L’OCDE, l’École et le gouvernement Macron

La récente « étude économique » de l’OCDE sur l’école française pourrait devenir une feuille de route pour le nouveau gouvernement Macron

Elle appuie fortement sa politique éducative et veut accélérer la privatisation de l’École.

L’École française prend une grande place dans la récente « Étude économique » consacrée par l’OCDE à la France. Dans une cinquantaine de pages, les économistes de l’OCDE reprennent certains enseignements de PISA et surtout élaborent des recommandations pour l’École française.

L’état des lieux de l’école française est sans surprise. Les résultats de l’école française sont dans la moyenne de l’OCDE dans l’enquête PISA. Ce qui n’est pas glorieux car la majorité des pays de l’OCDE sont nettement plus pauvres que la France. Et cette nouvelle étude pointe des résultats « bien inférieurs au regard d’autres tests ». Si dans PISA, à la sortie du collège, les résultats des élèves français sont moyens, ils sont nettement plus bas dans les enquêtes internationales PIRLS (lecture) et TIMSS (maths). Ainsi dans PIRLS 2021 les écoliers français de CM1 sont tout en bas du tableau. Seuls 4 pays européens font moins bien que nous. Pour TIMSS 2019, les résultats ne sont guère meilleurs. En CM1 ils baissent et nous mettent tout en bas en Europe et dans l’OCDE. En 4ème la situation n’est pas meilleure et on observe une véritable dégringolade par rapport à Timss 1995. On pourrait croire que ces résultats amène l’OCDE à recommander un changement de politique, comme elle a eu le courage de le faire dans le passé pour une Suède qui faisait face à la même situation. On verra qu’il n’en est rien.

L’étude OCDE rappelle aussi que les enseignants français sont nettement moins bien payés que leurs collègues des autres pays de l’OCDE. Et qu’ils travaillent plus. Plus nouveau, l’étude montre que les enseignants français sont les plus stressés de l’OCDE. Et qu’ils le sont « par la nécessité de suivre l’évolution des exigences des autorités locales, municipales / régionales ou nationales ». Cela aussi pourrait amener l’OCDE à recommander une autre politique. On verra ce qu’il en est.

Un focus sur la mixité sociale

Sans surprise, les économistes de l’OCDE soulignent aussi des inégalités sociales de réussite scolaire particulièrement fortes en France. « Le lien entre milieu socio-économique et résultats scolaires est particulièrement fort », rappelle l’OCDE. On sait que sur ce terrain la France se distingue nettement des autres pays de l’OCDE. Dans les pays de l’OCDE, l’écart moyen entre les élèves issus de milieux socio-économiques favorisés et ceux de milieux défavorisés est de 93 points en mathématiques. En France, il est de 113 points. Il s’agit de l’un des plus importants écarts liés au milieu socio-économiques, des écarts plus importants ne sont observés qu’en République slovaque ou encore en Israël.

La nouvelle étude apporte un éclairage particulièrement intéressant sur le rôle joué par l’absence de mixité sociale. « Le milieu socio-économique de ses pairs influe davantage sur les scores d’un élève que son propre milieu », écrit l’OCDE. « Une évolution du milieu socio-économique des condisciples d’un élève du premier au troisième quartile de la distribution socio-économique des écoles y est associée à une hausse du score PISA en mathématiques d’environ 58 points, ce qui équivaut à une augmentation de 12 % du score moyen d’un élève français. Ce résultat met en évidence l’incidence potentiellement considérable que la diversité relativement faible des établissements scolaires français pourrait avoir sur les résultats des élèves ». On a donc une nette recommandation pour améliorer la mixité sociale des établissements scolaires y compris du privé sous contrat. Car l’étude de l’OCDE souligne aussi l’écart entre ce privé et le public.

Réduire le coût de l’École

Et là on entre dans le paradoxe. Car les recommandations de l’OCDE viennent en renfort de la politique éducative menée depuis 7 ans. L’OCDE invite à aller plus loin encore vers la privatisation de l’École.

L’angle d’attaque de l’OCDE c’est d’analyser l’École au regard de sa rentabilité. Rentabilité des diplômes dans le devenir des élèves : on sait qu’elle est particulièrement forte en France. Rentabilité du système éducatif vu uniquement sous l’angle d’un investissement.

