Le « new management » ne passe pas

C’est la directive pour les directeurs d’école

Pour l’Inspection générale, la transformation des directeurs d’école en managers, c’est l’avenir. Dans un nouveau rapport l’Inspection montre pourtant que ce n’est pas le souhait des intéressés. Et loi Rilhac ou pas, la légitimité de leur nouveau rôle n’est pas installée.

Un premier rapport sur l’application de la loi Rilhac

Alors que la majorité de droite du Sénat a adopté une loi donnant une large autonomie aux directeurs d’école, l’Inspection générale publie un premier bilan du « pilotage pédagogique des écoles par les directeurs » suite à la loi Rilhac. Rappelons que celle-ci, après de nombreux rebondissements, donne une « autorité fonctionnelle » aux directeurs d’école. Un décret publié en août 2023 a précisé l’application de la loi. Il reconnaît aux directeurs une  » autorité sur l’ensemble des personnes présentes dans l’école pendant le temps scolaire ». Le mot a perdu son adjectif « fonctionnelle ». Mais celle-ci reste cadrée par les inspecteurs qui nomment les directeurs.

Un an plus tard, les inspectrices générales Bénédicte Abraham, Myriam Grafto et Armelle Poutrel (aucune d’entre elles ne vient du premier degré !) publient un premier livret sur « le pilotage pédagogique des écoles de l’enseignement primaire par les directeurs » qui propose un « état des lieux » et des perspectives. Ce premier rapport annonce aussi un « second livret » qui devrait proposer des outils de gestion pour les directeurs d’école.

Des directeurs débordés

L’état des lieux dressé par l’Inspection générale est fort intéressant. Il montre que les directeurs d’école « courent après le temps, tout le temps , tout le temps ».  » « Tout est speed »,  » J’ai un œil sur l’ordinateur, la fourchette à la main « , témoigne une directrice. « J’arrive à 6 h 30 ». « Le manque de temps, en dépit d’une augmentation du temps de décharge des directeurs, nécessaire pour répondre aux nombreuses sollicitations du quotidien, s’est révélé être un leitmotiv des entretiens menés par la mission », rapporte les IG. La charge de travail administratif a été aggravée par la suppression des emplois de service civique par E Macron en 2017. Son allégement est revenu en leitmotiv dans toutes les enquêtes menées par les syndicats et le ministère. Mais rien n’a été fait sur ce point. Pas davantage par la loi Rilhac.

Comme le dit le rapport,  » Il va de soi que le staccato de leur quotidien génère de fortes répercussions sur le temps de réflexion, de lecture et de travail de préparation qu’il est possible de dédier aux instances pédagogiques et au pilotage de l’école. Ce rythme trépidant leur laisse peu voire pas de temps et de disponibilité d’esprit pour lire, prendre de la hauteur et se consacrer à une réflexion pédagogique poussée ». On ne saurait mieux insinuer que la loi Rilhac n’a pas donné les moyens aux directeurs d’école d’exercer la mission que l’on attend d’eux. Comment exiger du « pilotage pédagogique » de personnes qui ont le nez totalement pris dans les tracas du quotidien ?

Une fonction qui n’attire pas

L’état des lieux de l’Inspection évoque à peine le second gros problème des directions d’école : un fort pourcentage de directeurs d’école sont nommés par défaut. Ils n’ont pas demandé à l’être. C’est la preuve que la fonction n’attire pas.  Autre preuve : les inspectrices générales relèvent près de la moitié des directeurs ont moins de 11 ans d’ancienneté. Les enseignants expérimentés fuient la fonction.

Les directeurs font de la résistance

Enfin, l’état des lieux établit aussi que la loi Rilhac n’est toujours pas installée et souhaitée par les directeurs d’école. » La mission a constaté, chez la plupart des directeurs d’école rencontrés, une méconnaissance ou une perception vague d’un décret qui redéfinit pourtant leurs missions de manière significative sous certains aspects, notamment celui du pilotage pédagogique. Un cadre académique va expliquer : « Les directeurs d’école n’ont pas vraiment pris la mesure des évolutions induites par le décret. (…) La représentation historique de la fonction est encore présente chez beaucoup, sans corrélation avec la taille de l’école » ». E Macron a voulu détruire les « petites républiques des professeurs » que la IIIème République avait installées. Celles-ci font de la résistance, dans la tête même des nouveaux managers que la loi Rilhac a imaginé.

Faire des directeurs des courroies de transmission

Pour autant, les inspectrices générales ne perdent pas de vue les perspectives. Elles adhèrent totalement à la vision managériale de la fonction de direction qui sous-tend la loi Rilhac et évoquent  » les attributs d’un pilote pédagogique efficace ». Avant tout, le directeur d’école voulu par E Macron est une courroie de transmission de l’autorité hiérarchique. Ce qu’on attend de lui c’est de faire appliquer les instructions.  » La fonction de directeur d’école est une mission d’autorité au meilleur sens du terme, c’est-à-dire conférée par sa capacité d’organisation, d’arbitrage, de pilotage. En aucun cas, cette autorité-là ne doit être confondue avec l’exercice autoritaire des missions. Un directeur d’école est ainsi en mesure de poser un cadre avec fermeté, il dispose des clefs pour prononcer des arbitrages et établir des relations sereines et posées avec la diversité de ses interlocuteurs. Il entre dans les gestes professionnels des directeurs de répercuter auprès de leurs collègues les demandes politiques avec le devoir de loyauté qui lie tout fonctionnaire à son institution ».

