasciste et de dangereux, de lui coller une étiquette, comme si cela le rendait condamnable de façon évidente pour tous. Ses idées sont faibles mais répandues. Elles contaminent non seulement une fraction du peuple, mais malheureusement aussi cette fraction du peuple qui se veut de gauche. Il faut attaquer ces idées sans espérer les laisser sous le tapis.
La lutte contre l’immigration
Habilement, mais aussi obligé, le RN fait passer la lutte contre l’immigration après le pouvoir d’achat, première préoccupation des Français. Or sur ce point il est vulnérable : opposition à l’augmentation du Smic, demande de baisse des impôts, en particulier sur la fortune, et donc en conséquence baisse des services publics, proximité avec des milliardaires comme Bolloré etc. Comme les partis de droite il ne remet pas en cause le capitalisme. François Ruffin le résume très bien : « Marine Le Pen est l’autre candidate des riches ».
La haine de l’étranger fait toujours partie de la base idéologique de l’extrême droite, mais sur une base économique et non raciale. Cette position est doublement fragile.
1) parce qu’elle est factuellement fausse,
2) parce qu’elle va à l’encontre des nécessités économiques de l’impérialisme que cette extrême droite défend par ailleurs.
D’où les réticences d’une fraction des oligarques à l’arrivée du RN au pouvoir : sur l’immigration zéro par exemple. D’où aussi les « adaptations » lorsque cette extrême droite est au pouvoir, comme Meloni en Italie ou Orban en Hongrie qui font venir des centaines de milliers de travailleurs immigrés après avoir prétendu leur fermer la porte, voire les « remigrer ». Or la gauche n’a pas assumé haut et fort la défense les travailleurs immigrés : ni lors de la préparation de la loi immigration, ni lors des européennes. Voir l’échec de la gauche face au RN ? l’immigration ! Elle a fait l’autruche : moins on en parle mieux c’est. C’est aussi ainsi que l’immigration est devenue la 2ème préoccupation des Français.
Le programme du Nouveau Front Populaire n’affronte toujours pas la question. Ce programme est proposé en 3 phases : les 15 premiers jours ? rien sur l’immigration, les 100 jours suivants ? Rien non plus. Enfin le 18ème point (sur 20 au total) propose des mesures telles que la suppression de la dernière loi inique sur l’immigration, (ce qui remet en vigueur les lois iniques précédentes ?). Surtout les immigrés sont défendus comme des victimes, pouvant accréditer l’idée fausse qu’ils coutent chers, et non comme la fraction la plus exploitée des travailleurs, et qu’à ce titre ils font partie intégrante du peuple. Symboliquement le droit de vote pour ceux des travailleurs qui en sont privés n’est toujours pas revendiqué.
La sécurité et l’ordre biaisés
Cette revendication très légitime, la gauche l’abandonne également trop facilement au RN, en particulier en lui laissant faire le lien avec l’immigration. Les plus exploités, dont font partie les immigrés, sont toujours plus proches de la rue. « Les viols de rue » que met en avant Marion Maréchal se voient plus que les viols dans les familles et les châteaux, bien plus nombreux pourtant. Les agressions et les deals de drogue dans les rues qui pourrissent la vie des gens, mobilisent des petites mains souvent issues de l’immigration, car ce sont des activités dangereuses et mal rémunérées. Ces délits se voient aussi beaucoup plus, alors même qu’ ils se font au profit d’un grand banditisme financier, qui gangrène l’économie, les institutions, et la société tout entière. Grand banditisme qui, comme la grande corruption, sont des pointes avancées du capitalisme que le RN ne remet jamais en cause.
Nationalisme sans perspectives internationales
Une autre brique de l’idéologie du RN est le nationalisme qui est mis à mal par l’organisation mondiale de la production, comme par la prise de conscience que le désastre écologique ne s’arrête pas aux frontières. C’est pourquoi ce nationalisme diffère aussi du nationalisme précédent : malgré ses rodomontades il est sur la défensive, en retrait. Ce n’est plus l’offensive de « l‘empire français » et de « l’Algérie française ». Ce sont des barrières et des murs, pas des corps expéditionnaires que réclame le RN. La « préférence nationale », si lourde de division et de menaces pour les travailleurs en France, mine en même temps la cohérence de l’extrême droite. Elle est une autre faiblesse idéologique du RN, elle l’empêche d’avoir un soutien international. Le RN ne peut pas participer à un axe mondial tel que l’organisaient Hitler, Mussolini et autres avec le fascisme en coagulateur. L’extrême droite n’a pas de charpente internationale : leurs leaders dans le monde, Poutine, Trump, Netanyahou, Milei, Modi sont divisés. Leur mot d’ordre « Make mon pays great again », MAGA, le vieux slogan de Reagan repris par Trump, par sa nature même ne peut pas être fédérateur et génère des rivalités. Certaines de ces forces ont régressé aux élections européennes du 9 juin, en Pologne, en Hongrie, dans les pays nordiques. Elles n’ont pas été capables de créer un groupe unique au parlement européen. Ces forces se font battre ou régressent lors des nombreuses élections organisées cette année dans le monde comme Bolsonaro au Brésil, Erdogan en Turquie, Modi en Inde, le PRI au Mexique… Lorsqu’elles sont élues comme avec Milei en Argentine, elles font l’objet d’une révolte instantanée. Leurs leaders les plus en vue, Poutine, Netanyahou sont des parias sur la scène internationale, et Trump n’est pas encore élu. Au contraire l’unité des travailleurs immigrés et natifs, ne peut qu’avoir l’appui des travailleurs du monde entier. Cette unité contribue à l’alliance entre les travailleurs du Nord et du Sud, aide à la convergence des conditions de vie qui est la seule solution pour réduire les immigrations subies. Seule solution aussi pour que le monde ne soit pas instable, conflictuel, seule solution pour garantir la paix.