« La France dépense plus pour l’enseignement, notamment secondaire, que la moyenne des pays de l’OCDE et le pays a entrepris de nombreuses réformes visant à améliorer les résultats scolaires des élèves mais ceux-ci demeurent proches de la moyenne de l’OCDE, et les résultats en lecture ont diminué au cours de la dernière décennie », affirme l’OCDE. Une affirmation souvent répétée et qui mérite d’être regardée de près.

Certes la France dépense un peu plus que la moyenne OCDE pour chaque élève : 11 201 $ contre 10 454 $ pour l’OCDE en 2018. Mais un seul grand pays développé dépense moins : le Japon (10 185$). Tous les autres grands pays développés dépensent plus. Ainsi l’Allemagne consacre 12 791$ par élève, le Royaume Uni 12 245, l’Italie 11 202 (un dollar de plus !), les États Unis 14 009. Les pays qui dépensent nettement moins sont le Mexique, la Turquie ou encore en Europe la Hongrie et la Pologne. L’éducation représente une part beaucoup plus faible dans les dépenses publiques en France que dans la moyenne des pays de l’OCDE. La France consacre 8.5% de sa dépense publique à l’éducation contre 10.6% en moyenne dans l’OCDE. Surtout, sur 33 systèmes éducatifs étudiés par l’OCDE, la France est au 22ème rang pour le coût salarial de ses enseignants. Aucun grand pays développé ne dépense aussi peu pour ses enseignants. La France a des enseignants low cost.

Changer le métier enseignant

Pour améliorer l’attractivité du métier enseignant, l’OCDE recommande bien de relever les salaires surtout à mi parcours. Mais en diminuant le nombre d’enseignants : « Même si la rémunération des enseignants constitue le principal poste de dépenses de l’enseignement formel, et même si l’assainissement budgétaire reste une priorité, le nombre d’élèves est en baisse. Cette baisse du nombre d’élèves se traduira mécaniquement par un ajustement du nombre de postes d’enseignants, et elle pourrait permettre de faire évoluer la structure de la dépense et constituer un levier de transformation ». Au passage, l’OCDE cible les agrégés : « le fait que les enseignants titulaires du diplôme d’agrégation enseignent moins d’heures apparaît plus discutable ».

Privatiser la gestion des écoles

Car ce que vise l’OCDE c’est bien une mutation du système éducatif. L’OCDE demande des écoles et établissements scolaires autonomes dotés d’un manager responsable de la paye et de l’embauche des enseignants. « une responsabilité accrue des établissements dans la sélection des enseignants a été corrélée à l’obtention de meilleurs résultats aux tests et une plus grande autonomie des écoles dans la nomination ou l’embauche des enseignants est associée à une répartition plus équitable des enseignants expérimentés dans les écoles », affirme l’OCDE en se basant sur ses propres recherches. Pour aller au bout de cette démarche, l’OCDE souhaite de vrais chefs d’établissement à la tête des écoles primaires. Elle annonce même des évolutions à ce niveau notamment sur l’évaluation : « Différents outils vont permettre aux directeurs d’école d’endosser pleinement ce rôle de pilote pédagogique, notamment la formation et l’évaluation ». Le volet 2 du récent rapport de l’Inspection générale sur le pilotage des écoles primaires pourrait apporter des lumières sur ce point.

Ces nouveaux managers sont invités par l’OCDE à piloter ce qui se passe en classe. « Les méthodes pédagogiques s’inscrivent dans une « culture de l’enseignement » propre à un établissement, qui peut être influencée par de nombreux facteurs, y compris par le chef d’établissement », note l’OCDE qui renvoie d’ailleurs aux facilités apportées par le Pacte pour que le manager dicte les pratiques pédagogiques.

Même soutien à la réforme de la formation initiale des enseignants préparée par G. Attal. L’OCDE demande que « l’on confie davantage (la formation) à des enseignants en exercice… La réflexion en cours par les autorités envisage une plus grande place accordée aux pratiques professionnelles par le développement des périodes de stage en classe ». Quant à la formation continue, l’OCDE veut « lier la formation continue à des normes professionnelles définissant ce que les professionnels de l’éducation devraient savoir et faire, renforcer les liens entre le perfectionnement professionnel et la progression de carrière ». Décryptons : rendre la formation continue obligatoire dans les obligations de service (notamment dans le 2d degré) et lier formation et salaire.

