Tou(r)s sous surveillance

Pour une critique active et engagée de la vidéo-surveillance à Tours

L’auteur – prononcer J point… comme point de vidéo-surveillance ! – a récemment proposé à L’Antivol de publier ses écrits sur le sujet. Nous n’avons pas hésité un seul instant, vu leurs qualités tant informatives que réflexives et leurs façons de marier éclairages généraux et enquête locale, en l’espèce tourangelle. Sans oublier quelques pointes d’humour qui ne gâchent rien. Voici donc le quatrième volet d’une série de 5 (voir ici les 1, 2 et 3), distribué au format papier durant l’été 2023…

Cette surveillance que la mairie veut invisibiliser

Afin de normaliser et rendre acceptable les différentes formes de surveillance (fichages de la population, pouvoir accru de la police, flicage technologique…), les différents gouvernements de droite comme de gauche ont fait voter ces dernières décennies une foultitude de lois. C’est ainsi que des textes d’encadrement de la vidéo-surveillance ont pullulé.

Depuis le 17 octobre 1996, la loi impose aux municipalités une obligation d’information concernant la présence de caméras dans l’espace public. La CNIL rappelle que « l’installation d’un système de vidéoprotection doit être portée à la connaissance du public par voie d’affiches ou de panonceaux, comportant un pictogramme représentant une caméra et précisant au moins l’identité et les coordonnées du responsable du traitement et du délégué à la protection des données. » Il doit aussi être précisé qu’il existe un droit d’accès aux images et un droit de réclamation auprès de la CNIL (1). Or, à Tours, l’information laisse à désirer. Panneaux présents uniquement à l’une des entrées des rues, annonce de zones de vidéo-surveillance sans que celles-ci soient circonscrites, panneaux indiquant une vidéo-verbalisation dans des espaces où sont aussi présentes des caméras de surveillance, etc. D’autre part, les informations inscrites sur les panneaux sont parcellaires et parfois illisibles.

On peut comprendre ce manque de zèle à appliquer la loi. En effet, la mairie ne souhaite pas communiquer sur le renforcement du flicage des Tourangeaux et Tourangelles. On pouvait reconnaître, au moins, à la dernière municipalité de droite (C. Bouchet 2017-2020) d’assumer et de revendiquer son amour pour les technologies liberticides (inauguration médiatisée, en décembre 2018, de la 100ème caméra, place de la Liberté) (2). D’ailleurs C. Bouchet a salué la continuité de son travail (d’installation des caméras) dans une tribune datant de décembre 2023 (3).

L’actuelle municipalité préfère procéder à ces implantations en catimini misant certainement sur l’indifférence, l’accoutumance et/ou la résignation des habitant.es. La seule contestation offcielle provient du groupe local LFI (pourtant allié des écolos) qui a mollement fait part de « ses regrets » devant l’accroissement du nombre de caméras (4). Accroissement, notamment justifié pour pourvoir à la sécurité de l’équipe de rugby d’Irlande accueillie en septembre 2023. Outre le risible de l’argument, on constate qu’une fois les Irlandais partis, les caméras sont restées.

Notre but ici n’est pas d’appeler la mairie au respect de la loi. Une caméra, qu’elle soit annoncée ou pas, reste un outil de surveillance et une violation de notre droit à ne pas être épié.es. Elle doit être retirée ou mise hors d’état de nuire.

Nous voulons simplement dénoncer l’hypocrisie qui caractérise la municipalité actuelle. Municipalité qui, d’un côté, axe une partie de sa communication sur la démocratie participative (tautologie marketing à la mode) et qui, d’un autre, renforce la surveillance de toutes et tous sans concertation ni information.

Mais peut-être instruisons-nous un mauvais procès. Ce manque de transparence doit résulter simplement d’une carence d’imagination. Voici donc quelques idées pour informer les habitant.e.s de la ville :

la visite gratuite et commentée du CSU (et son écran de 12m2) par P. Geiger (adjoint aux caméras) lors de la journée du patrimoine ;

l’inauguration en une journée, et en mode footing, par E. Denis des 45 caméras installées depuis 2021. Petits-fours locaux et Vouvray bio à chaque étape ;

l’indication sur la cartographie open data du site de la mairie de toutes les caméras municipales ;

la couverture d’un futur Tours magazine, annonçant en grande pompe la mise en service de la 200ème caméra. Nous proposons comme titre « La droite en a rêvé, nous l’avons fait ! » ;

la possibilité de voter lors des prochains « budgets participatifs » un « projet citoyen » pour le remplacement de toutes les caméras par des nichoirs à oiseaux ainsi que la transformation du CSU en une ludothèque de jeux d’occasions.