Des religions antagonistes et en perte d’influence
Le nationalisme était souvent dans le passé consolidé par un intégrisme religieux. Or la pratique religieuse est en déclin dans de nombreux pays même si la radicalisation des religions peut masquer le phénomène. Malgré le soutien de l’église orthodoxe à l’agression de l’Ukraine par la Russie les églises y sont désertes. Aux États-Unis aussi la pratique religieuse est en déclin malgré (ou à cause ?) de la mobilisation des évangélistes en soutien aux crimes de guerre de l’état qui se veut juif d’Israël. Les échecs des terrorismes islamiques comme Al Qu’aida ou l’État islamique, qui sont aussi des expressions de cette mouvance d’extrême droite, comme le frein à l’offensive indouiste de Modi en Inde, sont d’autres manifestations des limites de ces idéologies nationalistes religieuses. La défense de la « France chrétienne » de François-Xavier Bellamy et Marion Maréchal parait incongrue au sein de l’extrême droite elle-même, et contribue à disloquer son socle idéologique.
De même l’antisémitisme historique de l’extrême droite est contré par sa volonté de soutenir les agressions israéliennes, ce qui constitue un autre ferment de confusion. Au lieu de s’étrangler d’indignation à partir de cet holdup historique et de se défendre de l’accusation d’antisémitisme, la gauche devrait passer à l’offensive, en prouvant ce non-antisémitisme par exemple en proposant d’accueillir en France les Israéliens qui se désolidarisent de la campagne criminelle d’Israël, comme nous avons accueilli les colons pieds noirs. La dénonciation de la seule islamophobie, seule religion qui semble défendue dans le programme du Front populaire, n’est de nature, ni à contrer l’extrême droite, ni à unir le peuple. Seule une mise à distance et une critique de toutes les religions, critique bien sur ni violente ni même autoritaire, est susceptible d’unir le peuple. C’est la seule façon également de ne pas laisser à l’extrême droite l’apparence de la défense de la laïcité.
Pas une alternative au capitalisme en crise
Enfin l’idéologie non dite de l’extrême droite et sa faiblesse fondamentale c’est son adhésion sans réserve au capitalisme. D’une part elle ne peut concevoir une alternative aux crises capitalistes et d’autre part elle fera ce que le système économique lui imposera. On l’a vu à propos de l’immigration avec Meloni et Orban. On voit déjà Jordan Bardella, pas encore désigné comme premier ministre, « reculer devant l’obstacle » comme sur les retraites par exemple. La motivation de la majorité des électeurs du RN est qu’il n’a pas « encore été essayé », c’est bien loin d’une adhésion à une idéologie fanatique ! Elle n’en est pas moins fausse si on met en relief que le RN n’est qu’un des « essais » du capitalisme, dans lequel il s’inscrit totalement même s’il représente les intérêts d’un groupe de milliardaires différent de celui au pouvoir. Encore faut-il pour cela que la gauche elle assume une alternative au capitalisme. Quoi d’autre que le communisme ?
Combattre les idées de l’extrême droite pour unir le peuple
Si un catalogue de mesures permet d’unir les organisations de gauche, on ne peut faire l’économie d’une critique frontale des idées de l’extrême droite. C’est ainsi que se dégage une ligne politique susceptible d’unir le peuple, de passer des 16% à 99% des électeurs : alliance avec les travailleurs du Sud, à commencer par les travailleurs immigrés ici, dénonciation des propagandes nationalistes et religieuses, soutien à la démocratie et au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes que ce soit en Palestine, Ukraine ou Kanaky, dépassement du capitalisme, le communisme finalement…
Pour tenir dans la durée il faut des axes solides de rupture avec le système existant. Le programme suivra. Celui de la Nupes n’a pas été très viable. Il faut donc assoir le programme sur un socle solide sinon ce sera d’autres déceptions et se rappeler que l’assemblée du premier Front populaire est celle aussi qui a fini par voter les pleins pouvoirs à Pétain en 1940…
Blog de J. Lancier sur mediapart