Le casse-tête climatique

Le comité d’organisation des JOP de Paris 2024 a présenté le 27 juin ses projets afin de compenser les émissions de gaz à effet de serre de l’événement sportif.

Cet enjeu technique dévoile à quel point les JO sont difficilement compatibles avec le chaos climatique.

C’est sans doute l’épreuve la plus ardue des Jeux olympiques (JO) de l’été 2024 : tenir le pari d’émettre deux fois moins de CO2, le principal gaz à effet de serre responsable du dérèglement climatique, qu’à Londres en 2012.

Jusqu’ici, l’équipe de Paris 2024 n’avait communiqué que sur la répartition de son budget carbone : un tiers pour la construction (villages olympiques et des médias, centre aquatique de Saint-Denis), un tiers pour le transport (des athlètes, spectateurs, spectatrices et journalistes), et enfin un tiers pour le reste (alimentation, énergie, etc.).

Pour la première fois, le comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop) a présenté jeudi 27 juin ses projets de « contribution » climat. Ou comment compenser 1,473 million de tonnes de CO2, soit 100 000 tonnes de moins que l’objectif affiché par les organisateurs (1,58 million de tonnes). C’est à la fois peu par rapport au total des émissions en France chaque année. Mais c’est aussi beaucoup dans la perspective de la décarbonation d’ici 2050. Bref, derrière son apparence technique, cet enjeu est très politique : les JO sont-ils compatibles avec le choc climatique ?

Pour y répondre, le Cojop bénéficie du soutien de Marion Guillou, spécialiste des questions alimentaires et membre du Haut Conseil pour le climat, qui l’a félicité de son « volontarisme » en ouverture de conférence de presse.

Neuf projets à l’international

Que retenir de ces annonces ? À ce jour, Paris 2024 a acquis pour 11,3 millions d’euros de crédits carbone. Ce système de compensation volontaire consiste au versement d’aides financières à des projets qui créent ou préservent des systèmes qui absorbent du CO2 (reforestation, protection de zones naturelles, aide à des projets énergétiques renouvelables, etc.). En échange de l’argent dépensé, les entreprises polluantes obtiennent le droit de déduire de leur bilan carbone le CO2 que ces actions permettent d’éviter.

En l’occurrence, le Cojop a décidé de soutenir neufs projets de compensation carbone à l’international : au Kenya, en République démocratique du Congo, au Rwanda, au Sénégal (où doivent se tenir les JO de la jeunesse en 2026), ou encore au Vietnam.

Protection de la mangrove, accès à l’eau, installation photovoltaïque, foyers de cuisson améliorés, mais aussi actions en faveur de l’éducation et contre les inégalités de genre. Les projets présentés correspondent aux critères de la responsabilité environnementale et sociale des entreprises. Ils ont été apportés à Paris 2024 par une start-up spécialisée dans le conseil en marché carbone, Abatable (qui compte parmi ses clients Nestlé, Axa, Chanel, etc.) et le bureau d’études EcoAct, filiale de Schneider Electric.

62 % des crédits carbone issus de ces projets internationaux ont fait l’objet d’une labellisation Verified Carbon Standard (VCS), gérée par l’ONG américaine Verra, qui à elle seule certifie les trois quarts de tous les crédits carbone du globe (voir les annexes). C’est la norme de compensation carbone la plus utilisée au monde. Deux des cinq projets estampillés VCS bénéficient d’un label supplémentaire de Verra, plus axé sur la conservation de la biodiversité et le soutien aux communautés.

Problème : en mai 2021, une enquête conjointe du Guardian et Unearthed (la branche d’investigation de Greenpeace) a dévoilé que le système de calcul de réduction des émissions des projets certifiés VCS par Verra n’était techniquement pas fiable.

Rebelote, en janvier 2023 : The Guardian, le collectif d’investigation britannique SourceMaterial et l’hebdomadaire allemand Die Zeit ont publié une enquête montrant que 94 % des crédits carbone certifiés par Verra issus de la protection des forêts tropicales n’avaient en réalité aucun bénéfice pour le climat. Le programme de certification de Verra aurait surestimé en moyenne de 400 % la menace de déforestation sur les zones qui abritent les projets de compensation carbone, ce qui a eu pour effet de surévaluer l’effet bénéfique de ces projets.

Par ailleurs, les projets de compensation carbone dans les pays du Sud sont de plus en plus controversés pour leurs dérives en matière de respect des droits humains et, notamment des droits des peuples autochtones, qui sont de plus en plus documentées, en Asie, sur le continent africain, comme en Amérique du Sud.