Même appui au projet macronien quant à l’éducation prioritaire. L’OCDE juge négativement l’existence des REP et REP+ et préfère une affectation progressive des moyens , à l’image des contrats locaux (CLA) mis en place récemment. En dépit de l’évidence, l’OCDE défend l’idée de donner plus d’autonomie aux écoles défavorisées pour résoudre leur manque d’attractivité. « On peut remédier à cette situation en confiant aux écoles plus de responsabilités en matière de sélection et de recrutement des enseignants, et en renforçant en parallèle la collaboration entre ces derniers ». Cela a déjà été testé sous L Chatel avec la création de postes à profil et cela n’a pas fonctionné. Partout, l’autonomie des établissements s’est faite aux dépens des établissements défavorisés. Les exemples suédois, néerlandais et britannique le montrent.

Hallali sur l’École républicaine

A l’appui des ses recommandations, l’OCDE s’appuie régulièrement sur les rapports de la Cour des Comptes. Ceux-ci se sont multipliés pour « désétatiser » l’Éducation nationale en accordant aux écoles et établissements une autonomie inspirée des entreprises privées. Rappelons son rapport de décembre 2021, en pleine campagne électorale. La Cour préconisait d’annualiser les services, de regrouper écoles primaires et collèges, de faire évaluer les enseignants par les chefs d’établissement et d’augmenter l’autonomie de ces derniers. En janvier 2023, nouveau rapport qui présente des établissements autonomes sous contrat avec l’État, financés selon les résultats des élèves et dotés d’un vrai manager. Une vraie privatisation de l’école publique. En février 2023, rebelote. La Cour publie un rapport sur le métier enseignant où elle recommande , comme on l’a vu, la contractualisation car « l’attractivité du métier enseignant ne peut se résumer à la question salariale ». En juillet 2023, la Cour veut privilégier « l’approche territoriale et l’autonomie dans la gestion des dépenses d’éducation ». Elle appelle à territorialiser le recrutement et la gestion des enseignants pour en finir avec leur statut et « le cloisonnement des métiers ».

La Cour n’est pas seule. La majorité de droite du Sénat a adopté la loi Brisson qui prévoit la contractualisation des écoles et établissements, la bivalence des enseignants du 2d degré, leur évaluation par les chefs d’établissement, la fin des règles du mouvement. Cette loi Brisson est intégrée au « pacte législatif » que La droite républicaine propose aux macronistes. Quant aux macronistes, dans leur « propositions en vue d’un Pacte d’action pour les Français », ils proposent une « stratégie PISA 2030 » qui montre l’importance qu’ont les activités de l’OCDE aux yeux d’E. Macron.

Une publication au bon moment

Car ce qui fait l’importance de cette étude OCDE ce n’est pas tant le projet éducatif que le moment où il est publié. Ce n’est pas neutre pour l’OCDE de publier une telle étude alors que le pays traverse une crise budgétaire et politique sans précédent. Le président de la République doit mettre en place une nouveau gouvernement représentant une nouvelle majorité parlementaire. Ce nouveau gouvernement devra réaliser des économies budgétaires très importantes.

L’École est au cœur de cette reconstruction. Politiquement, il y a une identité de vue pour une privatisation de l’École chez les macronistes, la droite républicaine et , au-delà, dans l’extrême droite. Le futur gouvernement peut recueillir un large soutien, ou au moins une bienveillance active, en conduisant ce projet. Il pourra aussi dégager de belles économies à partir du moment où les repères nationaux auront sauté aussi bien pour l’éducation prioritaire que via l’autonomie pédagogique. Tout s’ordonne pour faire avancer le projet libéral pour l’École française. La « lame de fond » de la privatisation de l’École, pour reprendre la formule de X. Pons, est-elle en passe d’emporter l’École française ?

François Jarraud ; Journaliste engagé pour l’École. Fondateur et rédacteur en chef (2001-2023) du Café pédagogique ; abonné de Mediapart

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Commentaire

Comme d’habitude, Macron n’en fera qu’à sa tête.
Par ailleurs, faire croire qu’en réalisant des économies avec le soutien de l’Extrême-droite on va améliorer la situation dans l’enseignement est un leurre.

Pour l’instant, on assiste déjà à une école à au moins deux vitesses. Ce n’est pas Macron et son équipe qui vont changer cette situation. Ces dirigeants ne veulent former que des managers. Le reste leur importe peu et ils feront dans ce sens tout en faisant des économies !