La surveillance numérique ou la déjà-là dystopie

Il faudra un jour analyser en profondeur tout ce que les technologies de la surveillance doivent aux récits science-fictionnels (romans, films, bédés) (5), tant il est désormais courant de trouver les origines des outils d’espionnage actuels dans certaines œuvres considérées comme des classiques d’anticipation. Nous en relisons ou en revoyons désormais certaines en invoquant le cliché que « la réalité a dépassé la fiction ». Nous nous étions rassuré.es, à l’époque, en qualifiant ces récits de dystopiques (récits renvoyant à un futur incertain et bien souvent non-enviable).

Cette mise à distance a quelque part empêché de se rendre compte que la dystopie est en fait depuis longtemps notre présent. Ce que l’on pourrait nommer la déjà-là dystopie (6).

Ainsi le développement de logiciels ayant recours à de puissants algorithmes, à des rationalités cybernétiques ou à la reconnaissance faciale, est un nouveau clou dans le cercueil des libertés individuelles et collectives. Alors qu’ils ont colonisé la justice (7) ou encore la médecine, il n’est en rien étonnant de retrouver ces systèmes appliqués à la surveillance. Pourquoi les utiliser ? Simplement parce que les premiers systèmes d’épiement, désormais archaïques, se heurtaient à des limites techniques. Comment regarder et analyser les images retransmises en temps réel par des caméras de plus en plus nombreuses sur des écrans eux en nombre limité…

Ces technologies permettent de faire voler en éclats toutes les barrières et offrent des solutions sans limite pour démultiplier notre flicage.

Ainsi, toutes les surveillances sont désormais imaginables, illimitées et possibles.

Paramétrables à souhait, les logiciels utilisés par les smart cities (la novlangue chic et techno pour parler d’une ville sous surveillance) ont acquis une puissance de calcul sans fin. Possibilités de définir une couleur et un style de vêtement (porter une capuche/une casquette/un voile/un masque…), l’âge et la couleur de peau d’une personne, un moyen de transport (avec sa plaque minéralogique), renforçant de ce fait le pouvoir cynégétique de la police. De plus, étant investi d’un pouvoir démiurgique et divinatoire, ces logiciels induisent que tous les comportements peuvent devenir suspects. S’asseoir plus de quelques minutes sur un banc ou rester debout et immobile, courir dans la rue, marcher en groupe, etc. Des centaines de critères sont paramétrables.

Et les notifications de comportements « anormaux » d’inonder les ordinateurs, tablettes et téléphones portables de la police municipale.

D’aucun.es pourraient penser que cela est toujours de l’ordre de la dystopie. Mais de tels logiciels sont déjà utilisés dans de nombreux pays y compris en France. Le média en ligne Disclose a révélé fin 2023 (8) que le ministère de l’Intérieur utilise illégalement depuis 2015 un logiciel de la compagnie israélienne BriefCam (Israël est à la pointe de la surveillance, cf. le logiciel espion Pegasus de NSO Group). Utilisation illégale car non déclarée à la CNIL et interdite jusqu’à présent (mais depuis les « lois J.O 2024 » en la matière, plus rien n’est interdit).

Nous pouvons aussi noter que les logiciels dits « prédictifs » tels que Predpol ou Key crime sont utilisés depuis de nombreuses années. La Gendarmerie Nationale utilise Map Revelation depuis 2015 (pour plus d’infos, voir le rapport de La Quadrature du Net https://www.laquadrature.net/).

Ces logiciels entérinent durablement une ère de la suspicion et du contrôle (cf. G. Deleuze et M. Foucault). De plus, le développement des technologies liberticides avance de conserve avec un discours politique axé sur une certaine sécurité (qui est tout sauf sociale) et le développement de la main droite de l’État (pour reprendre la terminologie de P. Bourdieu). Ce que confirme E. Macron, dans un discours de 2019, lorsqu’il appelle de ses vœux à « la nécessité de bâtir une société de vigilance ». C’est-à-dire une société dont les figures tutélaires paternalistes sont le policier, le militaire, le juge et le maton.