Piloter par les résultats

Le « bon » directeur d’école doit avoir les yeux braqués sur les évaluations nationales.  » Un pilotage pédagogique renforcé implique pour le directeur de cultiver une approche systémique des attendus en termes de résultats et de performance. Pour ce faire, il peut articuler les résultats des élèves aux évaluations nationales et à l’évaluation d’école. Cette dernière, qui permet à tous de mieux connaître l’école et de se recentrer sur un diagnostic et des objectifs partagés, constitue un bon levier pour la cohésion d’équipe et le choix des orientations principales. Les directeurs perçoivent fort bien la possibilité qu’ouvre le pilotage par les indicateurs pour la création d’une culture commune autour des évaluations, qu’il s’agisse des évaluations nationales standardisées ou des évaluations d’école dans leur phase interne comme externe.  L’un d’eux le formule ainsi : « Désormais, les résultats aux évaluations sont la boussole de travail », affirme le rapport. L’évaluation est bien au cœur du nouveau management voulu par E Macron. Un excellent numéro de la revue de l’AFAE a montré ce poids du pilotage par l’évaluation. Inversement Nicole Raybaud-Patin a montré le fiasco de leur appropriation, particulièrement en CP. Rappelons que sept ans après leur installation de vive force dans les écoles, les enquêtes de la Depp montrent que la moitié des enseignants du 1er degré ne s’en servent pas

Tripler la durée des conseils des maîtres

Dans leur rapport, les inspectrices générales s’attachent à observer les conseils de maîtres et les conseils de cycle qui doivent permettre le pilotage pédagogique par les directeurs d’école. Or ce n’est pas ce qui se passe.  » Les conseils des maîtres observés font souvent figure de lieux où l’on délivre de l’information, fonctionnelle ou administrative, et où l’on fait le point sur des dossiers en cours ou du travail à venir. L’organisation de l’école est l’objet des échanges dans 44 % de ces conseils, dans une variété d’enjeux bien large. Près d’un quart d’entre eux portent sur les horaires et les passations des évaluations nationales ainsi que sur les projets d’école. 43 % abordent la question des intervenants extérieurs. La mission a aussi assisté à de nombreux conseils où les échanges sur les questions d’organisation relatives aux projets, intervenants extérieurs, manifestations scolaires, etc. pouvaient prendre une place importante et réduire ensuite à la portion congrue les interventions ou réflexions pédagogiques ». Au lieu de mettre leur nez dans les pratiques pédagogiques des professeurs des école et de tenter de leur imposer les « bonnes pratiques » officielles, les directeurs d’école laissent les conseils continuer à gérer la vie des écoles selon la tradition républicaine. Les enseignants apprécieront d’apprendre que l’Inspection générale recommande de porter la durée des conseils de maîtres et de cycles à 2 ou 3 heures, alors que la norme est d’une heure.  » Les conseils d’une durée de 2 ou 3 heures, un mercredi matin ou un soir jusqu’à deux fois par période où les membres de  l’équipe sont pleinement disponibles ont paru à la mission plus efficaces que les conseils d’à peine une heure, placés sur la pause méridienne ».

Un management inspiré du privé

Alors comment impulser le changement managérial voulu par la loi Rilhac ? Les inspectrices font plusieurs recommandations.

La première c’est de former les directeurs d’école pour en faire de bon managers sur le modèle du privé.  » La mission a pu observer, sur la base d’échanges avec des personnels ayant rejoint l’éducation nationale après une première carrière dans le secteur privé (banque, ingénieur en entreprise, etc.), qu’il peut paraître étonnant de l’extérieur qu’aucune formation à la gestion des ressources humaines et au management d’équipe ne soit véritablement proposée aux directeurs ». Le rapport suggère de commencer par former les directeurs  » afin de faire des conseils des maîtres et des conseils des maîtres de cycles de véritables instances de réflexion pédagogique, à l’appui de techniques managériales et organisationnelles ».

Dans le même objectif, les inspectrices générales recommandent de créer des sous chefs.  » Désigner, en fonction de la taille de l’école, de ses spécificités et des compétences au sein de l’équipe, un adjoint-conseiller à l’expertise complémentaire à celle du directeur (expertise plutôt administrative ou plutôt pédagogique), rétribué par une part de « pacte enseignant » ».

Libéraliser les décharges…

Par contre, le rapport ne propose rien de concret pour faire face aux problèmes réels, et bien connus, des directeurs. Une aide administrative ?  » Engager avec les collectivités un dialogue contractuel pour favoriser le déploiement dès que nécessaire d’une aide administrative pérenne et de niveau suffisant attribuée à une école ou mutualisée sur plusieurs écoles ; de gardiens d’école pour les écoles le justifiant ». On imagine que les collectivités locales, qui s’attendent à une baisse de leur dotation par l’État, vont se porter volontaires…

Les directeurs d’école seront ils au moins récompensés d’éventuels efforts ? Totalement acquises à la logique libérale, les inspectrices générales proposent de détricoter les grilles des décharges.  » Encourager la souplesse d’attributions de décharges complémentaires en fonction des spécificités des écoles ou du territoire et de projets construits ».

Le nouveau management reste illégitime

Leur rapport se termine par un constat d’échec de la loi Rilhac et de la privatisation de l’école primaire voulue par E Macron.  » Reste à aider le directeur à asseoir sa légitimité à être pilote pédagogique de l’école, garante de son autonomie. Dans la question relative à la légitimité du directeur, il reste aussi un espace à conquérir : celui du regard que l’équipe porte sur ses fonctions afin qu’il acquière la légitimité qui lui revient dans le pilotage pédagogique ». Le pari anti démocratique et peut-être inapplicable de la transformation managériale des écoles voulu par E Macron et la député Rilhac n’est pas acquis. Et ça c’est une bonne nouvelle.

François Jarraud ; journaliste engagé pour l’École. Fondateur et rédacteur en chef (2001-2023) du Café pédagogique ; abonné de Mediapart