Compensation carbone à la française

En complément, le Cojop a également lancé en mars 2023 un appel d’offres pour financer des projets en France afin de compenser l’émission de 35 000 tonnes d’équivalent CO2.

Ces projets sont estampillés « Label bas-carbone », le seul standard de compensation carbone applicable en France et qui a été lancé en 2019 par le ministère de la transition écologique. « Le Label bas-carbone est un cadre de certification de changement de pratiques agricoles ou forestières synonymes de diminution des émissions ou de capture de carbone. Il s’étend aussi désormais à d’autres secteurs, comme les déchets ou le bâtiment », explique Stéphanie Barral, sociologue de l’économie à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation ou l’environnement (Inrae). 

L’appel d’offres des organisateurs des JO était structuré en trois lots finançables durant au moins deux ans : un pour des « projets élaborés dans le cadre de méthodes forestières », un autre pour des projets agricoles et un dernier intitulé « Autres méthodes ». Toutefois, comme l’a confirmé le Cojop à Mediapart, suite à des contraintes budgétaires, seul le lot dit « forestier » a finalement été attribué (à l’Office national des forêts et à la Société forestière de la Caisse des dépôts) et compensera à peine 14 500 tonnes d’équivalent CO2.

Pour les JO 2024, quatre projets ont été retenus, dans le Val-d’Oise, dans l’Aisne et dans les Vosges. Mais l’efficacité climatique de cette labellisation peut poser question car, comme le souligne Stéphanie Barral : « Ce sont les organisations professionnelles qui ont tenu la plume pour élaborer le cahier des charges du “Label bas-carbone”. Pour son versant forestier, c’est le Centre national de la propriété forestière [organisme qui représente les 3,5 millions de propriétaires forestiers privés en France, placé sous la tutelle du ministère de l’agriculture – ndlr] qui a apporté son expertise technique. Cela pourrait occasionner un potentiel conflit d’intérêts. »

Et la chercheuse d’ajouter : « Le gros problème de ce label, c’est qu’il repose sur des financements privés, irréguliers, et que pour l’instant les crédits n’arrivent pas à se vendre. Financer des fours améliorés pour les femmes en Afrique subsaharienne pour qu’elles consomment moins de bois reste beaucoup moins cher que de faire pousser de la forêt en France. » D’après les organisateurs des JO 2024, le coût de la compensation carbone en France serait 6 à 7 fois plus élevé qu’à l’international.

Il faudra attendre la clôture de l’évènement pour pouvoir dresser le bilan carbone complet de Paris 2024. Le think tank d’experts The Shifters vient de calculer que l’impact sur le climat des déplacements des spectateurs et spectatrices internationaux pourrait être le double de ce qui est prévu jusqu’ici, autour de 1,1 million de tonnes de CO2.

Béton au bilan carbone sous-estimé 

Les émissions CO2 des constructions olympiques pourraient aussi être sous-estimées. D’abord parce que l’Arena de la porte de la Chapelle n’a pas été comptabilisée, car « la ville de Paris allait le construire de toute façon », avec ou sans Jeux, expliquent les organisateurs.

Ensuite parce que le village olympique a été en partie construit avec du béton « bas-carbone », voire « ultra bas-carbone ». La société de livraison des ouvrages olympiques met en avant deux solutions « innovantes » : la gamme Exegy de Vinci – qui a construit une partie du nouveau quartier – et le béton H-UKR de l’entreprise Hoffmann Green.

Ces deux produits ont le même problème : ils remplacent le composant le plus polluant, le clinker, par un déchet de la production d’acier, le laitier. Or cette matière est notoirement sous-estimée dans les bilans carbone des industries.

« Au début, l’empreinte carbone du laitier n’était même pas comptée, explique Guillaume Meunier, expert en construction bas carbone, et coauteur d’une analyse qui a beaucoup circulé dans le milieu des architectes, estimant autour de 400 kilos de CO2 par tonne l’empreinte carbone du laitier. L’État a imposé aux cimentiers de le prendre en compte. Mais les valeurs choisies sont nettement plus faibles que ce que nous avions proposé. »

Le ministère du logement a recommandé en 2021 de compter 83 kilos de CO2 par tonne, soit 5 fois moins. « C’est très bien d’utiliser du béton bas carbone. Mais la vraie solution c’est de réduire la quantité de béton », poursuit Guillaume Meunier. Malgré ces énormes moyens, le volontarisme climatique de Paris 2024 a ses limites.

mediapart

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