Au côté de BriefCam (racheté par Canon en 2018) ou de Map Revelation, Obvious technologies, via son logiciel OODA, nous promet une ville administrée par la police (rien d’étonnant pour une société créée par un ex-cadre du GIGN). Certaines de ces entreprises, labélisées French fab et French tech, reçoivent des aides de l’État et sont régulièrement présentes au salon Milipol aux côtés de vendeurs d’armes du monde entier.

L’espace public est dorénavant à l’image de ces magasins vidéo-surveillés, saturés de vigiles et truffés de panonceaux d’articles de lois, nous rappelant que nous ne sommes pas considéré.es comme des clients et clientes mais comme de potentiel.les voleurs et voleuses.

Alors la prochaine fois que vous courrez dans la rue, que vous vous assoupirez sur un banc ou que vous marcherez avec vos ami.e.s, dites-vous que vous ne serez peut-être déjà plus considéré.es comme un.e citoyen.ne en retard, fatigué.e ou sociable mais comme un.e suspect.e d’un possible crime ou délit déjà commis ou à venir.

À notre connaissance, aucun système de VSA (vidéo-surveillance assistée) n’est encore utilisé à Tours. Mais le partenariat, depuis 2019, entre Axis Communications (marque chouchoute de la mairie pour la fourniture de caméras dômes et panoramiques multi-capteurs) et BriefCam n’est pas vraiment rassurant. Si E. Denis en reste là gageons qu’un C. Bouchet (candidat aux municipales de 2026) franchira, le sourire aux lèvres, le Rubicon. Il pourra remercier son prédécesseur de lui avoir mâché le travail.

Proposition d’action

Détruire une caméra est un peu technique et nécessite quelques précautions. Voici une action pour personnes moins téméraires.

La mairie a créé une adresse mail, donneespersonnelles@ville-tours.fr, permettant aux personnes filmées d’accéder, conformément au RGPD, aux enregistrements qu’elles ont subis.

La municipalité n’ayant pas communiqué (à part sur quelques panneaux) sur cette nouveauté censée sauver notre droit à l’image, nous imaginons que les journées sont ternes pour les préposé.e.s à ce service. Nous proposons donc de les occuper afin de leur éviter une perte d’intérêt pour ce métier d’utilité publique.

Mode d’emploi

1/ Créez une adresse mail fictive sous un nom insignifant du type Aurore Bergé (Aurore.Berge37@proton.me)

2/ Rédigez un mail (voir ci-dessous un exemple) à : donneespersonnelles@ville-tours.fr

Indiquez fictivement une date (une journée de forte affluence ou pendant une manif), un horaire (vague), une rue surveillée par une caméra et un descriptif physique (habillement passe-partout). Votre demande peut concerner plusieurs caméras. Les images étant détruites tous les 15 jours, prévoyez un délai inférieur entre votre mail et la date fictive. (Emplacement des caméras : https://tours.sous-surveillance.net/)

3/ Attendez une réponse. On vous demandera de venir à la mairie (avec une carte d’identité) pour vous reconnaître sur les vidéos. Annoncez un jour et un horaire fictif mais ne vous embêtez pas à y aller puisque a priori vous n’avez pas de CNI au nom d’Aurore Bergé.

4/ Supprimez votre compte mail.

5/ Recommencez l’opération autant de fois que vous le souhaitez.

Exemple de mail

« Madame, Monsieur,

Je vous prie de bien vouloir m’indiquer si des images me concernant ont été enregistrées par votre dispositif de vidéo-surveillance de la rue Bretonneau, de la Place du Grand Marché et de la rue de Châteauneuf pour la date du 22/01/2023 entre 15h00 et 15h30. Je portais ce jour-là un manteau noir et un bonnet bleu marine.

Dans l’affirmative, je vous demande de bien vouloir me donner l’accès à ces images, en application de l’article 15 du Règlement général sur la protection des données (RGPD).

Je vous remercie de me faire parvenir votre réponse dans les meilleurs délais et au plus tard dans un délai d’un mois à compter de la réception de ma demande (article 12.3 du RGPD). (formule de politesse de votre choix) »

lantivol.com